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Kwame Nkrumah, Le PrÉsident Qui Était En Avance Sur Son Temps

Kwame Nkrumah, Le PrÉsident Qui Était En Avance Sur Son Temps

Le 27 avril 2022, le Ghana a commémoré le 50e anniversaire de la mort de Kwame Nkrumah. À mon avis, c’est toute l’Afrique qui devrait se souvenir du premier président ghanéen et ce sont plusieurs monuments qu’il conviendrait de construire pour honorer ce grand Africain. Pourquoi ? Parce que Nkrumah fut à la fois penseur et acteur de l’unité africaine. Penseur, il voulait une Afrique unie parce qu’il était persuadé que c’est en étant unis que les Africains seraient forts face à ceux qui non seulement convoitent leurs richesses mais sont prêts à les exterminer pour s’emparer de ces richesses. L’unité africaine lui tenait à cœur. Il en était tellement obsédé qu’il inscrivit en 1960 dans la Constitution du Ghana la possibilité d’un abandon de souveraineté au profit d’une fédération africaine, une éventualité que le président guinéen avait envisagée avant lui. Comme Hassan II, Sékou Touré, Modibo Keïta, Nyerere et Gamal Nasser, ses pairs du groupe de Casablanca, Nkrumah était pour la fédération. Le groupe de Monrovia (le Nigéria et les pays francophones), lui, ne voulait pas en entendre parler. Il estimait que chaque président devait gérer son pays. C’est cette position qui, hélas, l’emporta à la naissance de l’OUA, le 25 mai 1963 à Addis-Abeba (Éthiopie). On en voit les conséquences aujourd’hui : une Afrique incapable de se défendre et de se faire respecter à cause de la faiblesse des micro-États dirigés par des individus sans vision ni dignité. 

Certains historiens africains tels qu’Amzat Boukari-Yabara considèrent que c’est l’appel de Nkrumah “à la création des États-Unis d’Afrique comme le seul rempart possible contre le néocolonialisme et la poursuite de l’exploitation du continent par les grandes puissances” qui est la véritable cause de sa chute (cf. A. Boukari-Yabara, ‘Africa unite ! Une histoire du panafricanisme’, Paris, La Découverte, 2014). Amzat insiste sur le fait que les ex-puissances coloniales ne pouvaient pas tolérer un basculement de toute l’Afrique dans le camp communiste. Pour sa part, Jean Ziegler a bien montré que le rapprochement du leader ghanéen avec l’Union soviétique et la Chine était vu d’un mauvais œil par le camp occidental. Le sociologue suisse révèle, par ailleurs, que le coup d’État qui l’évinça avait été mené par deux officiers subalternes liés aux services de renseignements britanniques (cf. J. Ziegler, “L’Afrique noire à l’heure des coups d’État militaires” dans ‘Le Monde diplomatique’, avril 1966). Les historiens jugent cette thèse plus crédible que les raisons pour lesquelles les militaires ont renversé Nkrumah, le 24 février 1966. Le général Joseph Arthur Ankrah et ses compagnons reprochaient à Kwame Nkrumah le goût pour le culte de la personnalité, l’endettement excessif du pays, la pénurie des produits de première nécessité, le chômage, la dévaluation du cedi, la dérive totalitaire du Convention People’s party (CPP).

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Lorsqu’il perd le pouvoir, Nkrumah trouve asile en Guinée. Pourquoi ce pays plutôt qu’un autre car l’Égyptien Nasser, le Tanzanien Nyerere et le Malien Modibo Keïta voulaient, eux aussi, l’accueillir ? La première raison, c’est que le Ghana et la Guinée avaient essayé en 1958 une union fédérale mais cette union se termina en feu de paille. Deuxièmement, Nkrumah et Sékou Touré entretenaient des liens très étroits. Par exemple, le premier accorda au second un prêt de 25 millions de dollars quand la France quitta la Guinée avec tous ses coopérants et entreprises pour punir Sékou Touré d’avoir osé dire “non” à la communauté franco-africaine du général de Gaulle. Il donna le nom Sékou à son 3e fils né le 1er décembre 1963. La dernière raison, c’est que le président renversé désirait ne pas vivre loin du Ghana. En témoigne ce passage de l’ouvrage ‘Dark days in Ghana’ (Zed Books, 1968) : “Je savais qu’en étant en Guinée, je serais dans de bonnes conditions pour poursuivre le combat révolutionnaire africain.” Le 2 mars 1966, lorsqu’il atterrit à l’aéroport de Conakry à bord d’un avion soviétique qui le ramène de Pékin et d’Alger, Nkrumah est triomphalement accueilli. Une grande foule est là pour lui souhaiter la bienvenue. Mieux encore, son arrivée en terre guinéenne est saluée par 21 coups de canon. Si Nkrumah bénéficie de tous ces honneurs, c’est parce qu’il est perçu, en Guinée et partout ailleurs en Afrique, comme le symbole vivant du panafricanisme. 

Mais quel est le parcours intellectuel et politique de Nkrumah ? Quelles influences a-t-il subies ? Né en 1909 dans le Sud-Ouest de la Gold Coast, Kwame Nkrumah fait ses études primaires et secondaires dans son pays. En 1935, il étudie l’économie et la sociologie à Lincoln University, une université noire de Pennsylvanie. Pendant son séjour américain, il découvre la pensée de Marx et de Lénine, se familiarise avec les idées panafricanistes de Henry-Sylvester Williams, Edward Blyden, George Padmore et W. E. B. Du Bois. Il fait la connaissance du Jamaïcain Marcus Garvey, un autre panafricaniste qui deviendra son conseiller plus tard. En 1943, il publie ‘Towards colonial freedom’ qui est un pamphlet anti-colonialiste. Parallèlement, il entre dans l’association des étudiants africains des États-Unis et du Canada. Lorsqu’il débarque en Angleterre, il devient rapidement un des hommes-clés du mouvement panafricain. Avec George Padmore, il organise le 5e congrès panafricain qui se déroule à Manchester en 1945. Il profite de son séjour en Angleterre pour nouer des contacts avec les étudiants africains parmi lesquels le Zambien Kenneth Kaunda, le Kényan Jomo Kenyatta, le Zimbabwéen Joshua Nkomo et le Tanzanien Julius Nyerere. Deux ans plus tard, Nkrumah retourne dans son pays. En février 1948, la police britannique fait feu sur des anciens combattants qui manifestaient pour le paiement de leurs pensions. On dénombre 3 morts et plusieurs blessés. Le pays, qui vit désormais sous l’état d’urgence, apprend l’arrestation et l’emprisonnement de Nkrumah. Celui-ci est libéré en 1952 et devient Premier ministre. C’est la négociation qui lui permit de parvenir à un tel aboutissement. Créé en 1952, le CPP gagne les élections locales et intègre le gouvernement colonial. La Gold Coast accède à l’indépendance 5 ans plus tard et change de nom. Nkrumah occupe le fauteuil présidentiel en 1960.

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Même si de nombreux chantiers l’attendent, Nkrumah n’oublie pas l’Afrique à l’unité de laquelle il a consacré plusieurs réflexions (‘L’Afrique doit s’unir’, Paris, Payot, 1964 ; ‘Le Consciencisme’, Paris, Payot, 1964 ; ‘La lutte des classes en Afrique’, Paris, Présence Africaine, 1970 ; ‘Le néocolonialisme, dernier stade de l’impérialisme’, Paris, Présence Africaine, 2009). Il sait que le vrai panafricanisme est plus dans les actes que dans les paroles. Il apporte alors une aide financière aux pays africains luttant contre le colonialisme, accueille artistes, intellectuels et panafricanistes du monde entier, accorde la nationalité ghanéenne à l’Américain W. E. B Du Bois. 

Nkrumah était-il en avance sur son temps ? Didier Awadi, rappeur sénégalais, le laisse penser quand il affirme : “Nous vivons aujourd’hui des problèmes de sécurité sur le continent. Selon lui [Nkrumah], ils ne peuvent être réglés que par une position commune, une sécurité commune et une armée commune. Il disait la même chose des problèmes monétaires dans l’espace CFA qui ne peuvent trouver leurs solutions que dans une monnaie et une banque centrale communes. Par ailleurs, la faiblesse de la voix de l’Afrique aux Nations Unies découle de la désunion des pays du continent. Kwame Nkrumah a abordé tous ces sujets au moment où nous prenions nos indépendances. Malheureusement, il a compris trop tôt ce que les autres ne voient toujours pas. C’est un visionnaire qui est arrivé très tôt et qui a eu du mal à faire passer son message à des populations qui n’étaient pas assez alphabétisées.”

C’est Nkrumah qui était dans la vérité. Le temps lui a donné raison car qu’avons-nous obtenu de solide et de sérieux avec une Afrique divisée en plusieurs petits États ? Il fut combattu pour avoir vu grand, pour avoir dit et répété que seule l’union fait la force. Si les soi-disant présidents modérés l’avaient suivi, notre continent aurait peut-être eu un autre destin, affiché une meilleure mine.

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