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Burok Ziguinchor Et Abus De Patrimonialisation

Burok Ziguinchor Et Abus De Patrimonialisation

La notion de patrimoine employée mais peu repensée localement n’est, au niveau sens culturel, pas corrélative à nos réalités sociales. En anglais par exemple, patrimoine se dit « heritage » pour nommer ce qui est acquis ou transmis par une génération précédente. Certainement que chez nous, comme chez l’Anglais, « heritage » n’a pas de charge utilitaire comme l’est « patrimoine » qui renvoie à ce qui est conservé et transmis pour satisfaction d’un besoin. On comprend vite pourquoi les hommes politiques, voire les experts s’intéressent à cet aspect utilitaire sans jamais se poser la question du pour qui et pour quoi ? Question de pragmatisme qui amène à signaler que dans bien de communautés, l’héritage est assumé par celui à qui il échoit.

Mais, patrimonialiser à l’image de la « mère patrie » donne ainsi à la municipalité certaines prérogatives élusives de baptiser ou de rebaptiser les « lieux » où se manifeste la « mémoire » de la communauté. La commémoration en tant qu’acte politique impose des marqueurs extérieurs qui réduisent l’archive, cette « écriture du scribe » en emblème. Elle est un retour inavoué vers des pratiques traditionnelles jadis considérées transgressives quand les signes écrits désacralisèrent les emblèmes pour consacrer les livres.

Le monde aurait pu être un théâtre de cohabitation fécondante de grandes statues de saints dont l’immobilité empêcherait toute agression, ce dont les écrits des hommes de par leur destin de mobilité sont incapables. Les emblèmes en tant que « heritage » ornaient les cimetières des curiosités faute d’héritiers ; là où le « patrimoine » impose une mémoire institutionnellement commandée, source d’abus.

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Nous l’avons relevé dans le procès-verbal de la « première session ordinaire du conseil municipal de Ziguinchor » du 17 février 2022 présidée par le maire Ousmane Sonko. Parmi les cinq points à l’ordre du jour, celui de la patrimonialisation par « redénomination de rues », de l’expression publique d’une mémoire commandée à des buts identitaro-africaine nous a interpellé.

Nous reconnaissons l’intérêt du projet politique de la nouvelle équipe municipale « Burok », qui tend à compter sur l’impact socio-économique de la culture, à lier culture et développement. Néanmoins, il y a une certaine incohérence quand la mairie privilégie les considérations de l’ordre de la culpabilité politique pour ne pas souffrir de la cohabitation des emblèmes sur la ville. Incohérence en ce sens que Ziguinchor, la Casamance n’a jamais subi d’atteinte à son estime au point de rejeter la démocratisation des lieux de mémoire.

« Casamance Invicta Felix », les armoiries de la ville de Ziguinchor rappelle ainsi que l’héritage de l’agression coloniale est marqué du sceau de la résistance. Tandis que les noms des rues, mêmes dans leurs consonnances étrangères, célèbrent les événements fondateurs d’une « Casamance (qui) a ses morts pour la France » à qui nous devons la « Patrie » Sénégal.

Au cas contraire, toute manipulation de la mémoire par l’actuel conseil municipal de Ziguinchor devrait se faire avec l’aide d’une commission qui devrait prouver les humiliations réelles ou imaginaires à l’estime de la Casamance derrière certains noms de rues et qui justifieraient que ces noms tombent dans l’oubli.

Contrairement à Dakar et ses rues comme « Thiong (Thionk-Essil), Sandiniéry… » qui célèbrent les batailles de l’unification coloniale en Casamance ; dans l’ancienne capitale territoriale tout emblème qui renvoie à la France porte la charge symbolique d’une altérité de réciprocité qui valide l’idée d’une Casamance heureuse et invaincue.

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Or, rebaptiser les rues du « Capitaine Javelier » en « Avenue du Tirailleur Africain » et du « Lieutenant Lemoine » en « Rue Thiaroye 44 » enfonce encore plus dans l’oubli l’histoire mémoire de la Casamance à travers la « Compagnie de Bignona ». Cent douze réservistes de la 17e « Compagnie de Bignona » avec leurs chefs, le Capitaine Javelier et le Lieutenant Lemoine (on est loin de Thiaroye 44) sont massacrés en novembre 1914 à Arras.

Est-ce par zèle de panafricanisme ou de patriotisme que la mairie s’acharne à effacer les traces de cette mémoire quand elle n’en abuse pas ? Abus de patrimoine quand les rues « Général De Gaulle, France, Lieutenant Truche » deviennent respectivement « Rue de la Paix, Rue de l’Union Africaine, Rue de Séléki 1886 ».

Si les événements de 1886 ont confirmé l’existence d’un sous-groupe ajamaat dénommé les « Banjal », pourquoi – pendant que se perd les lieux comme Colobane banjal, Belfort banjal, Diéffaye… – ne pas symboliser cette unité « banjal » qui mit en déroute l’expédition du commandant de la Casamance à Sédhiou, le Lieutenant Truche qui préféra se suicider ? Pourquoi ne pas interroger la relation entre la « France, le Général De Gaulle » et la Casamance ? Qui oserait croire que la « paix » et « l’union africaine » se feront dans l’oubli de l’histoire mémoire ?

Même avec les meilleures intentions, une politique culturelle liée au développement de la Casamance naturelle qui procéderait par occultation du passé soit-il colonial, instituerait l’oubli comme règle qui empêcherait les futures générations de tirer des leçons de ce passé pour l’avenir. C’est justifier pour demain, comme actuellement, une certaine politique de violence qui veut bâtir la paix avec la force de recul d’un mortier faute d’avoir appris des erreurs passées.

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Pour arrêter cette alerte, nous dirons de manière sincère que les lieux de mémoire qui évoquent le passé colonial restent des sites de conscience qui empêchent l’oubli. Ce sont des documents de l’histoire de la Casamance que nous devons côtoyer non pas pour s’y complaire en commentaires culpabilisateurs, mais pour nous permettre de bâtir une explication humanisante, des réponses aux problèmes de développement par la culture. Une politique de développement par la culture qui ne permet pas de conscientiser de manière juste sur l’histoire mémoire de la Casamance, alimentera de faux espoirs de développement par la culture.

« C’est compliqué » comme dirait un aîné !







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