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Fossoyeurs D’avenir

Fossoyeurs D’avenir

L ’ego en bandoulière, se posant comme la nouvelle boussole censée indiquer la direction des bonnes conduites à adopter, les bureaux exécutifs de Jamra et de Mban Gacce préviennent par un post sur le réseau social que “suite à l’hyper médiatisation occidentale (suspecte) de la consécration littéraire de notre compatriote” Mohamed Mbougar Sarr, auteur du roman, La Plus Secrète Mémoire des hommes, prix Goncourt 2021, ils se font “présentement le devoir de lire intégralement et attentivement cet ouvrage qui fait tant jubiler dans l’hexagone”. Ils s’étonnent au passage que le Goncourt “ n’a jamais été décerné à aucune des moultes créations littéraires subsahariennes, qui valorisent à foison l’identité culturelle africaine”.

“Suspecte”. “Hexagone”. “Identité Culturelle africaine”. Ainsi, sans en avoir l’air, jettent-ils la suspicion sur ce qui devrait être vécu comme une consécration des lettres africaines et de la jeunesse sénégalaise en particulier. Voudraient-ils insinuer que Mbougar a été lauréat du Goncourt 2O21 par la grâce d’un certain lobbying qu’ils ne s’y prendraient pas autrement. Et cela n’a pas raté. Comme s’ils n’attendaient que cela, des internautes se sont faufilés dans cette brèche ouverte, allant de leurs bêtises excommunatoires, suggérant que c’était pour récompenser la promotion de l’homosexualité qui serait selon eux contenue dans “De purs hommes”, son avant dernier roman. Et tout cela rapporté à une tendance victimaire persistante consistant à toujours se défausser et à indexer l’autre comme responsable de tous nos maux. Comme s’il y avait des fatalités encastrées dans leur éternité, oubliant que loin d’être statiques, les sociétés évoluent à leur rythme propre. Qui ne souvient du film “Le gendarme de St-Tropez (1964) “ avec Louis de Funes ?

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Sur cette plage de la Côte d’Azur où s’esquissaient les audaces annonciatrices d’une aube nouvelle, on traquait les filles en mini jupes. Un rappel anecdotique qui montre qu’à force de s’enliser dans la gadoue des préjugés tenaces on finit par oublier là encore, que c’est une vue de l’esprit que de faire équivaloir occident et dérèglement moral. Aussi, fautil le rappeler, dans cette zone géographique du monde, même si aujourd’hui le mariage pour tous y est globalement acté, les homosexuels y ont été persécutés, martyrisés, ostracisés. Beaucoup ayant payé de leur vie face à une société intolérante qui ne leur faisait pas de cadeau. Et la partie n’est toujours pas gagnée car même si la loi les protège, il y demeure encore aujourd’hui de fortes réticences homophobes. Et paradoxalement, au Sénégal, autant que les personnes d’un âge certain peuvent s’en souvenir, la tolérance avait cours dans une sorte de convivialité où se traçaient les sillons de l’acceptation de la différence. Période meublée par ces moments où l’on cotoyait des “goorjigeen “ hauts en couleurs qui s’occupaient de “ngente,” géraient avec maestria la cuisine. Ils ne dérangeaient pas, n’agressaient personne et faisaient partie du décor. In fine que nous dit alors cette volée de bois vert ? Rien, sinon qu’il met en vedette l’esprit de critique, ce drôle de sport auquel s’exercent certains de nos compatriotes beaucoup plus portés par le désir morbide de décapiter toutes les têtes qui émergent. Aussi, résolument fâchés avec l’esprit critique qui est exigence de distanciation, interrogation adossée aux faits, s’abiment-ils plutôt dans le dénigrement et le mépris de soi.

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Englués dans l’inespoir et la désespérance, dans les eaux fétides de l’amertume et du ressentiment, ils se révèlent des fossoyeurs d’avenir. À tous ses détracteurs, Mbougar Sarr a répondu avec calme et épaisseur, à la manière de celui qui remet tranquillement les pendules à l’heure. Soulignant que lui fait son “travail d’écrivain”, il demande à ses pourfendeurs de faire le leur, autrement dit “de lire “ou plus exactement de “savoir lire”.

Dans le texte ! Drapé dans une sorte d’ insolence heureuse, ce jeune homme de 31 ans est simplement éblouissant de fraîcheur car transparait à travers sa production romanesque une légéreté sans laquelle nulle innovation n’est possible. Et de nous rappeler ainsi que toute création est enfantement d’inédit , invite à oser aller à contre courant, à bousculer le confort anesthésiant dans lequel installe la certitude. Une manière de dire qu’il n’y a d’humanité que dans l’inquiétude et le courage de faire bouger les lignes. Aussi est-il important d’exalter les exemples positifs au lieu de leur jeter l’oppobre, surtout en ces temps troubles où chez nous foisonnent des contre-modèles qui prennent le visage de trafiquants de faux billets de banque, de passeports diplomatiques. Celui de la pédophilie, de l’inceste tu et étouffé dans les familles au détriment de vies qui n’ont pas eu le temps d’éclore. C’est dire l’urgence à sublimer l’excellence, à l’instar du brillant parcours de Mbougar Sarr qui, par sa détermination à se frayer son propre chemin, à faire son travail d’écrivain, de créateur, nous réconcilie justement avec l’espoir.

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