Au milieu du tumulte qui a suivi le dernier meurtre d’un Américain « de couleur » commis par la police, une autre information est passée à peu près inaperçue. Or elle témoigne de façon tout aussi grave, et peut-être plus grave encore, du racisme d’État qui s’acharne en toute impunité, avec une tranquillité proportionnée à sa cruauté, sur les Noirs américains.
Ces derniers jours, la presse américaine était pleine du dernier meurtre commis par la police : un jeune homme de vingt ans, noir, a été tué lors d’un contrôle routier. La policière s’est, nous dit-on, trompée d’arme : elle voulait dégainer son Taser et l’a confondu avec son arme de service. C’est, depuis le meurtre de George Floyd, le quinzième – vous lisez bien, le quinzième – Américain « de couleur » à être abattu par la police. (Voyez la « list of unarmed black people killed by the police » tenue à jour par Renee Ater).
Au milieu du tumulte qui s’en est suivi, une autre information est passée à peu près inaperçue. Or elle témoigne de façon tout aussi grave, et peut-être plus grave encore, du racisme d’État qui s’acharne en toute impunité, avec une tranquillité proportionnée à sa cruauté, sur les Noirs américains.
Voici cette information : un homme est sorti de prison. Cet homme, Guy Frank, a aujourd’hui 67 ans. Il a passé vingt ans de sa vie en prison.
Quel crime avait-il commis ?
Il avait volé deux chemises.
Oui, nous sommes aux États-Unis et au XXIe siècle.
Voici donc les faits : un jour de septembre 2000, Guy Frank a été pris en train de voler deux chemises dans un magasin « Saks Fifth Avenue » de la Nouvelle-Orléans.
Or, en Louisiane, si un accusé a déjà été condamné, les procureurs ont le droit de requérir des peines plus sévères que celles prévues par la loi pour le délit correspondant à l’affaire dont ils s’occupent.
Voici ce qu’en dit le Washington Post :
« Son cas montre comment les Noirs pauvres sont affectés de manière disproportionnée par ces peines extrêmes », écrit l’Innocence Project New Orleans, qui représentait Frank, dans un communiqué. « Il est difficile d’imaginer qu’un Blanc ayant des ressources reçoive cette peine pour ce délit. »
Bernette Johnson, l’ancienne présidente de la Cour suprême de Louisiane, a fait valoir que les lois de l’État sur les délinquants récidivistes remontent directement à des mesures destinées à maintenir les Noirs dans la pauvreté. »
Bernette Johnson sait de quoi elle parle. L’été dernier, la Cour suprême de Louisiane devait se prononcer sur le cas d’un homme condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir tenté de voler une cisaille à haie, et qui demandait, ayant déjà passé vingt ans en prison, s’il ne serait pas possible de réviser la sentence. À l’unanimité, la Cour suprême a décidé qu’il devait rester sous les barreaux. À l’unanimité moins une voix, celle de Bernette Johnson.