C’est un épais brouillard qui s’est abattu sur le Sénégal au petit matin de ce 5 février 2021. De l’incrédulité à la stupeur en passant par la sidération, les Sénégalais découvrent en manchette dans tous les médias du pays, une affaire d’agression sexuelle présumée impliquant une personnalité politique de tout premier plan. Le pays est sous le choc. C’est tout le Sénégal qui est saisi de vertige à la révélation d’accusations dont la gravité percute de plein fouet, le principal opposant au pouvoir en place.
Ousmane Sonko, leader du parti les Patriotes du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité́, (Pastef-Les Patriotes) est visé par une plainte pour des faits de viols répétitifs et menaces de mort avec arme(s) à feu sur une fille d’une vingtaine d’années, employée dans un salon de massage, le «Sweet Beauté».
L’information fait l’effet d’une bombe. Le souffle de sa déflagration se propage à la vitesse de l’éclair. Les accusations criminelles portées contre Ousmane Sonko sont d’une si extrême gravité qu’elles pourraient pulvériser la fulgurante ascension de ce quadra, prétendant à la fonction présidentielle, ancien inspecteur des impôts radié de l’Administration par un régime dont il est devenu la bête noire mais adulé par de larges franges de la jeunesse sénégalaise.
Alors moins de 24 heures après l’éclatement de l’affaire, les thèses conspirationnistes se répandent dans les médias et sur le web et cette question qui agite tous les esprits. Et si c’était un complot ? L’hypothèse enfle. Elle est rapidement brandie par les partisans du leader de Pastef en réponse à l’intensité de l’explosion émotionnelle créée par le «scandale *» et à la stature de l’accusé.
Le refus de la mise à mort politique
Voilà que ce qui n’était au départ qu’une simple affaire de mœurs, prend très vite une tournure politique. La convocation de Ousmane Sonko pour les besoins de l’enquête déclenche la colère de ses partisans. La violence de leur réaction est à la hauteur de leur pleine certitude qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’un «attentat politique» qui a pour seul objectif, la condamnation à mort électorale de leur leader. Des manifestations éclatent simultanément dans plusieurs localités du Sénégal. Certains quartiers de la capitale Dakar offrent le spectacle d’une ville en état d’insurrection. Affrontements avec les forces de sécurité, magasins incendiés, voitures brûlées, des milliers de jeunes affichent leur ferme détermination de refuser la mise à mort politique de celui qui incarne à leurs yeux, la République exemplaire, celle des valeurs. L’exemplarité et la probité : les deux moteurs à propulsion de l’attention que suscite Ousmane Sonko, lui qui veut faire graver son nom au fronton du temple de la morale publique comme d’autres s’agitent pour apposer leur patronyme sur les façades d’immeubles souvent mal acquis.
Sonko, bien plus qu’un opposant
Le leader de Pastef irradie l’ensemble du champ politique national au point d’en devenir le centre de gravité. Adossé à une rhétorique acerbe et redoutable contre la gouvernance du pays, son aura se propage bien au-delà de l’orbite de son très jeune parti. Son capital attraction est à son paroxysme. Sa vision moralisatrice de la gestion des affaires publiques trouve de plus en plus un large écho chez les jeunes dont plusieurs centaines sont englouties au fond des océans en tentant de rallier l’Europe, espoir ultime pour eux de se connecter à l’espérance, hélas parce que la désespérance de ne compter pour rien ni pour personne, a fini de les désespérer de leur propre pays.
Pour toute cette jeunesse qui constitue le noyau dur de ses inconditionnels, Ousmane Sonko est plus qu’un opposant, il est un espoir. Il est plus qu’un chef de parti, il est un membre de presque chaque famille sénégalaise. Pour un Président dont la formule devenue proverbiale «réduire l’opposition à sa plus simple expression» est devenue le point cardinal de sa stratégie de conservation du pouvoir, la montée en puissance de son trublion d’opposant constitue une véritable insécurité politique.
Macky-Sonko, la gouvernance au cœur
Presque seul face à un régime qui tente par tous les moyens de le neutraliser et qui a déclenché contre lui une véritable vendetta, le leader de Pastef enclenche un discours de plus en plus radical. Il a trouvé son mantra dans le combat contre la corruption, la dénonciation des scandales financiers. Sa croisade contre la mauvaise gouvernance rapproche les Sénégalais de Ousmane Sonko là où le basculement dans l’inexemplarité d’une gouvernance qui nous avait été vendue comme «sobre et vertueuse», a éloigné Macky Sall de ses concitoyens.
Le chef de l’Etat avait promis au Sénégalais lors de son accession au pouvoir en 2012, «une présidence de rupture et de progrès», neuf ans plus tard, le sentiment le plus partagé est qu’il aura tout fait reculer : la démocratie, l’économie, la cohésion nationale, la morale politique et le moral des Sénégalais. Au même moment, les scandales financiers, les fiascos judiciaires, les divisions, les tensions, les fractures et les reniements auront connu une progression fulgurante. Quid de son fameux slogan «la Patrie avant le Parti», une belle escroquerie car il y a eu incontestablement tromperie sur la marchandise, tant la République est devenue avant tout celle des copains et des lobbies, sur fond d’une gestion consanguine, avec la présence ombrageuse des parents du couple présidentiel tout au sommet de l’Etat.
Sonko est la condamnation de Macky
Ni sauveur ni messie, Ousmane Sonko n’est que la conséquence de tant d’outrances qui ont ruisselé tout le long et tout au long de la mandature du Président qui, depuis bientôt neuf ans, écrase toute la République de tout son poids. Comme si tous les pouvoirs ne devaient porter qu’un seul nom : Sall. Comme si le Sénégal ne devait répondre que d’un seul prénom : Macky.
Sa posture martiale en toute circonstance de bander les muscles, de ne jamais dire «je regrette ou je me suis trompé», de ne pas reculer, de ne pas dialoguer, de ne pas se montrer vulnérable a fini par créer chez le chef de l’Etat, le fantasme et l’illusion de la puissance. Voire cette puissance de l’illusion qui peut lui faire croire qu’il peut contrôler le Sénégal et sa réalité, son destin et ses institutions, avoir droit de liberté et de restriction, de vie et de mort politiques sur tous ses opposants. Le Pastef est le verdict d’une dérive autoritaire, Ousmane Sonko, la condamnation d’une gouvernance faite scandales.
Macky Sall avait fait de son encombrant opposant le cœur du réacteur politique sénégalais, aujourd’hui, il est tout simplement en train de lui enfiler le costume d’homme providentiel de la République. Et le potentiel électoral considérable de Ousmane Sonko en fait incontestablement un sérieux prétendant pour la prochaine Présidentielle prévue dans trois ans. A l’échelle des temporalités politiques, autant dire la semaine prochaine.
Le Sénégal assis sur un volcan séminal ?
Alors, normal que le spectre du «scénario à la Karim Wade et Khalifa Sall», tous deux broyés politiquement dans l’étau judiciaire et privés d’une candidature prometteuse lors de la dernière élection présidentielle, refasse surface avec l’affaire du «Sweet Gate». Car si Ousmane Sonko est condamné pour les faits qui lui sont reprochés, c’en sera fini de ses ambitions présidentielles.
Au Sénégal où les calendriers judiciaires et électoraux se télescopent plus souvent qu’à leur tour, dans un pays où certains juges peuvent troquer leur code pénal contre un code électoral, les partisans de Ousmane Sonko peuvent légitiment nourrir quelques craintes de la part d’une justice souvent amputée de ses adjectifs «équitable, impartiale et juste» lorsqu’il est question d’affaires politico-judiciaires. Toutes choses qui expliquent pourquoi moins d’une semaine après le déclenchement du «Sweet Gate», de plus en plus de voix s’élèvent pour évoquer la thèse du complot contre le leader du Pastef. Alors question : à qui pourrait profiter le scandale ?
Que personne ne vienne crier à la manipulation des opinions. Mais il est un fait incontestable et indéniable. Jusque-là, tout ce qui ressort de la publication des nombreux éléments d’une enquête à ciel ouvert, laisse penser sans parti-pris, qu’il sera plus facile de trouver les preuves de l’existence de traces d’océan à Tambacounda que celles de viols répétitifs et menaces de mort avec armes à feu dans un salon de massage où les deux protagonistes n’étaient pas seuls.
Dans cette affaire hors norme, aux relents politiques certains, où indices de culpabilité et preuves d’innocence peuvent s’entrecroiser, s’entremêler jusqu’à s’entrechoquer, seule une justice avec des magistrats qui ne seront que «la bouche de la loi» pourra démêler le vrai du faux. Si Ousmane Sonko est déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés, il aura provoqué le plus grand crash politique de l’histoire politique sénégalaise récente. Le pays tout entier pourra alors remercier son accusatrice de l’avoir délivré d’une aussi grossière supercherie. Et la justice se devra d’être implacable.
Inversement, si l’hypothèse du complot politique pour faire tomber un futur présidentiable se vérifie, rien ne pourra atténuer ou apaiser une colère populaire aux effets potentiellement ravageurs et dont personne ne peut pronostiquer l’échelle et les conséquences. Le Sénégal est assis sur un volcan séminal dont seul l’Etat de droit peut en empêcher l’éruption. Voilà où nous en sommes après plus d’un demi-siècle d’indépendance, avec le huis clos d’un salon de massage qui fait retenir son souffle à tout un pays.
Inutile de dire que l’avenir immédiat risque d’être particulièrement dangereux. Dangereux pour la démocratie, dangereux pour la stabilité, dangereux pour la cohésion nationale. Quelqu’en soit l’issue, le Sénégal sortira profondément balafré de cette séquence politico-judiciaire, symbole scabreux de la crise morale et politique que traverse ce pays. Le président de la République Macky Sall, ne pourra en aucun cas, s’exonérer de ce sombre et piètre bilan.
Malick SY
Journaliste