L’Assemblée nationale française a adopté ce 10 décembre le projet controversé de réforme du franc CFA ouest-africain – qui doit encore être soumis au Sénat et devra être signé par les pays africains concernés. Le communiste Jean-Paul Lecoq a développé de nombreux arguments pour démontrer que cette réforme ne changera rien et rappeler que le franc CFA va contre les intérêts des peuples africains.
L’Assemblée nationale française a adopté le 10 décembre le projet controversé de réforme du franc CFA d’Afrique de l’Ouest, qui concerne huit pays. Sur 73 députés votants, il y a eu 57 voix pour, 8 voix contre (groupe Gauche démocrate et républicaine/ France Insoumise) et 8 abstentions (le PS fait partie des abstentionnistes).
En début de séance, le communiste Jean-Paul Lecoq, rappelant que le sujet était « fondamental pour des dizaines de millions de personnes », a présenté une motion de rejet préalable qui n’a pas été retenue. « Cette monnaie, assumez-le, correspond aux intérêts des classes supérieures africaines tournées vers l’extérieur et des multinationales qui travaillent en euro ; pour les peuples et pour les PME africaines, elle peut être un véritable boulet. Votre majorité défend les intérêts des classes aisées et des multinationales en toutes circonstances et en tout lieu », a-t-il notamment dit, soulignant que la réforme proposée ne changeait rien sur le fond.
Le député s’est interrogé à propos de la manière dont s’est préparée cette réforme : « La méthode confirme la condescendance de la France vis-à-vis de ces pays. » Le nouvel accord monétaire qu’elle propose a été « négocié dans le plus grand secret par une poignée de personnes à Paris et à Abidjan », a lui-même reconnu le rapport de la commission des Affaires étrangères sur ce projet de loi.
« L’ordre dans lequel s’effectuent les ratifications » du nouvel accord monétaire est en soi « suspect », a aussi estimé Jean-Paul Lecoq : « Pourquoi la France est-elle le premier pays à ratifier cet accord, alors qu’en toute logique elle aurait dû attendre que les pays directement concernés l’aient fait d’abord ? »
Le verbatim de ses interventions lors de cette séance du 10 décembre est à lire ci-dessous.
Ses propos sont à mettre en lien avec ceux du député communiste Paul Cermolacce (d’ailleurs cité par Jean-Paul Lecoq) tenus devant l’Assemblée nationale le 19 juillet 1961, au sujet des « accords de coopération » conclus par la France avec la Côte d’Ivoire, le Dahomey, la Haute-Volta et le Niger et qui concernaient entre autres la monnaie et donc le franc CFA :
« Ces accords, négociés avec de grandes difficultés, constituent un nouveau compromis visant à maintenir, par des moyens détournés, l’essentiel des privilèges colonialistes, tout en s’efforçant de sauver la face aux yeux des peuples en cause. C’est bien là la marque de leur fragilité. Ce pseudo-libéralisme, dont on tente de parer la politique gaulliste, ne résiste pas aux faits. Il est en contradiction flagrante avec les prises de position du Gouvernement français sur les problèmes coloniaux, qu’il s’agisse des débats à l’Organisation des Nations unies, ou bien encore des questions algériennes. Les peuples d’Afrique, croyez-nous, ne sont pas dupes ; ils ne sont pas non plus crédules à l’égard de certains dirigeants africains qui se font les auxiliaires du colonialisme nouvelle forme ; ils aspirent à une véritable indépendance sans restriction ni arrière-pensée ».
(L’ensemble des débats de cette séance du 19 juillet 1961 est à lire ici : http://archives.assemblee-nationale.fr/1/cri/1960-1961-droit/044.pdf)
Soixante ans séparent l’intervention de Paul Cermolacce et celle de Jean-Paul Lecoq et la problématique reste la même… Stupéfiant !
On attend maintenant la réaction des députés des huit pays ouest-africains concernés par ce projet d’accord monétaire. Ils sont restés jusqu’ici bien silencieux et le flou demeure sur les modalités de signature de cet accord monétaire par leurs pays (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo).
Compte rendu intégral des interventions dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale de Jean-Paul Lecoq, député communiste, au sujet du projet de loi portant sur la réforme du franc CFA, le 10 décembre 2020
Discours motivant la motion de rejet préalable du projet de loi portant réforme du franc CFA :
Jean-Paul Lecoq. C’est à regret que je me tiens ici pour défendre cette motion de rejet préalable du projet de loi autorisant la ratification de l’accord de coopération entre la France et les États membres de l’Union monétaire ouest-africaine – vous avez fait un lapsus, monsieur le ministre délégué, en parlant de l’Union économique et monétaire, qui ne recouvre pas exactement la même réalité. J’aurais en effet aimé croire qu’une réforme du franc CFA – initialement appelé, ne l’oublions pas, franc des colonies françaises d’Afrique – serait l’occasion d’un débat approfondi entre tous les pays concernés et d’un véritable changement en profondeur de nos relations économiques et politiques avec les pays de l’Afrique de l’Ouest francophone.
Pourtant, rien ne s’est passé ainsi. Sur le fond, cette réforme n’a pas été faite pour changer quoi que ce soit ; sur la forme, la méthode confirme la condescendance de la France vis-à-vis de ces pays – si l’on ne change rien, pas besoin de concertation.
Personne n’était au courant de l’annonce de la réforme, en décembre 2019, par Emmanuel Macron à Abidjan. Seul son acolyte ultralibéral Alassane Ouattara en avait connaissance, lui qui avait été installé par les chars français en 2011 et qui est le champion toutes catégories de la multinationale Afrique à forte composante française, lui qui vient d’ailleurs de s’arroger un troisième mandat inconstitutionnel, au prix d’une répression implacable de ses opposants.
Bastien Lachaud. Il a raison !
Jean-Paul Lecoq. Quant aux autres partenaires de l’UMOA qui gère le franc CFA, à savoir le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Togo et le Sénégal, ils n’étaient même pas informés ; pas plus que ne l’était le gouverneur de la BCEAO, qui pilote cette monnaie.
Lorsque Emmanuel Macron a expliqué le sens de la réforme en décembre dernier, à Abidjan, il a dit : « j’ai souhaité pouvoir mettre à plat l’ensemble des sujets pour écrire une page nouvelle […] de notre histoire commune ». L’idée ne lui a donc pas été soufflée par les États membres de l’UMOA, comme on veut nous le faire croire, ce matin encore ; c’est encore et toujours Jupiter qui a décidé seul.
Or un changement de monnaie, si l’on respecte un tant soit peu les peuples concernés, aurait dû faire l’objet d’un chantier démocratique, transparent et ouvert, quitte à être long. Prenons notre exemple : en 1992, lorsque la Communauté européenne a choisi de devenir l’Union européenne et de passer à l’euro, il y a eu, en France, un référendum sur les enjeux du passage à la monnaie unique, sept ans plus tard, avec un calendrier précis. Peu importe ce que l’on pense du résultat, force est de constater qu’au moins sur la méthode, les choses étaient plus démocratiques.
Ici, que nous propose-t-on ? Uniquement, la ratification d’un accord de coopération, sans même le calendrier de mise en place de l’eco. L’ordre dans lequel s’effectuent les ratifications est en soi suspect : pourquoi la France est-elle le premier pays à ratifier cet accord, alors qu’en toute logique elle aurait dû attendre que les pays directement concernés l’aient fait d’abord ? Notre parlement aurait ainsi pu tenir compte des débats démocratiques suscités par cette réforme chez les peuples en question. C’est un non-sens complet d’avoir procédé autrement, non-sens qui justifierait à lui seul que l’on rejette ce texte – ce que vous avez encore la possibilité de faire.
N’oublions pas en effet que l’on parle ici de monnaie, c’est-à-dire d’une institution politique et économique absolument fondamentale, puisque c’est elle qui permet à une zone de déterminer et de piloter son économie en se fixant des objectifs de développement.
Cette réforme du franc CFA va-t-elle permettre à l’UMOA de piloter ses taux de change afin de favoriser ses exportations où ses importations ? Va-t-elle laisser aux pays de la zone le choix de s’adosser à une monnaie plutôt qu’à une autre ? Va-t-elle leur permettre de piloter l’inflation, les taux d’intérêt, le poids de la dette ? Non. Rien ne changera, et le cordon ombilical qui relie le franc CFA à la zone euro va perdurer, au travers de l’arrimage à l’euro, de la liberté des transactions et de la convertibilité illimitée entre les deux monnaies, ce triple lien permettant à toute multinationale qui fait du commerce dans la zone monétaire du franc CFA de voir ses investissements sécurisés sur le long terme, de convertir en euros ses profits réalisés en francs CFA, puis de rapatrier ensuite ces capitaux vers la zone euro.
La parité fixe euro-franc CFA ne pose certes aucun problème à ceux qui travaillent en euros, mais c’est beaucoup plus compliqué dans tous les secteurs où la monnaie de référence est le dollar : l’euro – et donc, avec lui, le franc CFA – varie tous les jours face au dollar, et lorsque les taux de change sont trop volatiles, des secteurs entiers de l’économie peuvent perdre leur compétitivité du jour au lendemain – nous en avons fait l’expérience avant le passage à l’euro. L’Agence française de développement – AFD – avait d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme il y a quelques années, en indiquant que la parité fixe avait été l’un des principaux facteurs de l’effondrement du secteur du coton au Burkina Faso. Retenons les leçons de l’histoire !
Il pourrait donc être dans l’intérêt de certains pays de s’arrimer à d’autres monnaies que l’euro, mais le système favorise le lien entre zone euro et zone CFA, entravant de ce fait le commerce entre les membres de l’UMOA ou de la CEDEAO. Cela explique que, cinquante ans après les indépendances, l’Europe soit encore le premier partenaire commercial de la plupart de ces pays, alors que le commerce intracontinental représente moins de 15 % de leurs échanges – le sujet doit vous parler, monsieur le ministre délégué ! Ce chiffre signe l’échec véritable du franc CFA et justifierait à lui seul que cette monnaie soit remisée au placard de l’histoire.
Il n’y a, au sein de l’UMOA, aucun mécanisme de solidarité, aucun marché unique, aucune union politique ; aucun intérêt économique non plus à adopter une monnaie unique dont rien ne dit qu’elle bénéficiera à chacun de ses membres.
Comparons à nouveau avec la zone euro : malgré une très forte intégration économique et un commerce intense entre les États membres, nous savons tous que son fonctionnement n’est pas évident. Mais là, il s’agit d’une union monétaire sans autre forme d’union. Lorsque l’on ne maîtrise pas sa politique monétaire et que l’on ne peut pas laisser filer l’inflation pour diminuer la dette, le seul outil pour se désendetter, en cas de crise, est la diminution des dépenses publiques – cela nous parle ici aussi. Comme dans l’Union européenne, le programme est l’austérité à perpétuité. Le rôle du franc CFA dans la situation économique et sociale catastrophique des États membres de l’UMOA est à étudier avec sérieux, même s’il n’en est évidemment pas l’unique facteur, nous en sommes d’accord.
Regardons la situation d’un point de vue historique : dans les années 1980, le Fonds monétaire international – FMI – et la Banque mondiale ont saigné les pays d’Afrique de l’Ouest. Les fameux plans d’ajustement structurel ont, avec la complicité du club de Paris, détruit ces États en pleine construction, les ont rendus dépendants des cours des matières premières, les ont obligés à tout privatiser et à réduire le plus possible les dépenses publiques. Ils avaient promis un renouveau économique qui n’est jamais arrivé.
Évidemment, ces cures d’austérité n’ont jamais fonctionné et l’endettement des pays est resté très élevé. Le franc CFA a empêché ces pays d’utiliser l’inflation pour se désendetter. Ceux-ci ont donc continué à diminuer leurs dépenses publiques pour les porter à des niveaux totalement inacceptables pour leur population. Voilà l’origine de leur crise ! En effet, cette politique a produit des systèmes éducatifs totalement dégradés, des systèmes de santé inefficaces et des salaires si faibles dans la fonction publique qu’ils ne peuvent empêcher la corruption.
Face à ces situations, l’aide publique au développement – APD – ne suffit pas à remonter la pente : la pauvreté et les inégalités explosent, le chômage devient de masse, des millions de jeunes sont touchés par le désespoir et l’exil contraint se développe. Le pire, c’est que même avec l’APD, la zone CFA est encore perdante. Tous les pays de l’UMOA figurent dans la liste prioritaire de l’AFD ; une partie importante de notre APD est donc dédiée au déploiement de programmes, dont certains consistent à construire des infrastructures. Or qui est favorisé lorsqu’il s’agit de gagner des marchés dans une monnaie arrimée à l’euro ? Nos multinationales, bien sûr ! Le métro d’Abidjan offre un exemple funeste de ce genre de projets,…
Marc Le Fur, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Vous préférez les Chinois ?
Jean-Paul Lecoq. …que le sénateur communiste Pierre Laurent a récemment dénoncés. Le chantier a été confié, à la suite d’immenses pressions du pouvoir français et sans appel d’offres, à un consortium d’entreprises françaises, à un prix astronomique. La transformation du franc CFA en eco ne changera en rien ce système.
Les trois choses qui vont changer sont le nom, la possibilité pour la BCEAO de déposer ses réserves de change ailleurs qu’au Trésor français et l’absence de Français dans la gouvernance de la zone monétaire – et encore. L’étude d’impact du projet de loi affirme que la fin de l’obligation de réserve de change au Trésor français ne modifiera absolument pas la tutelle monétaire. En revanche, cette disposition allégera le coût supporté par la France, qui n’aura plus à rémunérer les avoirs déposés sur le compte dédié ; voilà qui en dit long sur l’état d’esprit de ses auteurs !
Jacques Maire, rapporteur. C’est petit comme argument, très petit !
Jean-Paul Lecoq. Quant à l’absence de Français dans la gouvernance de la zone monétaire, la lecture attentive de l’article 4 de l’accord commande de la nuancer. En effet, il dispose qu’une personnalité indépendante et qualifiée sera nommée par le conseil des ministres de l’UMOA, en concertation avec la France, pour siéger au comité de politique monétaire de la BCEAO – je ne reprendrai pas ici l’interpellation de Mme Roselyne Bachelot cette semaine.
La France sort donc par la porte pour mieux revenir par la fenêtre. L’objectif de la France vis-à-vis de l’UMOA est clair : faire taire les critiques populaires sur le franc CFA par une réforme plus que minimaliste.
Le nom de la nouvelle monnaie est une tartufferie comme j’en ai rarement vu. Eco est le nom du projet de monnaie unique de la CEDEAO, communauté économique qui englobe tous les États de l’UMOA, ainsi que le Cap-Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigeria et la Sierra Leone. La CEDEAO, ou ECOWAS en anglais, avait choisi le diminutif de son acronyme anglais pour nom de sa future monnaie. Nous avons affaire à une OPA hostile sur l’eco de la CEDEAO. L’objectif de la France vis-à-vis de la CEDEAO est clair : couper l’herbe sous le pied du projet monétaire de cette zone et imposer son eco comme un fait accompli, afin d’étendre l’influence de sa monnaie à tous les États membres de la CEDEAO. Le rapport de notre commission énonce clairement cet objectif, puisqu’on y lit à la page 22 : « Le fait que le changement de monnaie solde un héritage controversé est susceptible de générer une dynamique politique […]. Il peut permettre à d’autres pays, aujourd’hui extérieurs à l’UMOA, de rejoindre l’eco ».
Les pays concernés n’ont pas du tout apprécié cette visée de la France. Le Nigeria, poids lourd de la CEDEAO, a évoqué l’implosion de la zone si la réforme du franc CFA était mise en œuvre. Plusieurs États ont officiellement condamné cette initiative. Vouloir imposer l’eco à l’ensemble de la CEDEAO est une stratégie très dangereuse. L’exécutif français prend le risque d’une crise diplomatique dans cette zone déjà en proie à de fortes tensions.
L’objectif absolu s’agissant de la CEDEAO devrait plutôt être le renforcement des États, de leurs services publics et de leur économie : ces politiques seules seraient susceptibles d’offrir aux populations des perspectives de vie et de travail sur place.
Rodrigue Kokouendo, suppléant Mme Marielle de Sarnez, présidente de la commission des affaires étrangères. C’est ce qui est fait déjà en partie.
Jean-Paul Lecoq. Ces politiques seules seraient à même de lutter efficacement contre le terrorisme, qui ronge toute cette zone. Avec cette stratégie du chaos, la France affaiblit la CEDEAO. Or celle-ci est l’appui de l’Union africaine dans la politique de convergence économique et financière, et de développement d’une union douanière visant à créer des intérêts économiques communs dans la région et, surtout, à mettre en place une devise commune. Affaiblir la CEDEAO, c’est affaiblir le relais de l’Union africaine pour l’intégration régionale ; c’est affaiblir le multilatéralisme africain. Serait-ce là votre objectif ? Je ne peux pas y croire : vous parlez si souvent de multilatéralisme !
Voulons-nous être complices de cette stratégie de classe ? Que l’on me comprenne bien : je ne penche pas pour le très libéral projet eco de la CEDEAO, mais je constate que le Gouvernement français s’est invité dans ce débat pour en perturber le cours. Cette monnaie, assumez-le, correspond aux intérêts des classes supérieures africaines tournées vers l’extérieur et des multinationales qui travaillent en euro ; pour les peuples et pour les PME africaines, elle peut être un véritable boulet. Votre majorité défend les intérêts des classes aisées et des multinationales en toutes circonstances et en tout lieu.
Nous, députés communistes, nous opposons à cette réforme précisément parce que nous défendons, en toutes circonstances et en tout lieu, les plus précaires et les peuples. Pour cela, il faut un véritable renouvellement. L’exécutif français ne doit pas imposer sa volonté en faisant pression sur des dirigeants africains. Il est insultant de dicter à des pays indépendants leur politique monétaire et économique. Cette politique ne fait qu’alimenter le sentiment anti-français. Avec cette réforme, nous sommes à mille lieues de ce qu’il faudrait faire pour réparer et construire des relations respectueuses de coopération d’égal à égal entre nos pays et nos peuples.
Jacques Maire, rapporteur. Pompier pyromane !
Jean-Paul Lecoq. Il faut se poser la question de l’intérêt d’une telle réforme pour les peuples. À l’occasion de ce travail, nous n’avons rien trouvé qui aille dans ce sens : cette réforme n’est pas faite pour eux – eux qui pâtiront de ses mauvais côtés. Cette hypocrisie n’a que trop duré : il faut rejeter ce texte et repartir à zéro. Cette motion de rejet préalable vous en offre la possibilité : soutenez-la pour entamer un processus véritablement démocratique ! (M. Christian Hutin applaudit.)
Explication de vote concernant la motion de rejet préalable :
Jean-Paul Lecoq. Pour appuyer mon propos, je vais vous montrer que tous mes arguments figurent déjà dans le rapport de la commission.
À propos du manque de concertation, je vous invite à relire la page 26. À la page 21 est indiqué que la convention de garantie entre la France et la zone CFA n’est toujours pas conclue, ce qui prouve que nous votons sur une réforme qui n’est pas ficelée. Concernant les problèmes économiques que pose la réforme, le rapport pointe les mêmes faiblesses que celles que j’ai exposées. Plusieurs passages, aux pages 10, 12 et 13, indiquent que les entreprises multinationales et la frange aisée des populations sont favorisées par le franc CFA, alors que les PME locales et les populations pauvres en souffrent, surtout à cause des hauts taux d’intérêt et des coûts de production induits par la valeur élevée du franc CFA. En lisant ces pages, on se demande vraiment pourquoi vous vous félicitez de cette réforme, qui ne changera rien pour les peuples.
S’agissant de l’ambition défendue par Paris d’étendre l’eco à toute la CEDEAO, le rapport ne fait aucun mystère : aux pages 6 et 23, il indique que le franc CFA peut servir d’embryon à la future monnaie unique ouest-africaine. Les pages 22 et 23 montrent les tensions diplomatiques créées dans la CEDEAO par l’annonce précipitée de la réforme. Ce que j’ai indiqué à propos de la stratégie du Gouvernement français, consistant à prendre de vitesse la réforme monétaire de la CEDEAO pour tenter d’étendre à toute la zone une version quasi identique du franc CFA, figure dans le rapport.
Au-delà des problèmes de fond, la méthode n’est pas bonne : il aurait fallu au minimum laisser les parlements directement concernés s’exprimer avant nous. Je vous propose de rejeter dès maintenant le projet de loi. Peut-être pourrions-nous ensuite, et seulement ensuite, reprendre nos débats en fonction de ce qui se sera dit dans les parlements africains.
Intervention générale concernant le projet de loi portant réforme du CFA :
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
Michel Herbillon. C’est un véritable festival !
Jean-Paul Lecoq. J’en ai encore à dire !
Franck Riester, ministre délégué. Encore ?
Michel Herbillon. C’est sa troisième prise de parole !
Bruno Fuchs. Il s’auto-allume !
Jean-Paul Lecoq. La relation de la France avec l’Afrique francophone ne pourra pas être assainie tant que les dirigeants de notre pays n’auront pas mis de côté leur obsession de l’influence politique et économique sur cette zone. La réforme que vous proposez est une nouvelle illustration de cette obsession…
Bruno Fuchs. Ça, c’est vrai !
Jean-Paul Lecoq. …et elle est aveugle aux dangers qu’elle pourrait faire naître.
La zone monétaire du franc CFA s’appelle « Union monétaire de l’Ouest africain » ; elle est composée du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée-Bissau, du Mali, du Niger, du Sénégal et du Togo. Tous ces pays font également partie d’un ensemble plus large : la CEDEAO, c’est-à-dire la Communauté économique des États de l’Ouest africain, qui compte en outre le Cap-Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigeria et la Sierra Leone.
Or les quinze États qui composent la CEDEAO ont pour objectif de converger économiquement, et entre autres, depuis des années, de travailler à une monnaie unique. Il n’y a pas de hasard : depuis 2019, la mise en place de cette monnaie unique de la CEDEAO s’accélère, et elle a reçu un nom, l’eco ; pourtant, en décembre 2019, sans que les membres de la CEDEAO, ni même les autres membres de l’UEMOA, ne soient au courant, Emmanuel Macron, président français, et Alassane Ouattara, président ivoirien, ont annoncé la mise en place de l’eco à l’échelle de la seule UMOA, en remplacement du franc CFA.
Cet eco-là ressemble à s’y méprendre au franc CFA, mais ignore totalement les critères retenus par la CEDEAO pour sa monnaie. Comme le dit l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, « une abolition du franc CFA aurait nécessité au moins, symboliquement, la fin de l’accord de coopération monétaire entre la France et les pays de l’UEMOA ». Or tel n’est pas le cas.
Alors pourquoi une réforme d’une telle ampleur a-t-elle été subitement proposée, sans concertation ? J’avancerai deux explications.
La première, c’est sans doute l’accélération du calendrier de réforme de la CEDEAO ; la peur française de perdre notre influence en Afrique de l’Ouest s’est alors réveillée, et les dirigeants français ont choisi de torpiller le projet de la CEDEAO, comme l’a dit l’économiste sénégalais Demba Moussa Dembelé. Mais cette stratégie a créé de très vives tensions diplomatiques, au sein de la CEDEAO – entre les pays utilisateurs du franc CFA et les autres –, mais aussi entre la CEDEAO et la France. Le président nigérian a même brandi la menace de dislocation de la CEDEAO. Cette stratégie de la tension est loin d’être innocente. C’est Justin Koné Katinan, ancien ministre ivoirien, qui l’explique le mieux : pour maintenir son influence en Afrique de l’Ouest, la France n’a que deux solutions, « soit avoir l’entièreté de la zone CEDEAO sous son contrôle grâce à sa monnaie, soit, à défaut, la désintégrer pour sauvegarder son espace, butin de son passé colonial ». Il n’y a pas de quoi être fier !
La deuxième explication, c’est la volonté de briser, au sein de l’UEMOA, « l’élan patriotique des Africains quant à la reconquête de leur souveraineté monétaire », selon les mots de l’économiste Séraphin Prao. Casser la dynamique naissante de l’eco, casser la dynamique anti-franc CFA qui émerge dans les sociétés civiles de l’UEMOA : voilà le pourquoi de la précipitation.
Au-delà du débat économique, on le comprend, c’est la sauvegarde du pré carré qui est en jeu. Or la politique de la terre brûlée engagée par cette réforme pourrait s’avérer très dangereuse ; prendre le risque d’un retour de flamme dans un espace géopolitique en proie à tant de dangers est totalement irresponsable. Cette irresponsabilité s’explique par l’histoire : cette réforme ne fait que poursuivre la fuite en avant entamée depuis le premier jour de la décolonisation.
D’ailleurs, le 19 juillet 1961, ici même, à l’occasion du débat sur le traité créant l’UMOA, le député communiste Paul Cermolacce disait : « les peuples d’Afrique […] aspirent à une véritable indépendance, sans restriction ni sans arrière-pensée. Vouloir aller contre ce courant, c’est aller à de nouveaux déboires. Nous nous refusons à cautionner votre politique. Notre position est claire : nous sommes pour de véritables rapports de coopération qui ne peuvent se concevoir et être durables sans une totale indépendance. » Il allait jusqu’à critiquer le fait que certaines élites africaines étaient corrompues par la France pour mieux faire accepter au peuple les décisions impopulaires exigées par Paris. Cela n’existe heureusement plus aujourd’hui – Raymond Devos ajouterait : « quoique ». Force est de constater que, soixante ans après cette intervention, nous voyons encore quotidiennement dans cette zone de l’Afrique les déboires dont parlait ce député communiste.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine appelle donc à voter contre ce projet de loi, en espérant que cette fois-ci, le pouvoir entendra sa mise en garde.
Explication de vote sur l’ensemble du projet de loi portant réforme du franc CFA :
Jean-Paul Lecoq. Mes chers collègues, il me semble important d’insister encore sur le sujet tant il est fondamental pour des dizaines de millions de personnes, et tant il est délicat pour notre Parlement d’en débattre, puisqu’il ne concerne pas directement le peuple français. Les contours de la nouvelle monnaie reprendraient presque totalement ceux du franc CFA, notamment les trois principaux critères que sont la parité fixe avec l’euro, la garantie de conversion illimitée entre l’euro et l’eco, et la liberté de mouvement des capitaux entre les deux zones monétaires. Ces critères monétaires favorisent les multinationales travaillant avec l’euro et les classes africaines aisées, au détriment de l’emploi, de l’industrialisation et du dynamisme des PME locales. Le maintien de ces caractéristiques pour l’eco va donc à l’encontre des revendications des classes populaires d’Afrique de l’Ouest, victimes du chômage de masse et de la faiblesse du tissu économique, qui veulent depuis longtemps en finir avec cette monnaie issue de la colonisation française.
En même temps, la réforme de l’eco proposée par Paris entre en conflit avec la volonté de la CEDEAO de mettre en place une monnaie unique, l’eco CEDEAO. Cette stratégie a créé une très forte tension au sein de la CEDEAO qui a l’impression de se faire voler sa réforme par Paris.
Christian Hutin. Absolument !
Jean-Paul Lecoq. C’est une stratégie tout à fait volontaire : l’exécutif français veut couper court aux exigences de la réforme de la zone monétaire CFA par une réforme minimale qui supprime, notamment, le nom de la monnaie, afin d’empêcher une réforme monétaire de la CEDEAO qui mettrait en danger ses avantages économiques en Afrique de l’Ouest.
Une structure monétaire inchangée, une réforme précipitée au bénéfice des multinationales européennes, la volonté d’affaiblir le projet monétaire de la CEDEAO pour en prendre la place : tous les éléments sont réunis pour que la réforme ne fasse qu’empirer la situation actuelle. Je vous invite à voter contre le projet de loi.