Notre société évolue vers une égalité de plus en plus grande entre les sexes ; mais en ce début de XXIe siècle, cette évolution n’est pas encore assez significative, car aujourd’hui le mouvement pour l’égalité des genres est dans une impasse. Partout dans le monde, les femmes et les filles sont encore victimes de discrimination et de violence sexiste. Elles doivent encore se battre pour l’intégrité physique de leur corps.
Cependant, à l’occasion de la Journée internationale de la Tolérance Zéro pour les mutilations génitales féminines, que l’on célèbre chaque année le 6 février, les organisations qui luttent contre cette coutume obsolète depuis des décennies ont décidé d’unir leurs forces.
Les Mutilations génitales féminines (Mgf) comprennent toute procédure qui modifie les organes génitaux féminins pour des raisons non médicales et constituent une violation des droits fondamentaux des femmes et des filles. Cette pratique viole également leur droit à la santé sexuelle et reproductive.
C’est un problème universel qui touche des pays d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Asie, l’Irak, l’Iran, l’Afghanistan, la Malaisie, l’Indonésie et des pays d’accueil européens etc., selon les témoignages que nous avons reçus au niveau des foyers de réfugiés en Allemagne.
Certaines cultures justifient les mutilations génitales féminines, par un système d’appropriation et de contrôle du corps, de la sexualité et de la fertilité des femmes et des filles. Cette pratique archaïque et patriarcale repose sur un socle de normes sociales et des croyances religieuses erronées. Or ni la Bible, ni le Coran ou la Thora n’exigent qu’une fille ou une femme soit excisée.
«Les Hommes pour l’Egalité entre Femmes et Hommes»
Cependant, la sensibilisation et l’éducation, soutenues par le travail de femmes engagées, et celui du personnel de la santé, avec la participation active des hommes, pourraient donner un souffle nouveau à la réalisation de la Tolérance Zéro pour les mutilations d’ici 2030. En effet, l’engagement des hommes dans la lutte pour l’égalité des sexes est un signal fort qui montre que la société doit prendre conscience que cette égalité est encore loin d’être acquise, malgré les progrès réalisés. Car tant que «les princes charmants» ne déclareront pas clairement qu’ils sont prêts à épouser des femmes non excisées, la pratique des mutilations perdurera.
La lettre de protection du gouvernement allemand «Der Schutzbrief»
Dans cette optique, le ministère fédéral de la Famille, des personnes âgées, de la femme et de la jeunesse, le ministère de la Coopération, le ministère de la Justice, le ministère des Affaires étrangères et la Chancellerie, en collaboration avec l’organisation gouvernementale «Lessan» de Mme Gwladys Awo, viennent de publier une «Lettre de protection» afin que les communautés qui pratiquent l’excision soient informées – vu que nul n’est censé ignorer la loi. C’est un document officiel du gouvernement allemand et un signal fort vers les communautés qui pratiquent les mutilations génitales féminines.
Cette «Lettre de protection» a été officiellement présentée par la ministre de la République Fédérale d’Allemagne, lors de notre visio-conférence du 4 février 2021. (https://transfer.initvideo.de/s/3ZELorDzfFaqasc) que nous avons organisé au sein du parlement européen.
Le but de cette lettre, c’est de briser le tabou par la sensibilisation et la prévention. C’est pourquoi, il est nécessaire de sensibiliser les communautés qui, en Allemagne, pratiquent les mutilations génitales féminines, sans les stigmatiser, ou les discriminer, mais en protégeant leur fille. Cette lettre se trouve sur le site du ministère de la Famille et peut être téléchargée et commandée sur les sites web des ministères concernés, des Etats fédéraux et de plusieurs organisations non gouvernementales (Ong). A l’avenir, le dépliant imprimé sera disponible dans les Ong, les centres de conseil et les cabinets médicaux pour aider le personnel de conseil à sensibiliser les gens.
La «Lettre de protection» est traduite en anglais, français, arabe et en langues africaines et asiatiques. Elle informe sur les conséquences juridiques pour toute personne qui pratiquerait une excision sur une fille ou une femme lors d’un voyage au pays. Elle sera passible de sanction, à son retour en Allemagne, qui peut aller jusqu’à 15 ans d’emprisonnement et perdre ensuite son permis de séjour.
Il en est de même pour les mariages forcés des filles et garçons de moins de 15 ans. Cette lettre de protection a l’avantage pour les familles d’émigrés qu’elles peuvent ainsi se soustraire à l’emprise de leur famille lorsqu’elles retournent dans leur Patrie, ou envoient leurs filles en vacances. La pression qu’une tierce personne exerce est une forme de violence subtile sur le plan psychologique. En effet, de nombreux migrants ont fait part de leur inquiétude et leur impossibilité de refuser que leur fille soit excisée lorsqu’ils se trouvent face à leur famille au pays. Les railleries, la peur de la malédiction, ou l’exclusion de la communauté d’origine, les incitent à accepter une excision que, en général, ils n’approuvent pas, conscients des conséquences néfastes qu’une telle opération pourrait avoir sur la santé de leur fille. Or, les menaces, la coercition et la peur sont des formes courantes de violence psychologique pour atteindre des objectifs spécifiques tels que celui d’exciser une jeune fille.
En ce sens la lettre de protection vient à point et leur sert de bouclier et de défense, car les parents peuvent maintenant librement refuser de faire exciser leur fille ; sans s’attirer les foudres de leur communauté ou de leur famille élargie qui ne souhaitent certainement pas qu’ils soient emprisonnés lors de leur retour en Allemagne – ce qui signifierait aussi pour eux, la perte de l’aide financière qu’ils reçoivent en général des migrants parce qu’ils auraient laissé exciser leur fille durant leur séjour au pays.
Les effets de la pandémie Covid-19
Les effets de la pandémie actuelle sont, en outre, désastreux. La fermeture des écoles, des jardins d’enfants, et des centres de prévention, conduit à l’isolement et à la recrudescence disproportionné de la violence domestique, mais aussi à des cas de pratique de mutilations. Les femmes et les jeunes filles n’ont plus aucun endroit vers lequel se tourner et donc personne à qui se confier. Elles sont à la merci des exciseuses qui opèrent secrètement. Il y aurait eu de nombreux cas de mutilations, durant cette période à Brême et à Hambourg ; même si jusqu’à ce jour, officiellement personne n’a été condamné ou jugé pour avoir enfreint la loi. Une culture générale du silence prévaut dans de nombreux groupes ethniques, ce qui ne fait qu’aggraver la situation en raison du manque de contact pour les femmes immigrées.
L’Union européenne et les Mutilations
L’Union européenne soutient financièrement les organisations comme Lessan e.V. -avec son projet «Les hommes s’engagent pour l’égalité des sexes», dont nous sommes la marraine. Cette association comme tant d’autres dans ce domaine, en Allemagne, contribue à protéger l’intégrité physique des femmes et des jeunes filles dans le respect des cultures de chacun, afin que nous puissions parvenir à l’abolition des mutilations génitales féminines et des mariages forcés. Toutefois, nous tenons à rappeler que nous ne luttons pas contre les traditions, mais pour l’abolition des actes de violence qui affectent la santé des femmes et des filles.
C’est pourquoi la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe est un traité important. Elle condamne la violence à l’égard des femmes qui est considérée comme une violation grave des droits humains. Les violences domestiques sont répandues dans toute l’Europe, même si nombreux sont ceux qui veulent encore fermer les yeux là-dessus. 33 pays européens ont déjà ratifié la Convention, cependant six autres qui font partie de l’Union européenne n’ont toujours pas ratifié la Convention d’Istanbul. Il nous reste encore du pain sur la planche en termes de mise en œuvre de ce traité par tous les Etats membres.
Le 11 février 2020, nous étions le rapporteur pour notre parti «Bündnis90/die Grünen». (Les Verts) de la résolution au Parlement européen pour développer une stratégie de l’Union européenne afin de mettre fin aux mutilations (Mgf) à l’échelle européenne. Cette résolution a été adoptée à une large majorité. La résolution admet, par exemple, que les mutilations génitales sont une violation flagrante et systématique des droits humains, une forme de violence contre les femmes et les filles et une expression de l’inégalité entre les sexes qui n’est liée à aucune religion ou culture particulière. Les mutilations sont désormais reconnues en Europe comme un problème universel qui touche au moins 200 millions de femmes et de filles dans le monde et dans plus de 40 pays. En Allemagne, ce serait au moins 70 000 femmes qui en sont victimes, selon les derniers sondages et près d’un million en Europe. La résolution souligne également que l’article 38 de la Convention d’Istanbul exige des Etats membres qu’ils sanctionnent toute personne qui incite, contraint ou recrute une fille pour qu’elle subisse une Mutilation génitale (Mgf). La Convention protège non seulement les filles et les femmes exposées au risque d’excision ou Mgf, mais aussi celles qui subissent les conséquences de cette pratique.
Violence et pression psychique
Le spectre de la violence psychologique est très large et les cicatrices sont généralement plus difficiles à guérir que dans les cas de la violence physique. Or, la violence psychologique, qui se situe au niveau de l’émotion, et les traumatismes qui en découlent sont rarement pris en compte dans les cas de mutilations. Elle fait donc moins souvent l’objet de recherches et de débats. Cependant, cette situation est particulièrement précaire dans un environnement tel que les foyers pour réfugiés, ou les communautés de migrants par exemple, où la question de la violence d’une façon générale demeure encore taboue. Les panélistes de l’organisation-partenaire de «Lessan» basée en France, ont donné la parole aux médiateurs qui ont déploré que lors de la demande d’asile, il n’existe aucun formulaire, aucune case à cocher où la question des mutilations est mentionnée. Lors des consultations et interrogatoires, les femmes excisées doivent révéler une partie intime de leur vie et revivent ainsi leur traumatisme.
Souvent ces auditions sont faites par des décideurs hommes ainsi que les médecins qui passent la visite aux demandeuses d’asile ; ce qui est contradictoire aux valeurs des Etats membres. Tous les Etats membres doivent respecter la dignité de ces femmes vulnérables et les faire ausculter uniquement par des femmes-médecins. Tout comme les auditions devraient se faire par du personnel sensible à la problématique des mutilations génitales féminines.
Conclusion
Nous remercions bien sincèrement le gouvernement allemand pour avoir envoyé un signal fort aux communautés de réfugiés et de migrants d’Allemagne, avec cette lettre de protection, afin qu’elles puissent protéger leurs filles sans craindre la colère de leurs familles. Si, ensemble nous unissons nos efforts, nous aurons la chance de réussir le pari d’atteindre la tolérance zéro d’ici 2030 ou de nous en rapprocher à grands pas. Le 6 février 2021 tire la sonnette d’alarme pour que rien, ni même la Covid-19 ne soit une excuse pour justifier l’absence, la réduction des efforts humains, matériels et financiers dans la poursuite de la lutte pour l’élimination des mutilations génitales féminines ; conformément au thème de cette année proclamé par le Comité-Inter-Africain (Ci-Af). «Aucune excuse pour l’inaction mondiale : Unissons-nous, finançons et agissons pour mettre fin aux mutilations génitales féminines.»
Dr. Pierrette HERZBERGER-FOFANA
Députée au
Parlement européen