La campagne électorale pour les élections locales du 23 janvier aura été particulièrement marquée par la violence entre les différents acteurs en compétition pour les postes de maire ou de président de conseils départementaux.
De façon prémonitoire, le Cadre unitaire de l’islam au Sénégal (Cudis), qui avait vaticiné le débridement de cette violence constatée sur le terrain électoral, avait invité les acteurs politiques à signer une charte de non-violence pour garantir la tenue d’un scrutin apaisé. Ladite structure, tout comme l’organisation de la société civile Jammi Rewmi, a implémenté un dispositif de lutte plus ou moins fragile contre la violence politique pour étouffer toute velléité de violence lors de cette présente campagne. Si certains hommes politiques, par populisme ou démagogie, se sont empressés de donner leur onction à cette charte, d’autres, par réalisme politique, avaient opposé une fin de non-recevoir à la proposition du Cudis. Les actes de violence survenus depuis le début de la campagne ont montré l’inanité du projet pacifique et sécuritaire du Cudis.
L’initiative de cette structure a mis à nu la faillite sécuritaire de l’Etat, seul détenteur de la violence légale et légitime. Car, si le parti voire la coalition au pouvoir est le principal promoteur et distillateur de cette violence sécrétée par ses milices privées, il faut s’attendre à ce que les partis d’opposition mettent en place un système de défense armé qui exacerbe cette panoplie de la violence politique.
Le jour où le président de la République, Macky Sall, a reçu l’organisation dirigée par le jeune Cheikh Tidiane Sy, fils du défunt Abdou Aziz Sy Al Amine, pour approuver une telle démarche, il a mis, ipso facto, à nu la faille de la politique sécuritaire de l’Etat. Quand, dans une République, l’Etat se montre défaillant pour assurer la sécurité des biens et des citoyens, ces derniers cherchent des ersatz de système de défense pour assurer leur propre sécurité. Il est de coutume de voir dans les Républiques déliquescentes déstructurées par des conflits politiques ou des violences ethnico-politiques des citoyens en confrontation mortifère s’accorder, sous l’œil arbitral d’organismes neutres, sur des règles sécuritaires pour gérer un entracte transitionnel.
Pourtant le Sénégal est loin de cette situation d’instabilité, même si les événements de mars 2021 ont plongé le pays dans une violence inouïe avec à la clé 14 morts, plus de 600 blessés en quatre jours. Dans les reportages de campagne des journalistes, la violence a fini par oblitérer les programmes des candidats. Une campagne marquée d’ailleurs par l’absence manifeste de véritables programmes politiques. A la place des idées, les muscles règnent en maitres et rythment la campagne électorale. Et au lieu de véritables équipes de choc qui encadrent les candidats à la tête des mairies ou des conseils départementaux et mettent en lumière leurs projets, on remarque autour des candidats des mastodontes comme gardes de corps dont la seule spécialité est de semer partout la violence physique et psychique.
Les violences électorales constituent pour ces éléphants aux cervelles de moineau une activité économique dont ils tirent leur subsistance pour survivre. Cette chair à canon, qui constitue la garde rapprochée de certains compétiteurs, se recrute généralement parmi la multitude de jeunes désœuvrés que produit le fort taux de chômage sévissant dans le pays.
A Dakar Mame Mbaye Niang, dissident de Bennoo, attaque verbalement son camarade de même parti Abdoulaye Diouf Sarr. A la Médina, chaque jour, les partisans de Cheikh Ba de Bennoo et ceux de Bamba Fall de Gëm sa Bopp s’affrontent, se lapident et se caillassent violemment. A Guédiawaye, Ousmane Sonko, candidat à la mairie de Ziguinchor, dénonce l’enrichissement illicite des fonctionnaires milliardaires et promet la géhenne carcérale à Aliou Sall et Lat-Diop en cas de changement de régime. A Mbour, Cheikh Issa Sall et Maguette Sène lui apportent la réplique et s’interrogent sur ses moyens de campagne pour un candidat radié de la fonction publique et qui ne vit que de son traitement de députés. A Dagana, les partisans du ministre Oumar Sarr s’en prennent au candidat de la Convergence patriotique pour la justice et l’équité « CPJE Nay Lerr » Moustapha Sarr.
Programmes politiques fantaisistes
Tout cela pour montrer que, pendant cette campagne dont les lampions commencent à s’éteindre, le débat programmatique n’a pas été au rendez-vous des discours des différents candidats. Les rares qui ont osé décliner des simulacres de feuilles de route programmatiques ont versé très souvent dans des promesses fantaisistes qui dépassent de très loin les compétences d’un maire ou d’un président de conseil départemental. On aurait dit qu’ils se sont trompés de combat et croyaient participer à une présidentielle ! Un programme politique rationnel doit s’adosser sur un budget prévisionnel conséquent, réaliste et réalisable. Or, la plupart des candidats versent dans la surenchère des promesses chiffrées à des milliards alors que les budgets des communes qu’ils briguent ne font même pas un milliard la plupart du temps. C’est ce qui explique pourquoi certains candidats fuient les débats publics axés sur les programmes. Faussement bouffis de leur ego ou infatués de leur personne, ils prétextent ne pas boxer dans la même catégorie que leurs concurrents d’une même commune pour éviter les plateaux médiatiques ou les tréteaux publics. Dans la même foulée, certains prétendants aux collectivités territoriales ont même enjambé le domaine de compétences des maires ou présidents de conseil pour promettre de réaliser des choses qui relèvent de la compétence de l’Etat central. Le choc des programmes a été le ventre mou de cette campagne électorale terne où les caravanes sonorisées composées de bolides et de motos s’étirant sur plusieurs dizaines de mètres et les démonstrations de force populaire ont fait florès. Les lieux d’expression contradictoire publics sont désertés par la quasi-totalité des prétendants à la direction des collectivités territoriales. Ce même chacun d’eux réclame hypocritement un face-à-face avec ses concurrents.
Médias partiaux
Le manque d’équidistance d’une certaine presse écrite partiale n’a pas manqué d’alimenter cette tension entre candidats. Certains journalistes, caractérisés par leur proximité ostentatoire avec tel ou tel autre candidat, ont manqué d’objectivité en « offrant » chaque jour leur une à un candidat désigné. Il est arrivé des jours où des quotidiens ont tous donné leur une à un même candidat avec quasiment le même contenu. Des confrères n’ont même pas hésité à inventer des sondages qui donnent la victoire à leur candidat favori. Chaque jour, des mobilisations monstres là où il n’y a eu que deux pelées trois tondus sont inventées et publiées par certains journalistes en manque d’objectivité. C’est dire que le manque de professionnalisme de certains journalistes n’a pas aidé à asseoir un débat contradictoire démocratique au grand bonheur des électeurs qui doivent affiner leur choix en fonction du réalisme des programmes de certains candidats. La manifestation sans circonlocution de certaines sympathies journalistiques en faveur de candidats sans programme politique sérieux ni argument convaincant a déséquilibré le nécessaire traitement égalitaire et équidistant de l’information que les citoyens souhaitaient. Et c’est ce qui a délégitimé et décrédibilisé la parole journalistique dans cette campagne électorale.