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Les Tares CongÉnitales De La DÉmocratie SÉnÉgalaise

Les Tares CongÉnitales De La DÉmocratie SÉnÉgalaise

Ce texte a servi à la communication de l’auteur lors de son intervention à la conférence-débat inaugurale du Pencum WARC, le nouvel espace d’échange citoyen sur le Sénégal, mercredi 22 septembre sous le thème : « Pratiques politiques au Sénégal d’hier et d’aujourd’hui »

On peut difficilement traiter des « pratiques politiques au Sénégal » sans porter notre regard sur les origines de la vie politique dans notre pays.

La colonie au Sénégal occupait une place singulière dans l’Empire colonial français. À la fois pour des raisons stratégiques en raison de la situation géographique du pays, mais également suite aux événements politiques intervenus en France. Ainsi, la révolution de 1848 qui décréta l’abolition de l’esclavage dans tout l’Empire français avait conféré aux indigènes du Sénégal le droit de vote.

Certains chroniqueurs disent « dans un excès de générosité » tandis que d’autres qualifient « cet acte d’improvisé ».

En même temps que la Constitution vote la libération des esclaves dans tout l’Empire français, «plus un seul esclave sur le sol français», on vote la représentation des colonies au parlement par décret du 5 mars 1848. Le gouvernement provisoire qui renversa la monarchie dispose que le nombre total de représentants du peuple (toutes colonies et dépendances françaises y compris l’Algérie) sera de 900. Un minimum de voix sera exigé pour valider ces élections dans la colonie du Sénégal… 1000 voix. Et comme il n’y avait pas 1000 citoyens français dans toute la colonie – Sénégal, cela induit que le suffrage des autochtones était implicitement prévu (source : Wesley Johnson « La naissance du Sénégal contemporain » Ed.Karthala).

Ainsi, les premiers élus du Sénégal étaient les élus non seulement des commerçants, officiers et fonctionnaires immigrés, mais également des esclaves libérés et des indigènes de Gorée et Saint-Louis.

Tout cela a été rendu possible grâce à une instruction de 1848 qui dispensait les indigènes d’une preuve de naturalisation. C’est un nom bien connu qui a mis en œuvre cette décision gouvernementale. Il s’agit de Victor Schœlcher, Sous-Secrétaire d’État du ministère de la Marine et des Colonies, à l’origine des droits politiques accordés aux Noirs et aux Mulâtres.

L’ensemble de ces élus siègent au sein du Conseil Général de Saint-Louis qui a pour fonction de donner son avis sur les budgets, compter les recettes et dépenses et faire connaître les besoins et vœux de la colonie.

C’est dans les « Quatre Communes » Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis que prend naissance la politique de type européen avec des institutions d’administration locale dirigées par des citadins. Ces citadins sont des Européens établis, des créoles ou mulâtres et des Africains.

La figure éminente de l’époque, Blaise Diagne, à son retour en 1914, ouvre une longue période d’affirmation et de conquête progressive de droits politiques qui permit à des Africains de remplacer l’élite franco-créole comme force dominante de la politique locale.

On peut même affirmer que l’assimilation restait encore, à ce stade, l’objectif politique majeur, associé à des préoccupations d’ordre social, économique, etc.

L’exemple sénégalais constitue une exception dans l’Empire français en Afrique Noire puisque l’exercice de l’activité politique n’était pas interdit, mais autorisé dans les Quatre Communes. Et, par voie de conséquence, les citoyens dits « originaires » pouvaient participer aux activités de l’État français. C’est ce qui explique que la quête de l’assimilation fut le but premier des luttes politiques menées par les leaders politiques sénégalais.

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Aussi lorsque l’on repasse en mémoire l’histoire politique du Sénégal depuis l’indépendance, force est de reconnaître qu’il se distingue par une relative stabilité politique qui tire son origine d’une longue tradition d’association/participation des élites aux affaires publiques.

Sérères, Wolofs, Toucouleurs, Diolas, Chrétiens, Musulmans, Animistes, tous ont contribué à l’édification d’un système politique stable, fondé sur des valeurs empruntées à la France et issues de nos propres valeurs endogènes. Il en a résulté un système politique dont les fondamentaux perdurent encore de nos jours qui favorisent une vie politique fondée sur des valeurs qui transcendent les barrières communautaires, religieuses et les préjugés de toute nature.

C’est sur ces fondements que la politique contemporaine – moderne – s’est développée depuis la deuxième moitié du XXe siècle…à Saint-Louis, puis progressivement au reste du pays.

Le clientélisme, forme première de la pratique politique

Les élus représentant de la colonie du Sénégal consacraient leurs démarches et activités politiques à la mise sur pied d’un Conseil municipal à Saint-Louis afin de régler plus rapidement leurs problèmes sans devoir attendre une décision de la capitale. À force d’insistance et d’entregent auprès d’élus au Parlement français, le Conseil municipal vit le jour et dota la ville de moyens d’action rapides et au plus près des populations.

Parallèlement, ils disposaient de moyens de fidélisation de leurs électeurs grâce à des facilités que leur accordaient les marchands et autres maisons de commerce : octroi d’une bicyclette payable à tempérament, obtention d’une bourse pour les élèves méritants, réalisation d’équipements sociaux etc.

Par ailleurs, la société saint-louisienne connut quelques transformations dans la vie quotidienne, suite, par exemple, à la libération des esclaves. Certains d’entre eux progressaient en condition et devenaient finalement des hommes libres.D’autres choisissaient de rester dans les maisons de leur ancien maître et nouaient avec ces derniers de nouveaux liens sur une base coutumière.

Ces évolutions vont influencer les pratiques politiques, car les esclaves libérés pouvaient devenir, au fil du temps, conseillers des chefs ou des rois locaux. Cette transformation des relations entre le maître et son ancien esclave va se traduire sur le plan politique par l’accession aux postes de décision d’hommes précédemment classés au bas de l’échelle sociale traditionnelle.

Grâce à cette fonction « d’ascenseur social », une classe politique va prendre naissance et son éveil politique exercera progressivement son influence au-delà des « Quatre Communes » et des limites mêmes de la colonie du Sénégal. Situé géographiquement à l’avant-garde de l’AOF par ses écoles, son université, sa presse, ses traditions marchandes et son hospitalité, le Sénégal va ainsi accueillir des générations montantes des pays voisins venus s’y former.

Si le principal marqueur reste le clientélisme en politique qui perdure encore, la période voit également s’instaurer un parlementarisme actif au sein des diverses assemblées tel le Conseil général de Saint-Louis qui permettait de débattre de questions purement locales ou de se prononcer sur les débats en cours au parlement français en métropole.

De la sorte, la vie politique sénégalaise se distingue par une relative liberté d’expression et une grande ouverture sur l’Occident à travers la France, offrant ainsi l’image d’une nation adulte, ouverte aux autres pays africains, accueillants sans difficulté chrétiens et des gens de toutes confessions ; et, après l’indépendance, des hommes et des femmes victimes de répression politique dans leurs pays, (Haïtiens, Guinéens, Angolais, Rwandais, Bissau-guinéens, Cap-verdiens, etc.).  Là encore, la vie politique et intellectuelle sénégalaise va gagner en diversité et s’enrichir de la confrontation d’idées avec celles de ces étrangers en exil.

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Dans ce contexte, et à l’image du système politique français, le véritable pouvoir reste au niveau des assemblées locales ou fédérales réunissant les élus issus du suffrage des électeurs. Ces « grands électeurs » comme on les appelait exerçaient une influence réelle sur l’ensemble de l’exécutif colonial et par voie de conséquence sur celui de la métropole. Ainsi peut-on trouver rétrospectivement dans ce bicéphalisme originel la cause profonde de la crise de 1962 qui opposa le président du Conseil Mamadou Dia à Léopold Sédar Senghor, président de la République. Cet événement intervient dans le contexte de la guerre froide, moment historique majeur consécutif à la seconde guerre mondiale et qui désigne la confrontation idéologique entre les deux blocs de l’Est et de l’Ouest, chacun voulant orienter la conduite des affaires du monde selon sa propre vision. Les dirigeants sénégalais, au prétexte d’une spécificité culturelle africaine vont choisir la recherche d’une troisième voie propre : « La voie africaine du socialisme » dont le président Senghor se fera le théoricien et porte-parole. Cependant, en dépit du bien-fondé de cette approche négro-africaine, les réalités socio-économiques du Sénégal présentaient encore de nombreux vestiges du système colonial, provoquant un sentiment général d’une indépendance formelle et non réelle.

Les élites intellectuelles, économiques tout comme la jeunesse urbaine, supportaient de moins en moins cette prolongation du système colonial dans un État indépendant. La contestation prit de multiples formes, tel que le marxisme-léninisme du PAI, le syndicalisme et ultérieurement la contestation en milieu scolaire et universitaire. Le pouvoir sénégalais n’eut pour seule réponse que la répression policière ou administrative. Adossé à un parti unique qui disposait d’une forte assise électorale dans les zones rurales, le pouvoir senghorien, conscient de la nécessité d’une stabilité durable indispensable pour attirer investisseurs et partenaires au développement, décida d’une ouverture démocratique. Désormais, la vie politique s’organise autour de quatre (4) grands courants idéologiques représentatifs à l’échelle mondiale, à savoir : libéral -capitaliste, conservateur, marxiste/communiste et social-démocrate. Cette nouvelle donne aura deux effets majeurs sur la vie politique sénégalaise : d’une part les divers partis et mouvements d’opposition peuvent désormais sortir de la clandestinité et agir au grand jour sans risque répressif. C’est la fin formelle du parti unique, des tracts et autres actions clandestines d’incitation de la jeunesse à la révolte. Et d’autre part, le régime de Senghor, ce faisant, entreprend de mettre le Sénégal à l’heure du monde grâce à ce pluralisme multipartite limité et encadré.

Pour l’opposition, cela implique désormais un changement de ses méthodes de lutte et de conquête du pouvoir par des voies légales. Quant au pays dans son ensemble, il connaîtra une évolution palpable de ses pratiques politiques à travers des confrontations d’idées, de programmes à la faveur de nombreux débats publics contradictoires, contribuant à l’éveil politique des populations, notamment des jeunes et des élites montantes. (Cf Club Nation et Développement). On qualifiera ainsi le Sénégal de « vitrine de la démocratie africaine. » Pour autant, le clientélisme continuera à être le moyen privilégié aux mains du pouvoir de fidélisation de l’électorat, et constituera, de fait, un avantage acquis considérable pour le régime en place depuis l’indépendance ; jusqu’à son renouvellement lorsque le président Senghor se retirera en 1981. Les premières années de cette ouverture démocratique seront animées, passionnantes, et verront éclore une presse foisonnante, des radios indépendantes. Cela permettra l’entrée sur la scène politique de multiples formations politiques. Le président Diouf élargira cette ouverture démocratique en levant la barrière des quatre courants instaurée par son prédécesseur. Mais il ira encore plus avant dans cette volonté démocratique en faisant adopter un nouveau code électoral en 1990 qui sera salué par l’ensemble de la classe politique.

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Toutefois, cette évolution du cadre démocratique national n’a pas eu pour effet un recul du clientélisme en politique et les pratiques du pouvoir comme des oppositions durent sacrifier aux exigences de « la politique politicienne » qui peut se résumer en deux paramètres : attachement à la personne du leader davantage qu’à ses idées ; l’argent comme nerf de la bataille politique.

Aussi, après la chute du Mur de Berlin et la « révolution conservatrice » symbolisée par l’arrivée au pouvoir de madame Thatcher, l’ouverture démocratique en Afrique n’aura pas de connotation idéologique comparable à celle des années 70-90, le discours dominant étant l’annonce d’un nouvel ordre mondial unipolaire. Au Sénégal, cela permet d’expliquer le paradoxe suivant : malgré la floraison de partis politiques légalement constitués et animés par des hommes souvent de grande valeur, l’offre idéologique et les projets de sociétés ne diffèrent pas beaucoup entre eux. Vingt années de pluralisme intégral et trois alternances au pouvoir n’ont pas résulté en une offre politique véritablement nouvelle et diverse. La persistance de la pratique clientéliste est assurément un des facteurs à l’origine de ce paradoxe.

De même, la fonction d’ascenseur social a fortement contribué à un afflux important de nouveaux intervenants dans le champ politique dont les différences programmatiques restent encore peu visibles.

En fin de compte, depuis l’héritage colonial, les pratiques politiques semblent avoir peu évolué sur le fond même si les formes s’adaptent régulièrement à l’air du temps, grâce à l’utilisation de l’outil numérique et des moyens de communication modernes permettant d’atteindre de larges couches de la population à moindres frais. Cependant, il faut s’inquiéter des dérives potentielles que peuvent produire ces nouveaux moyens de propagande auprès de cibles souvent vulnérables. Ce n’est pas l’outil qui est en cause, mais le manque de vigilance des personnes ciblées. On voit à travers l’actualité mondiale les risques de déflagration encourus par certaines sociétés démocratiques avancées sous l’effet d’influences externes véhiculées à travers les réseaux sociaux (populisme, islam radical, racisme et xénophobie à découvert, intolérance religieuse). L’alerte lancée par le Khalife général de la confrérie mouride constitue un message particulièrement opportun qui traite d’un phénomène de société – les réseaux sociaux – dont les dérives peuvent mettre en péril l’unité si précieuse de la Nation sénégalaise.

Même encore récentes et balbutiantes, ces dérives sont une préoccupation que partagent nombre de citoyens et d’observateurs, face aux risques de turbulences sociales qu’elles peuvent engendrer. Malgré la solidité des ressorts sur lesquels repose le vivre-ensemble sénégalais, la menace d’un dérèglement est à prendre au sérieux. 

Osons nous l’avouer : les pratiques politiques actuelles interrogent avec inquiétude sur l’état actuel et futur de la société sénégalaise.

bdiop@seneplus.com







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