Il ne faut pas se laisser impressionner par les cris d’orfraie qui fusent çà et là : certains sont déjà saisis de panique tandis que d’autres tentent de semer la confusion dans l’opinion. Pourtant notre histoire politique récente confirme que l’alliance électorale de l’opposition est indispensable pour faire face au parti au pouvoir, Parti-État en réalité. Ceci est prouvé depuis, au moins la Coalition Alternance 2000 (CA 2000), le Front pour l’Alternance (FAL), la Coalition populaire pour l’alternative (CPA) et le Front Siggil Senegaal (FSS).
Que des partis et mouvements politiques d’opposition se coalisent aujourd’hui pour les élections locales du 23 janvier 2022 et en vue des prochaines élections législatives et de la présidentielle de 2024 est donc attendu et bienvenu pour ceux qui souhaitent que le Sénégal rompe enfin avec ce césarisme républicain qui annihile toute participation du peuple à l’État et qui a fini d’installer le découragement ainsi que le fatalisme chez les citoyens en même temps que l’irresponsabilité et la corruption chez les dirigeants.
La coalition Yewwi Askan Wi a-t-elle déjà échoué pour n’avoir pas d’emblée rassemblé l’ensemble de l’opposition ? En réalité, « l’opposition » est un concept qui recouvre dans la réalité des partis et des mouvements aux idéologies, idéaux, valeurs et visions différentes, parfois même divergentes voire opposées. Or ne s’assemblent que ceux qui se ressemblent. Le mariage de la carpe et du lapin, du bourreau et de la victime ne saurait prospérer, c’est bien connu.
On se souvient que la CPA qui réunissait notamment le Parti pour l’Indépendance et le Travail (PIT), le Rassemblement National Démocratique (RND), la Ligue Démocratique (LD), le Parti Socialiste et l’Alliance des Forces de Progrès (AFP) dans la perspective de l’élection présidentielle de 2007 a fini par voler en éclats, tiraillé entre les candidatures d’Ousmane Tanor Dieng et de Moustapha Niasse. La CPA fera place à trois pôles d’alliance : l’un constitué du RND, de l’AFP et du PIT ; le deuxième du PS et de la LD, rejoints par la suite par le parti Rewmi ; et le troisième animé notamment par le Parti Jef Jel de Talla Sylla et le mouvement Démocratie et Socialisme de Robert Sagna.
Que des partis significatifs de l’opposition tels le PDS et la LD-Debout ne soient pas de la coalition Yewwi Askan Wi est un mal pour un bien : d’autres coalitions se constitueront ainsi[1].
Ce que les partisans attendent de Yewwi Askan Wi, c’est de mettre en pratique dès à présent, – au-delà de la Charte du 2 septembre 2021- son crédo et ses engagements de gouvernance locale. Et ceci dès la phase de désignation des candidats dans les différentes circonscriptions. Sera-t-on capable de procéder par une véritable démocratie participative à la base ?
Pour « garantir au peuple sénégalais une expression libre, transparente et démocratique de son suffrage », sera-t-on capable d’éviter le parachutage, l’interventionnisme des notables et de lobbies religieux et la corruption ? Voudra-t-on, saura-t-on relever le challenge de mobiliser véritablement les citoyens, c’est-à-dire leur donner la parole, écouter leurs opinions et prendre en compte leur vœux et non les traiter en bétail électoral ?
Il s’agira bien entendu de faire la promotion des jeunes et plus particulièrement des femmes, en recherchant obstinément à réaliser la parité dans les listes de candidatures, à travers tout le pays.
Saura- t-on susciter l’avènement d’élus locaux d’un type nouveau : dévoués au service public local, qui sauront organiser la vie collective des villages et des quartiers de manière démocratique, qui s’engageront dans la réforme de la fiscalité locale sur la base d’une nouvelle clef de répartition des ressources nationales entre le niveau national et le niveau local pour la création selon les besoins de nouvelles sources de financement du budget local et pour la mise en place d’un important fonds d’équipement des collectives locales.
Pour une Charte de l’élu local Yewwi Askan Wi
L’élu local Yewwi Askan Wi doit prendre au pied de la lettre l’Article 81 du Code Général des Collectivités locales : « assurer à l’ensemble de la population, sans discrimination, les meilleures conditions de vie… » au lieu de se contenter de la fonction de commis municipal et du rôle de cacique local du parti, ce qui a été celui des maires et conseillers municipaux depuis toujours dans ce pays.
L’élu local élu par la coalition Yewwi Askan Wi devra mettre en œuvre véritablement l’Article 6 du Code Général des Collectivités locales selon lequel : « toute personne physique ou morale peut faire, au président du conseil départemental et au maire, toutes propositions relatives à l’impulsion du développement économique et social de la collectivité locale concernée et à l’amélioration du fonctionnement des institutions », resté jusqu’à présent une déclaration d’intention.
Il doit avoir pour mission première d’assurer le développement local de la commune, c’est-à-dire impulser en même temps l’économie, assurer la délivrance de services sociaux et permettre l’expression de la culture locale.
Dans l’exercice de son mandat, l’élu local Yewwi Askan Wi devra bien entendu rendre compte en permanence de sa gestion et répondre aux interpellations de la population.
Que n’établit-t-on pas d’ores et déjà, une Charte de l’élu local Yewwi Askan Wi, dans l’esprit du Code des Collectivités locales mais qui ouvre des perspectives nouvelles ?
Vers l’hégémonie de Yewwi Askan Wi
Les élus de Yewwi Askan Wi à l’issue des élections locales du 23 janvier 2022 auront donc la responsabilité historique d’instaurer au niveau local la démocratie participative pour le développement mais aussi de préparer les élections législatives (de 2023 ?) et présidentielles de 2024 qui permettront au Sénégal d’exercer enfin sa souveraineté.
Ils devront pour cela construire avec l’ensemble de la société civile faire preuve d’une culture nouvelle, basée sur le principe de la démocratie à la base, de l’égalité des citoyens entre eux, celui de la femme et de l’homme, de la prééminence du bien commun et des intérêts de la communauté.
Ils devront pour ce faire oser critiquer la culture ambiante dans ses valeurs féodales, religieuses, de caste et machiste qui font obstacle au développement économique et démocratique, dénoncer le « massla », le « mougn », le « griotisme » et les manifestations ostentatoires ; faire la promotion des véritables héros, résistants et entrepreneurs sociaux et culturels en lieux et place des colonisateurs et des oppresseurs encore sur des piédestaux.
La lutte culturelle à laquelle nous appelons ici serait la continuation de celles qui ont été menées dans les années 1960 et 1970 d’abord par Xarébi/And Jëff- Mouvement Révolutionnaire pour une Démocratie Nouvelle (MRDN) puis par le Rassemblement National Démocratique (RND).
Ce sont ces luttes qui ont réhabilité Aline Sitoe Diatta et Lamine Senghor notamment et qui ont vulgarisé les thèses révolutionnaires de Cheikh Anta Diop notamment sur la primauté des langues nationales dans le développement et l’urgence du panafricanisme.
Si les projets révolutionnaires de Xarébi/And Jëff- (MRDN) et du Rassemblement National Démocratique (RND) ont échoué, c’est certainement pour n’avoir pas mené la lutte culturelle jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à l’investissement des institutions culturelles dominantes que sont l’école, la radio et la télévision.
Aussi, les nouveaux élus de Yewwi Askan Wi devraient -ils enclencher dès à présent la lutte culturelle pour un Sénégal nouveau, en assurer résolument la direction morale et intellectuelle, de manière hégémonique, en y attirant les divers groupes de la population et la mener jusqu’à la victoire.
[1] Cette contribution a été écrite avant la création d’une nouvelle coalition de l’opposition avec entre autres le PDS et la LD Debout.