La communauté BaayFaal, branche de la communauté des mourides, est trés fascinante. Entre les caricatures, les clichés profanes et la réalité des initiés, le baayfaal est un personnage « mythique » qui suscite beaucoup d’intérêts tant pour la population autochtone que celle dite allogène. Entre tuniques usées, rapiécées et tuniques colorés précieuses, avec son détachement des choses matérielles liées au monde sensible contrastant avec travail acharné pour l’essor de sa communauté, la vie du BaayFaal est un déroulé philosophique savamment articulé. Cette philosophie qui, de plus en plus, séduit toutes les couches de la population sénégalaise toutes catégories intellectuelles confondues, mérite d’être explorée afin d’en distinguer la quintessence et ainsi que les errata que les profanes lui ont imputé.
Et pourtant, Mame Cheikh Ibrahima Fall, précurseur très prévoyant de cette voie, doté d’une pédagogie hors norme a su condenser toute une philosophie dans peu d’expressions transformatrices de la brièveté de cette vie en une éternité. Celle-ci s’articule autour de ces points essentiels appelés les triptyques fondamentaux de la philosophie BaayFaal.
D’où le sens des propos du philosophe allemand Martin Heidegger sur l’objet de la philosophie : «Si l’on considère que l’Être est « l’objet » de la philosophie, à l’aube entrevu, il fut oublié. Une fois cependant, au début de la pensée occidentale, l’être du langage est apparu, le temps d’un éclair, dans la lumière de l’Être. Une fois, lorsque Héraclite pensa le Logos». Et Blaise Oriet se pose la question « se pourrait-il donc que la philosophie se soit si précocement et si durablement fourvoyée? » ; dans Héraclite ou philosophie de Blaise Oriet.
Par conséquent, l’objet primaire de la philosophie étant le Logos ou la quête perpétuelle de la Vérité, la philosophie de Mame Cheikh Ibrahima Fall retrace également une véritable révolution dans le vrai sens étymologique du terme. C’est un retour à la source, à l’essence même de l’existence de l’être en tant qu’être, à sa quintessence, son origine et sa finalité. Bref, l’humain sur toutes les dimensions.
La philosophie BaayFaal représente une école de sagesse, qui tend vers la connaissance, pas de n’importe quelle connaissance mais de la connaissance de Dieu-Un par-dessus tout. L’être supérieur doté d’un pouvoir sur l’homme et d’attributs particuliers et spécifiques. C’est tout le sens des mots d’Imam Al Ghazali tiré de la revue trimestrielle d’éducation comparée (vol. XXIII, n°34, 1993, p.531-555.) : « Un Dieu sans substance ni forme, qui ne ressemble à aucune chose et auquel aucune chose ne ressemble, un dieu omniprésent, omniscient et omnipotent, un Dieu doué de vie, de volonté, d’ouïe, de vue et de parole ». Cette connaissance dite divine est non seulement intellectuelle mais acquise par la pratique de l’amour et des actes et rites de purification du cœur et de détachement du monde matériel.
Cette philosophie qui sous-tend le style de vie, la manière d’être et d’agir du BaayFaal est un condensé de préceptes fondamentaux énoncés par le Père précurseur Mame Cheikh Ibrahima Fall.
Ces triptyques principes de la philosophie BaayFaal place l’homme au cœur de sa responsabilité vis-à-vis de Son Créateur, par rapport à lui-même, et à l’égard de la société.
TRIPTYQUES FONDAMENTAUX DE LA PHILOSOPHIE BAAYFAAL
1- Triptyque des stations : Bëgg Gëm Jëf.
Bëgg (la station de l’amour): cœur céleste, cœur terrestre ! Amour de l’Être, amour de l’être ! L’amour est l’essence de toute religion, de tout mysticisme, de toute philosophie. Un adage soufi dit que c’est un faut amour que celui qui ne déracine pas le moi de son être. Et la première et la dernière leçon de l’Amour doit être : Mon moi n’existe pas. L’amour est la première porte à franchir ; c’est la porte de toutes les possibilités. Un amour de l’universel symbolisé par le noir-blanc.
Gëm (La station de la foi, du Tawhiid, de l’Unité): La foi est une lumière qui jaillit des entrailles du cœur des amoureux. Une foi qui brise le Sinaï en deux et extirpe l’être à partir des profondeurs de ce qui est bas et l’élève vers les cimes de CELUI QUI EST HAUT, L’UNIQUE. «Marche dans l’unité, et tiens-toi à l’écart de la dualité ; n’aie qu’un cœur, une seule quibla, un seul visage» comme disait Farid Uddin Attar dans son Mantic.
Jëf (la station de l’action salvatrice : la Xidma): La Xidma stipule que chaque mouvement, tout travail accompli est destiné à l’homme, à son bonheur en contrepartie de l’unique satisfaction de Dieu Le Très Haut, Clément et Protecteur de l’humain. «Et chaque instant de la vie en est une opportunité, et la plus grande sagesse est de connaître la valeur de l’occasion» disait un mystique. 2- Triptyque sacerdotale :
Baayfaal du kàcc (le BaayFaal ne ment point) : La Vérité seule peut faire réussir : Mame Cheikh Ibra disait «seule le mensonge empêche l’aspirant d’être le compagnon permanent des anges». Le mensonge constitue un péché capital pour le BaayFaal. La rigueur de la discipline et les règles de bienséance lui permettent de toujours dire la vérité en tout temps et en toutes circonstances. Pour le BaayFaal le mensonge est une perte de d’énergie et de temps.
Baayfaal du sàcc (le BaayFaal ne vol point): dans le logiciel mental du BaayFaal, l’œil du Cheikh est fixé sur lui, toujours, et partout. Avec sa volonté de détachement intérieur et sa quête de pauvreté extérieure et le délaissement du superflu matériel, le BaayFaal a toujours les moyens de son existence.
Baayfaal du njaaloo (le BaayFaal ne fornique point): la vie spirituelle du BaayFaal consiste à clarifier tous ses actes jusqu’à la source même de sa responsabilité, de l’intention de sa conscience avant même d’en venir à l’exécution d’un acte quelconque.
3- Triptyque des commandements :
BaayFaal mooy (être BaayFaal c’est):
– Saxoo sikar (L’invocation de Dieu en permanence):
– Sàmm say cér (préservation de son intégrité): c’est l’équilibre de la santé mentale (morale), physique et spirituel.
– Liggéey joxe (travailler et rendre service): marque l’indépendance financière et la solidarité sociale.
4- Triptyque comparatif :
Joxee gën julli (le don pieux est meilleur que la prière) liggéey moo gën jàng (le travail licite est meilleur que l’étude)
Màndu moo gën koor (l’abstinence est meilleure que le jeûne).
Seul un engagement sincère, un abandon total à la volonté de Dieu Clément et Miséricordieux permettent de pénétrer le sens herméneutique de cette communication de Mame Cheikh Ibrahima Fall, triptyques fondamentaux de la philosophie BaayFall.
La philosophie BaayFaal est une voie d’expérimentation des profondeurs divines. Elle est vécue, vue, pratiquée. Elle désapprouve tout misérabilisme et tout exhibitionnisme. C’est la traduction en acte de la vertu qui accorde la plus grande importance possible à la valeur de la vie de l’humain. Elle n’est pas seulement l’amour de la sagesse, elle est plus encore. Elle est la foi à la Sagesse, elle est acte destinée au bien-être et au bonheur de l’homme.
La philosophie BaayFaal est paix, détachement, purification, amour et sagesse. Sa compréhension et son dénouement mènent inéluctablement au Logos, La Vérité ; à l’ »eurêka j’ai trouvé ! ». Elle tend l’homme vers l’unification avec la Vérité.
Comme disait Mansour Al Hallaj : «Il n’y a plus entre moi et Dieu d’explications, ni preuves, ni signes pour me convaincre. Voici que s’irradie l’apparition de Dieu, flamboyante en moi, comme une perle irrécusable.»
Daara Etudiants Ndiguel