À la suite de chaque événement politique, surtout lorsqu’il s’agit d’un problème opposant l’État-Bennoo à l’opposition Yewwi Askan Wi (YAW), les utilisateurs des réseaux sociaux prédisent voire précisent avec exactitude les titres des unes qui doivent faire la manchette des journaux le lendemain.
Quand l’opposition organise une marche ou un rassemblement populaire, certains journaux stipendiés par des réseaux du pouvoir dégurgitent des titres dévalorisants du genre « échec à la mobilisation », « la manifestation fait flop », « les populations tournent le dos à l’opposition » et tutti quanti.
Lors de la manifestation du 8 juin, en dépit du méga-rassemblement de YAW, certaines feuilles de chou ont versé dans des titres ambigus qui ne sont informatifs en rien sur la mobilisation-monstre de la place de la Nation. D’autres à leur corps défendant ont fait état de la réussite de la manif de YAW. Et au lendemain du 18 juin, ces journaux de complaisance et de révérence pour reprendre Serge Halimi qui se sustentent des dîmes de l’intendance royale, ont rivalisé en titres dépréciatifs à l’égard de YAW. Nos p(eu)reux chevaliers, la presse écrite, ont magnifié la riposte des forces de l’ordre, moqué le flop de manifestation, et se sont réjouis de la séquestration et du kidnapping des leaders de l’opposition. Aucun mot sur les trois Sénégalais lâchement assassinés. Aucun mot sur l’illégalité de l’arrêté d’interdiction du préfet !
Au lieu d’informer, les journalistes déforment et dévoient. Pourtant le public a droit à une information de qualité, libre et indépendante. Aussi se trompent-ils de combat parce que le combat de YAW, qui est celui de tous les démocrates, n’est pas dirigé contre nos Forces de défense et de sécurité (FDS) mais contre le pouvoir oppresseur qui veut restreindre les libertés sous le prétexte de troubles à l’ordre public.
C’est malheureux de voir une partie de notre presse écrite irresponsable faire black-out sur les morts de cette manifestation et glorifier parallèlement la bravoure des auteurs d’une telle ignominie. Les vies perdues ne valent rien devant la gloriole des FDS. Le summum de le mithridatisation est atteint. Si certains journaux ont préféré fermer l’œil sur cette tragédie signée Macky Sall et Antoine Diome, si certains marabouts et autres notables ont adopté un comportement salomonique pour ménager la chèvre État-Bennoo et la chou Yewwi, d’autres ont préféré chanter la pluie de grenades et de balles (au Sud du pays) qui est tombée sur de pauvres citoyens dont le seul tort est d’avoir voulu jouir de la liberté constitutionnelle de manifester.
Mais c’est un mensonge sordide de dire que les FDS ont maintenu l’ordre et maitrisé la situation. Quand on maitrise la situation, on ne tue pas son concitoyen, on le protège pour qu’il jouisse de toute liberté constitutionnelle. C’est encore un mensonge de dire que la manif de YAW a fait flop. L’échec d’une manif se jauge à l’aune de l’adhésion populaire et des moyens de répression déployés à outrance pour empêcher sa tenue. Mais quand on ceinture le domicile d’un seul leader ou deux avec des bataillons blindés et une foultitude d’hommes armés pour l’empêcher de sortir manifester ou de sacrifier à la prière du vendredi, l’échec ne peut retentir que du côté des autorités qui ont enjoints aux policiers et gendarmes casqués et bottés de mâter ces citoyens dont les impôts contribuent à nourrir ces mêmes FDS et à acheter leurs équipements. Quand on kidnappe des responsables politiques triés sur le volet pour les remettre à un procureur politicien qui a lui aussi a envie d’écrire tristement l’histoire comme son prédécesseur en distribuant, en veux-tu en voilà, des mandats de dépôt, on ne peut pas crier hourra mais haro.
La bataille n’est pas entre les forces de l’ordre et les militants de Yewwi mais entre ces derniers et l’injustice instaurée par le préfet et le gouverneur de Diome. On aurait s’attendre à des éditoriaux incandescents qui allaient dénoncer voire condamner l’État mackyste répressif qui utilise dans le sens de ses intérêts les lois de la République pour interdire une manifestation pacifique. On aurait dû s’attendre à des éditoriaux bouillonnants qui auraient condamné sans aménités les manifestants qui sont morts par la faute d’un président frileux qui s’accroche aux basques d’un régime honni, banni et fini mais qui chercherait une résurrection avec sa nouvelle trouvaille : la non-limitation des mandats. On aurait pu se délecter d’analyses qui cloueraient au pilori ce préfet soumis et ce gouverneur hors-la-loi qui bafouent des libertés constitutionnalisées aux seules fins d’assouvir les desiderata d’un prince traumatisé par la popularité grandissante de son ennemi juré, Ousmane Sonko, qui a toutes les chances de lui succéder démocratiquement dans moins de 20 mois.
Mais que nenni ! Les vrais rédacteurs en chef tapis dans les officines du palais s’évertuent à transbahuter dans les rédactions domestiquées pour indiquer les unes flatteuses d’un côté et fielleuses de l’autre qui doivent barioler la manchette des journaux. Un procureur médiatique pour lequel la « sonkophobie » est devenue son fonds de commerce a poussé la bêtise jusqu’à dire que les trois morts sont signés le leader de Pastef, dédouanant malhonnêtement son mentor sustentateur qui compte à son actif 17 morts. Chiffre provisoire parce que les Sénégalais épris de démocratie et de justice et ne reculant pas d’un seul centimètre dans l’espace de liberté affronteront la soldatesque du Prince si un préfet zélé s’aventure à leur priver ce que leur offre la loi fondamentale.
Le journalisme contestataire et engagé a laissé place aujourd’hui à un nouveau type de journalisme : celui du tube digestif. Et quand le tube digestif s’agite, l’intellect est paralysé. Et c’est cet intellect qui est le véritable carburant du journalisme. C’est révolu l’époque glorieuse où, au lendemain de troubles politiques, les plumes incisives des journalistes de renom de Sud tels que le regretté Babacar Touré, feu Baye Moussé alias Moussa Paye, Abdoulaye Ndiaga Sylla, Demba Ndiaye, feu Ibrahima Fall, Ibrahima Bakhoum, Mamadou Oumar Ndiaye du Témoin crachaient leur encre bilieuse pour flétrir toute exaction venant du pouvoir via les forces de sécurité. On s’arrachait les Sud, Walf, Témoin, Cafard libéré au lendemain de troubles politiques parce que les éditoriaux et les analyses des journalistes susnommés nous donnaient une lecture plus approfondie qui dépassaient la simple factualité des événements.
Sous le régime de Macky Sall, la plupart des journalistes ont perdu la sève nourricière qui vivifie leurs plumes ou micros : la liberté. C’est pourquoi, ils n’osent plus dire la vérité. On produit sur commande des décideurs. Quand on bâtit un projet médiatique en ne comptant que sur les subsides de l’État-providence ou sur la bourse du pouvoir politico-économique, on ne peut que se soumettre à leurs impitoyables et contraignantes injonctions. Alors on ment, on diffame, on calomnie pour plaire aux seigneurs bailleurs. Là, on poignarde l’éthique journalistique, on trahit la conscience professionnelle et on blasphème le dieu médiatique : la vérité.