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Quand Une Partie De La Gauche Perd Son Âme

Quand Une Partie De La Gauche Perd Son Âme

J’ai pu lire l’interview accordée par Madièye Mbodj, ex-délégué général de Yoonu Askan Wi (Yaw), membre de Pastef au journal Le Quotidien (Samedi 30 au Lundi 1er novembre 2021). J’y ai découvert l’annonce de sa contribution portant sur la fusion de Yaw dans Pastef intitulée « De la Gauche qui se meurt à la Gauche qui vit ! » que je me suis fait le devoir d’aller consulter. C’est aux questions essentielles soulevées dans ces papiers que j’ai tenté d’apporter quelques réponses pour enrichir le débat. Il s’est agi pour Madièye, entre autres, de justifier la décision de fusion et d’élever le leader du Pastef au rang de porte-drapeau de « nouvelle-Gauche ».

Une fusion-dissolution historique de Yoonu Askan Wi dans Pastef

En effet, pour être historique cette fusion-dissolution entre un parti dont l’adossement idéologique est le marxisme-léninisme et l’orientation proclamée de Gauche et le Pastef, un parti qui se définit comme n’étant « ni de Gauche ni de droite », il y a là, à dire vrai, quelque chose d’historique parce qu’exceptionnel.

Historiquement, les forces marxistes ont toujours été soucieuses de préserver leur autonomie organisationnelle et idéologique pour être en capacité, partant de leur conception du monde qui repose sur la lutte des classes comme moteur de l’histoire, de rester indépendantes afin d’aller jusqu’au bout de leur projet d’une société communiste mettant fin à l’exploitation de l’homme par l’homme. Un projet que ni le nationalisme ni le libéralisme même voilé derrière l’étoffe de ‘’ni droite ni gauche’’ ne peuvent accomplir. C’est là un abandon du projet essentiel des marxistes !

Bien entendu, cela ne nie pas les alliances possibles avec des forces de droite, pour des raisons tactiques, afin de faire avancer la cause du peuple travailleur. Madieye convoque d’ailleurs l’exemple de l’alliance du parti communiste chinois avec les nationalistes du Kuomintang, lors de la lutte de libération contre l’impérialisme et l’invasion japonaise pour justifier une telle tactique qui ne signifie pas fusion. Du reste, Madieye indique bien que cette alliance s’est terminée sur le massacre des communistes chinois par le Kuomintang. Dès lors, quelle leçon les communistes de Yaw en ont-ils retenue ? Que deviendront les communistes de Yoonu askan wi, si demain les forces dans lesquelles ils ont décidé de se fondre prendront le pouvoir pour perpétuer l’exploitation capitaliste ?

À moins que Yaw et les communistes en son sein aient renoncé à leur projet fondateur et se sont fait hara-kiri devant le Capital. Pourtant, dans son interview, Madieye tient à rappeler que lui et ses amis tiennent toujours à leur projet du communisme. Voici ce qu’il affirme : « Quand avec Alla Kane, Jo Diop, Ousseynou Ndiaye, Roland Fodé Diagne, Demba Moussa Dembélé et autres militants, nous disons : ‘’Le communisme, c’est la jeunesse du monde’’, nous nommons la perspective sans cesse renouvelée, actualisée et actuelle de l’émancipation de l’humanité, pour un humanisme social authentique, une humanité enfin réconciliée avec elle-même. »

Comment pensent-ils, alors, pouvoir construire cette émancipation de l’humanité en renonçant à l’instrument nécessaire à sa réalisation ? N’est-ce pas là un suicide volontaire et conscient assumé devant l’histoire, le prolétariat de son pays et du monde ? En agissant ainsi, dans la lutte de classes impitoyable où le nationalisme, quel qu’il soit, ne peut être un antidote à la fureur des capitalistes, Madièye et ses amis poussent la classe d’avant-garde désarmée dans les bras de la bourgeoisie.

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En effet, quand demain, grandissant et se renforçant politiquement et organisationnellement, le prolétariat constituera l’ennemi à abattre, les capitalistes n’hésiteront pas une seule seconde, quitte à trahir la patrie. C’est la grande leçon que nous donne l’expérience chinoise, comme celle des révolutions françaises, russes, etc. Fusion ne peut-être plus historique que celle-là !

Il est vraiment bien loin le temps où les ‘’Roland Fodé Diagne, Guy Marius Sagna, feu Assane Samb’’ et autres ont scissionné le Rta-S (2003) pour créer le Ferñent/MTPS, sous le prétexte fallacieux que c’est la ligne opportuniste parce qu’électoraliste qui dominait dans le parti.

Quelle est la nature du parti dans lequel les Madièye Mbodj, Fodé Diagne, Guy M. Sagna, Alla Kane, etc. ont décidé de fondre leur identité ?

Du point de vue doctrinal, le Pastef, dans son site officiel (https://pastef.org), se définit ainsi : « Pastef-LesPpatriotes, s’attache à promouvoir une doctrine pragmatique (souligné par nous), qui ne se confond avec aucune des idéologies historiquement reconnues : socialisme, communisme, libéralisme, etc… »

Le Larousse définit le « pragmatisme » comme une « Doctrine qui prend pour critère de vérité le fait de fonctionner réellement, de réussir pratiquement. » Ce qui est vrai, c’est ce qui réussit !

Une telle doctrine est en parfaite cohérence avec le fait que ce parti ne se réclame d’aucune des idéologies reconnues. Ce qui importe pour un tel parti c’est la réussite, quels que soient les moyens et démarches utilisés. Idéologie de l’opportunisme !

Dès lors, que peut signifier l’annonce de Madièye indiquant que leur fusion-dissolution historique dans Pastef résulte d’un « partage d’une ligne politique patriotique, anti-impérialiste, panafricaniste et internationaliste d’alternative souveraine, au service des peuples du Sénégal, d’Afrique et du monde… » ?

Quand Madièye avoue lui-même que : « Au demeurant, ni Pastef, ni le Frapp d’ailleurs, ne se dit nommément de Gauche : c’est dire que, pour nous, il ne s’agit nullement ici d’une question de personne ou de terminologie. Mais pouvez-vous seulement en toute réflexion me citer dans le landerneau politico-social sénégalais actuel une organisation qui, en théorie et surtout en actes, est « plus à Gauche » que Pastef ou le Frapp ? », il effectue là un grand écart.

D’une part, il avoue que Pastef ne se réclame pas de la Gauche, mais affirme, d’autre part, que Pastef est, malgré lui-même, de Gauche, « en théorie et surtout en actes ». Madièye se fait ainsi plus royaliste que le roi.

Il procède ainsi péniblement à un transfert de son anti-impérialisme vers Pastef. L’amour de Madièye et de ses amis pour le Pastef est tellement enflammé qu’il ne peut plus le voir comme il est, tel qu’il se définit lui-même. Il le voit à travers ses yeux éblouis comme un parti de Gauche, le pare des atours de celui-ci pour présenter son leader comme « le porte étendard le plus en vue de la Gauche baptisée ‘’Gauche nouvelle contemporaine’’. »

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Je ne voudrais pas être désagréable avec mon ami, Madièye, mais je ne peux non plus m’empêcher de lui dire qu’il exécute là, pour le moins, un véritable tour de prestidigitation.

Mais examinons un peu le parcours de ce séduisant Pastef. Fondé par des agents de la haute hiérarchie de l’administration, particulièrement d’inspecteurs des impôts et domaines, ce parti est apparu sur l’espace politique, en s’autoproclamant « patriote ».

Sa marque de fabrique consiste à dénoncer les scandales dont le régime de Bennoo Bokk Yaakaar (BBY) au pouvoir serait l’auteur : fraude fiscale des députés qui ne paieraient pas leurs impôts, bradage de nos ressources pétrolières aux étrangers, détournement de deniers publics, etc.

Le procédé développé par ce parti a été l’utilisation à outrance de la communication, dont celle du numérique, dans un contexte particulier de développement extraordinaire des réseaux sociaux. La fabrique de fake-news et la création de buzz ont explosé les médias, contribuant ainsi à faire une formidable publicité à ce parti.

Surfant sur les difficultés des populations confrontées à des pénuries en tout genre accumulées depuis des décennies, sur les erreurs et fautes du pouvoir, utilisant même les catastrophes naturelles (inondations, pandémie, etc.), le Pastef tente d’aiguiser le sentiment de rejet du régime, sans jamais établir de manière objective et scientifique sa faillite fondée sur une évaluation des politiques publiques délivrées par le pouvoir de BBY.

Développant un nationalisme étroit ciblant la France comme la cause de tous nos maux, aidé en cela par des activistes qui ont largement promu le mot d’ordre de « France dégage », comme si l’on était encore sous colonisation française, le Pastef a creusé son sillon, usant, pragmatisme oblige, de tous les slogans et caractérisations glanés à Gauche (chez Yaw et autres) et à droite (chez Atepa et autres).

Toute cette pratique s’est accompagnée d’une méthode de propagande digne des agissements des fascistes. Ainsi, occupant les réseaux sociaux, une armée d’insulteurs a été mise en place pour semer la terreur dans cet espace virtuel, injuriant et menaçant tout porteur de points de vue contraires à celui du parti et de son chef érigé en véritable gourou, lui-même connu pour son penchant forcené à la violence. Ne proclamait-il pas, comme dans une « fatwa », que fusiller tous les chefs d’État qui ont dirigé le Sénégal de Senghor à Macky ne serait point un péché !

Les évènements du mois de mars 2021 ont été un révélateur probant des orientations fascisantes de ce parti. Que s’est-il passé ?

Le chef du parti Pastef, député de son État, a été accusé de viols répétés et menaces de mort par une jeune fille de 20 ans exerçant la fonction de masseuse dans un salon de beauté. On était alors en pleine période de couvre-feu du fait de la Covid-19. Non seulement le leader de Pastef a refusé de répondre à la gendarmerie, mais il a appelé les jeunes à sortir dans la rue pour le protéger de la justice « au prix de votre vie », leur lançait-il.

Les manifestations d’une violence inouïe qui ont éclaté, suite à cet appel, ont entrainé la mort de 14 jeunes, la casse de stations-services (Total), de maisons de grande distribution (Auchan), de commerces divers, entre autres, l’attaque ciblée de commissariats, de gendarmeries, de préfectures et de permanences de partis de la majorité, sans compter  l’incendie de maisons familiales de personnalités du pouvoir, d’avocats de la partie accusatrice, de véhicules de journalistes et de particuliers, etc.

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La justice n’ayant pas encore tranché la question, personne, à part le chef du Pastef et la fille, n’est en mesure de savoir ce qui s’est réellement passé dans ce salon. Par contre, le leader du Pastef a avoué avoir fréquenté les lieux et s’être fait masser, soi-disant pour se soigner.

Voilà le parti et le chef de parti auxquels Madièye et ses amis de Ferñent ont fait allégeance ! Un ‘’jébbalu’’ » (allégeance) vraiment historique !

C’est devant la fulgurance du développement de Pastef adulé par nombre de jeunes, pour le radicalisme de ses propos et ses diatribes d’une violence singulière contre le régime en place et son président que nos amis sont tombés en adoration au point d’en perdre la raison pour gober tout ce que Pastef et son chef disent ou font.

Fusion historique parce que la CDS aurait failli

Pour se donner bonne conscience, Madièye tente de justifier la fusion historique de Yaw dans Pastef par le fait que « …la Confédération pour la Démocratie et le Socialisme (CDS)… malheureusement n’a jamais réussi à se mettre en orbite, préférant s’engluer systématiquement dans une ligne de « rupture entre la théorie de Gauche et la pratique de Gauche ». Ainsi, il rejette la faute sur la CDS.

Pour l’heure, la CDS reste maitre de son destin, de son orientation politique et idéologique avec les communistes en son sein, poussant toujours à gauche dans BBY pour des politiques publiques progressistes en faveur des travailleurs, des paysans, des retraités, des femmes, des jeunes, etc. en plus du soutien et du portage des préoccupations des masses ouvrières et populaires, avec un programme d’animation politique et idéologique permettant d’élever le niveau de conscience de ses militants et des forces sociales porteuses d’avenir. La CDS, certainement, se prononcera à l’occasion sur ces propos de Madièye qui laisse entendre que celle-ci « a capitulé avec armes et bagages » devant l’APR.

S’il en est ainsi pour des forces de Gauche qui sont restées en rangs serrés dans une organisation autonome, déroulant un plan d’intervention autonome dans la coalition BBY comme dans les masses populaires, qu’en est-il alors de Yoonu askan wi et Ferñent ?

Comment qualifier l’acte consistant pour Yaw à se saborder dans Pastef en lui léguant tout son patrimoine matériel et immatériel ? N’est-ce pas une capitulation avec armes et bagages ? Pire, n’y a-t-il pas perdu jusqu’à son âme, en renonçant à son identité ?

Ce débat, pensons-nous, en rappelle un autre sur lequel nous reviendrons pour éclairer davantage l’opinion. Car, nombre de points restent à traiter qui ne pourraient tenir dans l’espace de cette contribution.

El Hadji Momar Sambe est SG du Rta-S/Péncoo Réew

elmomarsamb@yahoo.fr







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