De partout, poussent comme des champignons d’hivernage, des candidats maires. Une campagne électorale prématurément illégale est lancée avec son cortège de violences. Légitimement, l’électeur sénégalais devrait se poser la question suivante : qu’est-ce qui fait courir autant les politiciens ?
A mon avis, ce n’est ni par patriotisme politique, encore moins pour apporter les changements souhaités dans la gouvernance des territoires. Ces politiciens sont prêts à verser du sang pour mettre la main sur le foncier, détourner le peu de taxes et impôts locaux ou se construire un bouclier politique afin de protéger leurs arrières de délinquants ou prévaricateurs des deniers publics. Dans un tel contexte, il est du devoir de tout patriote de susciter un débat de fond sur l’éternelle problématique du cumul des mandats.
Dans nos pays où peu d’élus se soucient de l’efficacité de l’action publique et de l’éthique de bonne gouvernance, le cumul des mandats et/ou de fonctions politiques est un fléau. Il n’encourage pas la rationalisation et l’efficience des ressources aussi bien humaines que financières d’une nation. Il est aussi un frein au renouvellement positif de la classe dirigeante. Cependant, dans ce registre, même si le Sénégal ne doit pas rougir devant la France où un cumul de cinq mandats électifs est fréquent, notre pays ne peut pas pavoiser devant d’autres nations comme l’Italie.
Dans ce pays, pour être éligible au Parlement, le maire doit démissionner de son mandat six mois avant les élections législatives. C’est parce qu’au pays de Machiavel, le député interfère dans le fonctionnement de l’exécutif sans remettre en cause le principe de la séparation des pouvoirs. Au Sénégal, même si nous sommes dans un régime de séparation des pouvoirs — selon la constitution — le ministre, le maire, le député, le DG ou le PCA restent dans une logique d’Etat-parti. Cette confusion des rôles est un frein à l’émergence d’un Etat démocratique orienté vers l’intérêt général. Avec l’Acte 3 de la décentralisation, l’espoir était permis.
Alors, il devient impératif de modifier la loi N° 96-11 du 22 mars 1996 relative à la limitation du cumul des mandats électifs et de certaines fonctions, afin de tenir compte de la suppression des communes d’arrondissement et du Conseil régional. Mais surtout tenir compte de la communalisation intégrale, de la création du Conseil départemental, des Pôles territoires et du Haut Conseil des Collectivités territoriales dont les membres sont élus pour partie et nommés pour le reste. Il est paradoxal que des ministres et des DG de sociétés nationales continuent à administrer un Conseil départemental, qu’un maire soit député et membre du Parlement panafricain, de la Cedeao ou de l’Uemoa.
A l’Assemblée nationale siègent beaucoup de députés qui cumulent plus de deux mandats électifs. Par ignorance des textes, pour certains, par logique de solidarité partisane, pour d’autres, ces députés cumulards ne sont pas sanctionnés. Seul un audit indépendant pourrait faire la lumière sur ces irrégularités manifestes. Mais au-delà du cumul de mandats et/ou de fonctions qui peut s’admettre dans certains cas, on devrait veiller à ce qu’il n’y ait pas de cumul des salaires, traitements ou d’indemnités mensuellement perçus.
En effet, selon les dispositions de l’article 102 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, «L’indemnité parlementaire ne peut être cumulée avec aucun traitement ni avec aucune indemnité ayant le caractère d’une rémunération principale (article 4 de l’ordonnance n° 63- 04 du 6 juin 1963).» Au regard de cette loi qui doit être appliquée dans toute sa rigueur, il faut exiger le remboursement au Trésor public des sommes indues. Par exemple, les députés qui cumulent des mandats et/ou des fonctions perçoivent des indemnités ayant le caractère d’une rémunération principale (indemnités parlementaires au Sénégal et à l’étranger, salaire de maire, indemnités mensuelles de représentation dans les conseils d’administration ou de surveillance, etc.)
L’Ofnac a une occasion en or d’enquêter sur l’enrichissement sans cause de ces cumulards. Qui plus est, une concentration de plusieurs mandats et fonctions ne favorise pas la promotion interne au sein des partis politiques. Mieux, le cumul n’assure pas une distribution équitable des rôles dans la mise en œuvre des politiques publiques. Ce qui induit une mauvaise rationalisation des ressources humaines politiques et une inefficacité de l’action publique. Il appartient d’abord aux partis politiques de fixer des limites que leurs dirigeants ne pourraient pas franchir si les textes ne sont pas assez contraignants pour le moment.
Ensuite, il est urgent de légiférer sur la question, à tout le moins prendre des mesures d’ordre administratif pour éviter l’abandon de nos collectivités territoriales par ceux-là qui acceptent des fonctions d’État et qui pensent que le mandat local est une forteresse politique imprenable en cas de limogeage. Pire, c’est le temps qui manque le plus aux élus qui exercent des fonctions étatiques. C’est d’ailleurs pour cette raison que Lionel Jospin n’a jamais voulu admettre de ministre-maire dans son gouvernement quand bien même la législation française admet le cumul des fonctions de ministre et le mandat d’élu local.
Paradoxalement, au Sénégal, il est même courant d’entendre un ministre ou un DG se glorifier d’avoir cédé son salaire de maire au profit de telle ou telle catégorie de sa commune comme si le cumulard avait des droits sur l’intégralité du salaire et des indemnités versés à l’édile local. Qui plus est, avec les absences répétées de leurs élus, les électeurs se sentent toujours trahis par les élites qu’ils ont choisies pour la gestion de leur cité. L’absentéisme est la chose la mieux partagée dans les conseils municipaux qui peinent à réunir leurs membres.
Et pour réconcilier le citoyen et l’homme politique que le premier considère comme un privilégié, un large débat franc et fécond doit s’instaurer sans subjectivisme pour éradiquer un tel fléau et restaurer la crédibilité de l’homme politique dont l’image prend un sacré coup au fur et à mesure que les alternances se succèdent.
Dans un contexte de déclaration de candidatures tous azimuts, le Président Macky Sall, chef de l’Exécutif mais aussi de la Coalition BBY, gagnerait à corriger l’obsolescence de la loi sur le cumul des mandats, d’une part, et à siffler la fin de la récréation dans son camp qui risque d’imploser à cause du choc des ambitions que l’on pourrait éviter en instaurant des garde-fous infranchissables, de l’autre . À défaut d’un arbitrage politique qui s’annonce difficile, l’instauration d’un cadre légal plus contraignant aurait l’avantage de remettre de l’ordre dans ce charivari. Et les investitures n’en seraient que plus aisées.
Babacar GAYE
Un candidat à rien du tout
NB : Merci de cliquer ci-dessous pour s’informer du modèle français qui est loin d’être parfait, au demeurant. https://www.collectivites-locales.gouv.fr/institutions/le-regime-indemnitaire-des-elus