Il y a exactement six jours, Petrosen Holding, via sa filiale services et trading, a inauguré sa première station de services. En soi, l’événement, ou ce qui fut une festivité grandeur nature, devrait passer inaperçu, juste dans l’ordre normal des activités de vente de carburant aux automobilistes.
En effet, le Sénégal compte pas moins de 30 compagnies de distribution de carburant, avec des stations sur tout le territoire national, même dans les coins les plus reculés, comme les corridors, vers les pays voisins et les zones frontalières. De ce point de vue, les Sénégalais savourent et apprécient un secteur où des compatriotes se sont particulièrement bien illustrés, tels que les fondateurs des stations-services Elton et, plus récemment, le travail remarquable de branding d’Edk ou Entreprise Demba Ka.
Mon intention n’est point de faire de la pub, mais ces compatriotes méritent notre respect et considération. Edk a bien conçu et relooké le concept du one stop, avec des méga-stations où même les lieux de prières et d’ablutions sont prévus. Eydon Oil, mis en place par l’un des fondateurs d’Elton, centralien et un des meilleurs Cv du secteur, apporte finesse urbanistique et meilleure conformité environnementale dans le choix des sites de ses stations-d ‘essence et de services. A côté de ces entreprises créées et dirigées par des fils de ce pays, il y a les majors comme Total et Shell qui instillent efficacité et innovation dans le secteur, car adossés à des maisons-mères aux activités bien intégrées dans le secteur pétrolier et gazier.
Le maillage national en stations-services, la présence massive de nationaux dans le secteur du carburant et bien sur les majors qui sont bien implantés dans le secteur permettent légitimement de se poser des questions sur l’opportunité et la pertinence de l’irruption de Petrosen trading et Services dans la vente de carburant, surtout dans un contexte de transition énergétique où la voiture électrique devra remplacer le moteur essence ou diesel, et de diminution tendancielle des marges dans la distribution de l’essence et du gasoil, surtout par les Pme, avec un petit nombre de stations-services.
Je considère, pour ma part, que c’est une mauvaise lecture par le top management de Petrosen de la vision du président de la République qui encourage des synergies et partenariats entre acteurs du secteur privé et du public et surtout le fait que nos espaces urbains, comme Dakar, comptent trop de points de vente de carburant et que cette coexistence ou cohabitation entre des produits pétroliers et des habitations peuvent engendrer l’irréparable. D’ailleurs, la Deec et la Protection civile doivent être plus regardants dans la délivrance des autorisations d’implantation de stations-services surtout à Dakar. Petrosen n’a aucun intérêt, même pour les besoins d’assurer un service public dans le secteur, à concurrencer le secteur privé local et national.
Si Petrosen a les coffres pleins de ressources, au point de se lancer dans les stations d’essence, la holding peut bien prendre des participations dans le capital des sociétés sénégalaises bien établies dans le secteur et qui ont pignon sur rue. Aussi la Holding peut s’allier avec les dizaines de Pme dans la distribution de l’essence, pour solidifier leurs capitaux propres et leur permettre ainsi de créer des postes d’emploi en droite ligne avec l’ambition du président de la République de créer des opportunités pour la jeunesse.
Les startups dans le secteur sont là et méritent d’être accompagnées, mais pas d’être concurrencées par une holding qui a des défis et challenges plus cruciaux. Après soixante ans d’indépendance, c’est navrant de voir un Directeur d’une société nationale friand de bling bling et de buzz, entouré d’un aréopage de lutteurs et chanteurs, inaugurer ce qui n’est ni innovation ni avancée, car Eydon Oil or Edk ouvrent chaque semaine des stations-services sans tambour ni trompette. D’ailleurs, les autorités de ce pays l’ont bien compris. Je n’ai vu, durant le show de Petrosen Trading et Services, aucune autorité administrative d’envergure, juste la jet-set. La vision du président de la République, qui est issu lui-même du secteur, n’est pas cela.
Le pétrole et le gaz sont des produits trop stratégiques pour faire juste de l’événementiel. Ce gaspillage de ressources, dans un pays endetté en proie à une demande sociale et sanitaire explosive du fait du Covid et l’arrêt des transferts des émigrés, pose le débat sur la priorisation de l’investissement, surtout dans le secteur public. Petrosen Trading et Services nous aurait beaucoup plus et mieux rassurés, s’il mettait en place la première borne et station de recharge pour voitures électriques d’Afrique de l’Ouest, au moins pour nous faire entrer dans le futur et nous faire rêver. Partout dans le monde, les chaînes de montage de véhicules classiques se reconfigurent au tout nouveau moteur électrique. Ainsi doit-on attendre que les majors du secteur parmi nous implémentent ces innovations à notre place, comme c’est toujours le cas.
Autre piste pour Petrosen Holding, c’est la mise en place d’activités de trading ou de courtage, comme c’est le cas à Singapour ou même dans les pays du Golfe persique, surtout que notre pays, avec des écoles d’ingénieurs et les universités, l’Institut des mathématiques de la Petite côte, sans oublier notre diaspora, compte une masse critique de mathématiciens pour une salle de marché des produits pétroliers et gaziers au sein de l’opérateur national publique. Ce qui n’est pas trop demandé, vu que partout sur la planète, des Sénégalais bon teint travaillent déjà dans ces trading desks.
Le président de la République, à l’occasion de ces voyages, rencontre toujours nos meilleures têtes dans le pétrole et le gaz. D’ailleurs, des compagnies comme Vitol, Trafigura et Glencore se sont taillé des niches lucratives dans l’activité de trading. Ces activités de l’aval rapportent souvent plus d’argent que l’exploitation de certains gisements offshore. Les découvertes de Sangomar pour le pétrole et les méga-gisements de gaz de Gta augurent des lendemains prometteurs pour notre pays. Il appartient à l’opérateur national qu’est Petrosen Holding de tirer toutes les leçons de pays comme le Nigeria ou l’Angola et, en même temps, de capitaliser sur l’expérience de la Norvège et des pays du Golfe, afin que nos ressources puissent contribuer à nous hisser sur la rampe de l’émergence. Ceci ne s’accommode ni au tâtonnement ni au dilettantisme. Il faut une feuille de route claire, des objectifs précis et surtout une équipe décomplexée au top, capable de défendre nos intérêts face aux majors qui sont chargés de l’exploitation de ces ressources.
Moustapha Diakhate
Expert en Infrastructure
Ex Conseiller Spécial PM Ex Membre Cabinet Présidente Cese Co