L’ENA, une école prestigieuse. Le passeport diplomatique, un privilège. Les Sénégalais ont toujours eu du respect pour le statut que confèrent l’Ecole nationale d’Administration à ses pensionnaires et le passeport diplomatique à ses bénéficiaires. Un respect parfois teinté d’envie à l’endroit des heureuses et heureux élus. Ce qui pouvait ressembler à une « injustice sociale » était finalement considéré comme normal. Tout allait bien jusqu’à ces derniers temps. Suspension du concours d’entrée à l’ENA pour le cycle A le jour même des épreuves, le 19 septembre dernier et celles du cycle B prévues le 3 octobre prochain. Le gouvernement s’est ainsi vu obliger de se soumettre à l’injonction de la Cour Suprême, saisie sur une question de « rupture d’égalité » par les candidats-fonctionnaires qui ont estimé avoir été expurgés à tort, de la liste des candidats autorisés à faire le concours direct. Une première dans l’histoire.
Les plaignants ne l’ont pas digérée, et la Cour Suprême leur a donné raison. Résultat des courses, le Secrétaire général du Gouvernement, qui a hérité du dossier du concours d’entrée à l’ENA après la suppression du poste de Premier ministre, s’est plié aux ordonnances du 16 septembre prises par le juge des référés administratifs de la Cour suprême. Après avoir rapporté ses propres arrêtés, le ministre Abdoulatif Coulibaly n’avait plus, à son tour, qu’à saisir le directeur général de l’Ecole nationale d’Administration en des termes non équivoques : « (…) les épreuves du concours direct A (…) sont suspendues jusqu’à nouvel ordre. » Cette mini-crise dans l’organisation du concours d’entrée à l’école d’élite qu’est l’ENA doit être saisie comme une opportunité. Quand c’est le pays qui a inventé un tel système d’élitisme décide de rayer le terme « énarque » de son vocabulaire, le pays qui l’a singé ne doit pas attendre longtemps pour réformer le sien. À défaut de l’abandonner.
Que dire du passeport diplomatique qui met en cause au moins deux députés de l’actuelle législature et un troisième de la législature précédente ? Certes les rappeurs et activistes Kilifeu et Simon, perdus par une vidéo digne d’un clip et d’un tube d’été, semblent avoir prêté le flanc. Il reste néanmoins que dans ce scandale présumé, le comportement des parlementaires, Mamadou Sall, Boubacar Biaye et Sadio Dansokho, ternit l’honneur de ceux qui se prévalent du titre… « Honorables Député ». Etre complices ou acteurs de mariages fictifs en jouant le jeu d’« époux fictifs » pour « épouses fictives » et « enfants fictifs » ! Expliquée au commun des mortels, l’affaire se décline comme suit : les honorables députés auraient joué le rôle de faux pères de famille dans une entreprise de fabrication de faux passeports diplomatiques à une échelle industrielle.
Au regard de la gravité des faits qui donne des céphalées, l’Assemblée nationale se trouve ainsi éclaboussée. Pas seulement elle. L’Exécutif qui délivre le passeport diplomatique se voit également interpelé jusqu’au niveau le plus élevé. La raison est simple : le document de voyage tant recherché ne porte pas la signature de n’importe qui. Vrai que le temps de la justice n’est pas le temps de l’opinion. Mais vrai aussi que plus vite Dame Justice à la démarche altière hâtera le pas, mieux ça sera. Le Monde diplomatique nous regarde avec nos « passeports diplomatiques » délivrés comme des cornets de cacahuètes. Combien de fois avons-nous été témoins de mésaventures de ministres et autres hauts fonctionnaires sénégalais avec leur passeport diplomatique, lors de contrôle de routine par la police des frontières à l’étranger !
C’est en pleine affaire de trafic de passeports diplomatiques qu’est sortie cette autre affaire de trafic de faux billets. Une vidéo diffusée en mondovision montre le député démissionnaire Bougazelli avouant son forfait et tentant de corrompre les gendarmes enquêteurs au moment de son arrestation. L’ex parlementaire est bénéficiaire d’une liberté provisoire qui perdure alors qu’il reste inculpé pour des faits gravissimes. Il y a maldonne quelque part : la justice ne peut pas priver de liberté Kilifeu du fait d’une vidéo livrée par un faux ami et laisser Bougazelli vaquer librement à ses occupations après la diffusion de la vidéo qui l’accable et qui aurait pour origine, la gendarmerie. Disons-le : cette méthode de délation il faut qu’on en parle. Le procédé est ignoble pour dire le moins. Même vis-à-vis de son pire ennemi et du pire des délinquants.