Le président de la République du Sénégal vient d’être investi à la tête de l’Union Africaine. Cet investissement devrait donner lieu à un réflexe, tout aussi important au regard de la symbolique qui le caractérise : le drapeau de l’UA. Par cet objet, hautement symbolique, la nation est engagée à reconnaître son appartenance à cet ensemble qu’est l’UA. Et le drapeau a bien d’autres vertus qu’il convient de rappeler pour éviter le « vide symbolique ».
Le fonctionnement politique et diplomatique est aussi un fonctionnement idéologique et symbolique où sont à l’œuvre des mots au service de toute visée fédérale, mais aussi et surtout des objets, tel que le drapeau à saisir comme un récit, une représentation, une idée et un idéal destinés à inspirer notamment des attitudes et énergies vitales à l’élan de solidarité et d’intégration continentale.
Le drapeau de l’UA se présente, au-delà de ses ressorts et aspects protocolaires, comme un élément fondamental d’une valeur symbolique forte à intégrer dans l’arsenal des dispositifs officiels et solennels de communication. La force d’un symbole tient en effet à l’émotion qu’il suscite, à la ferveur et à l’enthousiasme, auxquels il convie les citoyens. Ces fonctions expliquent l’existence dans le champ politique d’une série d’actes solennels répétitifs et d’objets codifiés avec une forte charge symbolique.
La politique, c’est des mots, mais surtout c’est des objets qui désignent ces mots. Toute la symbolique qui s’écrit sur ces objets a pour fonction de rappeler l’espoir et les rêves que forgent des peuples quant à leur avenir collectif. Le drapeau ce n’est pas qu’un bout de tissu sur lequel sont imprimées des images sans importance. Les étoiles et les rayons de soleil sur le drapeau de l’UA ont une signification qu’il convient toujours de rappeler et de mettre en exergue. Le dessin du continent sur un fond vert, entouré de 55 étoiles (représentant les États membres) et plaqué sur un soleil stylisé, symbolise l’espoir de l’Afrique.
En politique, les symboles comptent autant que les programmes et organigrammes. Un symbole est un signe ou un objet surchargé de valeur dont l’évocation renvoie à des représentations qui donnent sens à l’action des hommes et des sociétés. La fonction symbolique, c’est l’idée que le politique doit donner forme à ce qui n’en a pas toujours. Ces symboles renferment une densité émotionnelle qui participe à la sensibilisation, à la mobilisation, à l’appropriation, au renforcement du consensus, à l’intégration, à la sacralisation, à la légitimation, à la hiérarchisation des priorités et à la moralisation. Car le symbole est toujours porteur de valeurs.
Le domaine du symbolique, c’est l’ensemble des moyens et des processus par lesquels des réalités idéelles s’incarnent à la fois dans des réalités matérielles et des pratiques qui leur confèrent un mode d’existence concrète, visible, sociale. C’est en s’incarnant dans des pratiques et des objets qui le symbolisent que l’imaginaire symbolique peut agir non seulement sur les rapports sociaux déjà existants entre les individus et les groupes, mais être aussi à l’origine de nouveaux rapports entre eux qui modifient ou remplacent ceux qui existaient auparavant. Il ne peut acquérir d’existence manifeste et d’efficacité sociale sans s’incarner dans des signes et des pratiques symboliques de toutes sortes qui donnent naissance à des institutions qui les organisent, mais aussi à des espaces, à des édifices où elles s’exercent.
Pour toutes ces raisons, le drapeau de l’UA doit flotter partout. Il doit figurer sur tous les supports et briller à toutes les occasions officielles. Ce serait le comble de l’ironie de croire que ce drapeau continental serait en concurrence avec le drapeau national, comme on l’a vu par ailleurs en France, avec toute la polémique sur le drapeau européen sous l’Arc de Triomphe. Le président en exercice doit, durant ce mandat continental, s’afficher en toutes circonstances avec. Ce serait une bonne manière d’apposer la bonne vieille signature sénégalaise, et donc sa conviction et son engagement sans faille, à œuvrer pour le rayonnement de l’organisation panafricaine, en attendant de voir, un jour, l’Union Africaine retrouver sa réalité, son « unité culturelle ».
Ibrahima Silla est enseignant-chercheur en Science Politique à l’UGB Saint-Louis