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Éduquer Aux Ecrans, Un Nouveau Defi Parental

Éduquer Aux Ecrans, Un Nouveau Defi Parental

«Je crains le jour où la technologie remplacera les interactions humaines. Nous aurons alors créé une génération d’idiots.» Albert Einstein

En parlant d’écrans auxquels nos enfants sont le plus souvent exposés, on pense au téléphone intelligent, à la tablette, l’ordinateur et la console de jeux. Autant de petits écrans qui font partie du quotidien de la plupart des familles. D’ailleurs, dans un rapport de l’Unicef, «Les enfants dans un monde numérique», publié en 2007, on pouvait lire : «La technologie numérique fait partie intégrante de nos vies et ce, de manière irréversible». Cet envahissement ne fait aucun doute, car conforté par les chiffres. Dans un dossier consacré à la question, la rédaction du Magazine Sciences humaines, dans sa livraison du mois de janvier 2022 (N°344), justifiait cette invasion avec des chiffres du ministère de la Culture française, dans un rapport : «En¬¬fants et écrans de 0 à 2 ans.» On peut lire dans le dossier du Magazine, à la page 20 : «Les enfants de 2 ans sont 87% à regarder la télévision et 62%, à jouer avec une tablette, un smartphone.» Dans Cette enquête d’opinion, «la parentalité à l’épreuve du numérique» (Médiamétrie, 2020), on évalue aussi «à 37% la proportion d’enfants de moins de 14 ans, passant plus d’une heure par jour à jouer avec leur téléphone, et à 65% la part des 11-14 ans, possédant leur propre smartphone».

Ces statistiques sont certes à relativiser dans d’autres con¬textes et espaces, mais les controverses autour des écrans interpellent au plus haut niveau et de façon durable depuis. Il y a 10 ans, le philosophe Michel Serres écrivait dans son essai sur la révolution numérique, Petite poucette (le Pommier, 2012), «les enfants d’aujourd’hui ne connaissent, ni n’intègrent, ni ne synthétisent comme nous, leurs ascendants, ils n’ont plus la même tête». Il interpellait ainsi sur l’importance des changements anthropocentriques, les risques de «développement cognitif altéré», de «cyberdépendance» et popularisait, en même temps, le mythe des «digital natives», ces nouvelles générations de «crétins digitaux» pour qui, «le numérique serait une langue maternelle».

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Même s’il y a encore des doutes sur l’existence de preuves scientifiques de la toxicité des écrans sur les cerveaux des enfants, personne ne doute des répercussions secondaires sur la concentration, la sociabilité, l’alimentation : seul le risque d’altération du sommeil résultant de l’usage nocturne et de la lumière bleue des Led qui perturbe les rythmes biologiques, est bien établi (Tisseron, 2013).

Dans tous les cas, l’exposition de nos enfants aux écrans, particulièrement aux téléphones portables et tablettes, est devenue un véritable casse-tête pour de nombreux parents qui ne savent pas souvent comment réagir face à cette addiction.

Au Sénégal, nous pouvons constater que nos enfants sont de plus en plus nombreux à demander qu’on leur achète une tablette, un cadeau très prisé ; d’autres demandent tout simplement à avoir leurs téléphones portables pour eux. Faute de moyens, pour les satisfaire, on est obligés de leur laisser nos smartphones, s’ils ne nous les dérobent pas tout bonnement et se cachent pour les utiliser à notre insu. Des parents cèdent aux chantages en y trouvant leur compte : pour se débarrasser d’enfants surexcités et encombrants, les laisser avec les écrans est la solution la plus convenable. Une cousine avec qui j’ai eu une discussion sur la question, me confiait qu’elle a recours aux supports numériques pour distraire son enfant pendant qu’elle s’occupe de nombreuses tâches ménagères. Elle constatait, toutefois, pour s’en désoler, que «des élèves sont pressés de rentrer pour pouvoir activer le jeu ou interagir avec leurs amis en ligne, au lieu de revoir leurs cours. La maison est toujours remplie de personnes mais les enfants sont devenus d’une certaine manière, socialement coupés». Et évidemment, les conséquences de ces habitudes sont dan¬ge¬reuses : le docteur Lamine Diouf, péd¬o¬psy¬chiatre à Dakar, confiait, par exemple, que «c’est l’exposition précoce aux écrans avant 3 ans et excessive, en moyenne 30 minutes voir 1 heure par jour, qui rend l’abus de l’écran chez l’enfant délétère, voire nocif sur le plan psychomoteur».

Certains parents, conscients des risques de voir leurs enfants «hyperconnectés», restés scotchés aux écrans durant des moments, peuvent imposer des limites de temps, parce qu’ils ont compris que les écrans devraient être utilisés avec beaucoup de modération. D’ailleurs, en juin 2019, la Société canadienne de pédiatrie (Scp) suggérait dans ses recommandations, une saine utilisation des écrans qui ne nuit pas aux activités scolaires, au sommeil, et surtout jamais d’écran pour les enfants qui ont moins de 2 ans.

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Il s’y ajoute que l’exposition aux écrans à bas âge peut être à l’origine des troubles du langage et du raisonnement. C’est à cette conclusion qu’arrive un groupe de professionnels de la santé et de la petite-enfance, dans une tribune parue dans le Monde en mai 2007, sous le titre : «La surexposition des jeunes enfants aux écrans est un enjeu majeur de santé publique.» Ces signataires entendaient faire pression sur les autorités publiques françaises pour que les effets nocifs des écrans soient mentionnés dans le carnet de santé des en¬fants.

Il est important de rappeler que pour un développement harmonieux, comme le plaidait souvent Françoise Dolto, pour qui Tout se joue avant 6 ans (1970), l’enfant a besoin de  bouger et de se servir adéquatement de sa musculature. En effet, pour que son cerveau se développe, pour se préparer aux apprentissages scolaires, un jeune enfant doit explorer le monde avec tout son corps : bouger, goûter, tripoter, sentir le froid, l’air, mesurer sa force physique en se frottant à ses camarades de jeu, tester son équilibre, constituent une palette extraordinaire que ne remplace pas la plus high-tech des tablettes éducatives. Flo¬rance Lerouge, orthophoniste, co-fondatrice de l’Association Jouepenseparle, invite ainsi les parents dubitatifs, à comprendre «qu’il est de loin préférable pour l’enfant de faire bouger tout son corps, que de faire bouger seulement ses yeux et un ou deux doigts sur un seul plan et quelques centimètres». Bref, nous pouvons tous constater que nos enfants sont sous l’emprise des écrans et ne savent pas se déconnecter. Et le temps que les jeunes enfants passent devant les appareils leur, remplace celui qui devrait être consacré à leur développement cérébral et physique.

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Toutefois, il n’est pas question de jeter le bébé et l’eau du bain : comme le rappelle le psychologue Ibrahima Giroux, les tablettes offrent d’immenses possibilités pour l’éducation et le développement intellectuel des jeunes enfants. Le spécialiste invite toutefois, les parents à accompagner leurs enfants, être à leur côtés, ne pas les laisser seuls avec les écrans, les aider à décrocher des écrans, se déconnecter, mais pourvu, pense-t-il, que les parents soient les premiers à se soigner de cette addiction, à réfléchir à leur propre usage des écrans.Anne Lefebvre, psy¬cho¬thé¬rapeute, présidente de l’Association Alerte, association pour l’éducation à la réduction du temps des écrans, dénonce d’ailleurs «l’indisponibilité parentale».

Elle s’interroge : qui n’a pas interrompu une partie de jeu avec son enfant à cause d’un sms reçu ? Qui n’a pas détourné le regard devant la magnifique galipette de sa fille, en raison d’une alerte sur son écran ? Un parent dont les yeux sont rivés sur un smartphone, peut ne pas percevoir les signaux de son jeune enfant. Cela entraîne chez ce dernier, un sentiment d’insécurité et ne fait que rendre l’écran plus désirable. La psychologue clinicienne rappelle ainsi dans sa conclusion, que «la famille a besoin de temps de déconnexion» pour avoir des moments à elle.

Cette position est partagée par son confrère Ibrahima Gi¬roux qui, dans l’Emission Sept (7) milliards de voisins animée par Emmanuelle Bastide, diffusée sur les ondes de Rfi, précisait : «L’addiction des enfants vient de celle des parents : les bébés, par exemple, s’intéressent beaucoup à ce qui intéresse leurs parents ; pour une utilisation profitable des écrans, il faut que la famille soit entre la tablette et l’enfant, pour que cette dernière devienne un formidable outil profitable aux enfants.»

Il se demandait aussi comment les tablettes peuvent, à elles seules, éduquer les enfants, alors que la tablette des 10 commandements a toujours besoin des familles pour éduquer l’humanité.

Bira SALL

Professeur de philosophie Au Lycée Ababacar Sy de Tivaouane

Chercheur en éducation

Doctorant en psychologie du développement
sallbira@yahoo.fr







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