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Senegal, Une Democratie Au Rabais

Senegal, Une Democratie Au Rabais

La conquête du pouvoir par tous les moyens est devenue l’objectif ultime de toutes les formations politiques et par ricochet, les associations de la Société civile. Comme ascenseur social, l’arène politique déborde son terrain habituel et ouvre ses portes à des journalistes se croyant investis d’une mission divine, des religieux revanchards et rappeurs en perte de vitesse. Les nouveaux donneurs de leçons dans les plateaux de télévision et les adeptes de l’apocalypse se découvrent une nouvelle vocation, celle d’avoir la conviction de représenter le peuple et d’avoir un destin messianique. Une démocratie d’une minorité bruyante s’installe et se propage par la magie des nouvelles technologies de l’information, avec la complicité d’une certaine presse. Une dictature de la pensée unique qui voue aux gémonies toutes oppositions contre un projet funeste de sabordage de notre volonté commune de vie commune.

Cette nouvelle tendance trouve un écho favorable chez des jeunes sans culture politique et sans capacité de discernement pour distinguer les vrais enjeux de la participation politique et de la conquête du pouvoir. Notre démocratie se résume à des débats stériles au quotidien et des invectives, mais cette passion affichée cache une lutte acharnée pour l’obtention de privilèges liés au pouvoir. Pour paraphraser le Général De Villiers autrement «la grammaire (…) de notre démocratie» se résume «(…) au jouir et au pâtir». Comme pour nous dire «enivrez-vous sans cesse» d’insultes, d’invectives et de démagogie.

La démocratie sénégalaise est en crise, une crise d’acteurs. Elle est une arène au vrai sens du terme, comme dans la Rome antique où seule la victoire du jour est l’heureuse issue. On y retrouve des gladiateurs d’une autre époque, des activistes chômeurs, des membres de la Société civile, transformée en société politique, et des élites qui ont fui le sacerdoce d’éclairer en tout lieu et en toutes circonstances un peuple abandonné à lui-même. Et oui «(…) en politique, le vrai et le mensonge portent le même pagne, le juste et l’injuste marchent de pair, le bien et le mal s’achètent ou se vendent au même prix». Cet engagement n’est en rien gratuit, il est le prolongement de l’engagement d’une nouvelle race de politiciens belliqueux et vides de contenus intellectuels, dont la seule entreprise est d’assouvir une soif de vengeance pour goûter aux lambris dorés du pouvoir.

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Ces nouvelles vagues d’entrées en politique, aussi légitimes soient-elles, cachent des desseins inavoués et masquent des fantasmes psychologiques d’une ascension sociale. L’engagement individuel prend le dessus sur les partis politiques et renseigne sur le niveau de rejet de la conception politicienne de la chose publique. En effet, les partis politiques sont devenus des coquilles vides structurées autour d’une minorité qui gouverne.

Aucune idéologie n’est plus présente, la formation à la citoyenneté laisse la place à une nouvelle forme de militantisme fondée sur la propagande, comme du temps des communistes. Les alliances contre nature foisonnent, on retrouve des dinosaures de la politique, qui ont traversé tous les régimes, avec des jeunes antisystèmes. Dans un melting-pot digne du Carnaval de Rio, les coalitions sont à toutes les sauces. Des Libéraux se marient avec des Socialistes, des antisystèmes se fiancent avec des ténors du système. C’est à s’y perdre dans ce capharnaüm teinté d’un bazar chinois ou l’on ne reconnait plus ceux qui se réclament de la Société civile ou de la sphère religieuse.

Toutes ces coalitions ou alliances ne visent qu’une chose : conquérir le pouvoir ou le conserver pour en jouir, les alliances idéologiques ne sont plus d’actualité. Cela se ressent fortement, car toutes les crispations entre pouvoir et opposition tournent autour des questions électorales. Le débat politique s’est fortement affaibli, les débats idéologiques et programmatiques disparaissent de la vie politique. Dans un tohu-bohu indescriptible, le débat démocratique s’appauvrit, les questions d’intérêt majeur de la nation ne sont plus prioritaires. Et pourtant, le legs de nos aînés n’est pas si loin. Les leaders politiques d’hier cultivaient la formation des jeunes dans les écoles du parti, ils avaient la carrure et l’envergure intellectuelles pour discourir et partager une vision. C’étaient d’abord des élites intellectuelles avant d’être des élites politiques. Abdoulaye Wade, un monument en politique, a formé une génération d’hommes politiques qui avaient le don de captiver l’attention et de vendre un projet. Quels que puissent être les reproches qu’on peut faire au Parti socialiste, de Senghor à Abdou Diouf, on reconnait la qualité des hommes qui incarnaient le pouvoir.

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Dans la scène politique actuelle, les quelques exceptions qui osent élever le niveau du débat sont noyées par une certaine presse qui fait la promotion du populisme. Thierno Alassane, Docteur Abdourahmane Diouf et tant d’autres incarnent une certaine éthique politique et la font autrement, bien que cette façon de faire ne capte pas encore l’attention d’un électorat dans le sensationnel. Nous sommes arrivés à un moment où il faut vendre du vent à une jeunesse désespérée, vendre une utopie politique à des Sénégalais en proie à des difficultés majeures et se fonder sur une «panique morale» pour exister. Il est plus facile de prêcher le faux pour accéder au pouvoir, que de construire des axes de convergences solides capables d’apporter des solutions aux questions lancinantes de l’emploi des jeunes, de la santé, etc. Les vœux pieux et les promesses ne font pas un Etat et comme disait Wade, «les promesses n’engagent que ceux qui y croient».

La démocratie, c’est plus qu’une compétition électorale. Elle doit être l’aspiration d’un peuple à plus d’inclusion, à une offre politique sérieuse et une vision réaliste. Elle doit être un contrat moral entre les électeurs et les élus, un contrat dont la seule clause est de respecter le pacte de servir l’intérêt général et de protéger les institutions de la République. Comme l’indiquait Pierre Mendès France, «la démocratie, c’est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité : c’est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire ; c’est un code moral». Lorsque les types de mœurs, les barrières à la vertu et au scrupule disparaissent, la démocratie s’affaiblit, elle perd la force du «dêmos» et du «kratos», elle devient une démocratie au rabais.

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