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Les Magistrats Et Les Fonds Politiques

Les Magistrats Et Les Fonds Politiques

En 2006, un juge confiait au journaliste Abdou Latif Coulibaly : « Tous les chefs qui dirigent les hautes juridictions… et tous les chefs de parquets…émargent à la présidence de la République. Ils sont payés par l’Exécutif sous forme de dessous de table … ».

Ce procédé bancal et hypocrite est-il toujours en vigueur ?

« La rémunération constitue l’un des problèmes les plus importants de la condition de juge au Sénégal. », dixit Demba Sy.[i]  

Dans l’ouvrage intitulé « Chantiers de Thiès : les faits », paru en 2006 sous la direction de Jacques Habib Sy, Aide Transparence y aborde une problématique qui est de nature à fragiliser l’indépendance de certains magistrats : il s’agit du versement en espèces de complément de rémunération à certains magistrats juges ou procureurs « sous forme de dessous de table », en violation des dispositions de la loi organique sur le statut des magistrats et de son décret d’application [ii] et de celles de la loi fiscale Le journaliste d’investigation Abdou Latif Coulibaly consacre également des développements relativement importants à cette question dans son ouvrage « Une démocratie prise en otage par ses élites. Essai politique sur la pratique de la démocratie au Sénégal », paru en 2006 chez l’Harmattan.

C’est de ces deux ouvrages que sont extraits les développements qui suivent.

« Le magistrat qui reçoit (des) fonds politiques… ne peut, par la suite, se prévaloir d’aucune indépendance de jugement ou même d’une éthique conforme au serment qui fonde sa profession... »,  dixit Aide Transparence Sénégal

D’après Aide Transparence Sénégal, « selon les reportages dans la presse (de l’époque) au sujet de l’audition de M. Idrissa Seck (dans l’affaire dite « Les chantiers de Thiès »), des chefs de juridiction semblent avoir reçu, sur une base régulière des sommes importantes d’argent venant (des) fonds politiques »[iii]. Aide Transparence Sénégal note:  «L’argent de tous les Sénégalais ainsi mis à la disposition du camp présidentiel peut conduire à un état d’anarchie qui fragilise la stature dont les magistrats doivent se prévaloir, s’il est avéré…que de hauts magistrats auraient reçu, sur une base mensuelle et secrète, des sommes très élevées que l’on pourrait assimiler à une sorte de bakchich pour acheter le silence de certains d’entre eux qui se comportent avec complaisance devant les entorses à la loi et au viol des droits sociaux, politiques et économiques les plus élémentaires.

Le magistrat qui reçoit de tels fonds politiques, sur une base secrète et à un rythme aussi intense, ne peut, par la suite, se prévaloir d’aucune indépendance de jugement ou même d’une éthique conforme au serment qui fonde sa profession et son engagement social »[iv] .         

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« Tous les chefs qui dirigent les hautes juridictions du pays et tous les chefs de parquets … sont payés par l’Exécutif sous forme de dessous de table… », dixit un juge

Pendant la préparation de son ouvrage précité, un juge a confié à Abdou Latif Coulibaly, dans un entretien en date du 22 mars 2006, ce qui suit :

« …. Je suis révolté par la médiocrité qui caractérise le milieu, l’incompétence de certains de mes collègues, le carriérisme de ses chefs qui ne sont plus rien que des commis des politiques. Je suis inquiet, pour dire le moins. Je ne peux pas comprendre que tous les chefs qui dirigent les hautes juridictions du pays et tous les chefs de parquets de leur rang émargent à la présidence de la République. Ils sont payés par l’Exécutif sous forme de dessous de table qui leur sont déposés en catimini par un gendarme qui fait la ronde des Cours et Tribunaux, à la fin de chaque mois » [v]».

Ce procédé bancal et hypocrite est-il toujours en vigueur ? En tout état de cause, nous estimons qu’une telle pratique fragilise l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il convient donc de protéger l’indépendance des magistrats en mettant en place un mode de rémunération transparent qui ne dépend pas du bon vouloir du chef de l’Exécutif. « Protéger l’indépendance des juges dans l’intérêt des justiciables, c’est avant tout donner à ses titulaires, personnes et institutions, les moyens concrets d’exercer pleinement leur fonction. Le juge doit en effet bénéficier d’un traitement décent qui puisse le mettre à l’abri des tentations qui émaneraient tant du pouvoir politique que du monde économique [vi]».

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Toutefois, la revalorisation de la fonction de juge doit aller de pair avec l’organisation d’ « un système de responsabilité plus effective des juges » (expression empruntée à A. L. Coulibaly). « Se pose alors, selon A. L. Coulibaly, une question somme toute légitime : n’est-il pas juste et souhaitable d’organiser la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du juge, voire pénale de ce dernier, dans tous les cas où il obéirait à des ordres … dans sa prise de décision ? [vii]».

Pour conclure, nous laisserons la parole à Jacques Habib Sy et Habib Ndiaye : « Seule une Cour suprême et un Conseil constitutionnel suffisamment forts, indépendants des pouvoirs exécutif et législatif, et capable de garantir sa propre autonomie budgétaire, en conformité avec la loi, pourrait être en mesure d’assurer au peuple sénégalais une justice impartiale, parce que non corruptible par un pouvoir exécutif omniscient et disposant, au surplus, de l’argent public, à sa guise, comme s’il s’agissait de son patrimoine personnel »[viii].

[i] Demba Sy, « La condition du juge en Afrique : l’exemple du Sénégal , numéro 3, juin 2003. http://afrilex.u-bordeaux.fr/la-condition-du-juge-en-afrique-lexemple-du…

[ii]  Nous n’avons pas jugé utile d’évoquer ici l’allocation totalement arbitraire d’un salaire net d’impôts de cinq millions francs CFA aux chefs des hautes juridictions dans des conditions non prévues par la loi organique sur le statut des magistrats.

[iii]Aide Transparence. Commission indépendante d’investigation , « Chantiers de Thiès : LES FAITS »  (sous la direction de Jacques Habib Sy), 2006, p. 196.

[iv]Ibidem. pp. 186-187. (Nous mettons en gras et soulignons).

[v] Abdou Latif Coulibaly, « Une démocratie prise en otage par ses élites. Essai politique sur la pratique de la démocratie au Sénégal », L’Harmattan, 2006, p. 114. (Nous mettons en gras et soulignons).

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[vi] Selon la déclaration de l’AHJUCAF adoptée à Bruxelles le 10 octobre 2017 sur « Renforcer l’indépendance des Hautes juridictions par leur autonomie budgétaire », Revue Française de Finances Publiques n° 142, p. 34. (Nous mettons en gras).

[vii]  Abdou Latif Coulibaly,op.cit.p. 116.

[viii]  Repris tel quel de l’ouvrage  « Chantiers de Thiès : LES FAITS », p. 187.(Nous mettons en gras).







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