Le Sénégal va au-devant d’élections législatives qui pourraient, cette fois plus que jamais auparavant, conduire à une cohabitation parlementaire entre l’actuelle majorité représentée par la coalition Bennoo Bokk Yaakaar et l’opposition dans sa diversité.
Macky Sall, stratège du reniement des engagements pris
Des manœuvres pour consolider, à tout prix, une nouvelle majorité
Une fois élu le 25 mars 2012, le nouveau président s’est d’abord préoccupé de consolider son pouvoir personnel. Au sein des différentes composantes des forces politiques, tous les esprits s’étaient tournés vers les élections législatives du 1er juillet 2012. Le président Sall, confortablement élu avec 65% des suffrages au 2ième tour, ne perdait pas de vue que sa coalition originelle (Macky 2012), n’avait obtenu qu’un quart des suffrages exprimés (26,58%) au premier tour. Cela l’amènera à user de tous les stratagèmes pour enrôler la quasi-totalité des partis de la nouvelle Coalition Bennoo Bokk Yaakaar (BBY) dans une même liste en vue de se constituer une majorité parlementaire lui permettant de gouverner, en laissant en rade la question cruciale du programme commun, sinon de transition, tout au moins de législature.
Mise sur pied de la C.N.R.I
Néanmoins, tout ne semblait pas encore définitivement compromis, car M. Macky Sall fit part de son intention, lors de la Journée des Institutions, le 14 septembre 2012, de mettre en place une Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI).
La remise du rapport de la CNRI au Président de la République intervint le 13 février 2014, avec des propositions pour remédier aux dysfonctionnements institutionnels, mis en évidence par les Assises Nationales.
Il s’agissait, en premier lieu, de renforcer les pouvoirs de l’Assemblée nationale, de faire de la Justice un rempart solide de la démocratie, d’amener le président de la République à rester équidistant des joutes politiques partisanes et enfin de conférer au Premier ministre adossé à une solide majorité parlementaire, la capacité de déterminer et de conduire une politique dont il serait entièrement responsable.
Reniement de l’héritage des Assises
Malheureusement, c’est au moment où le processus de refondation institutionnelle et l’application des recommandations de la C.N.R.I devaient entrer dans une phase active, que le président et les militants de son parti, l’Alliance pour la République, adoptèrent une nouvelle attitude vis-à-vis des réformes institutionnelles.
L’histoire pardonnera difficilement à nombre de ténors de la coalition BBY d’être restés passifs devant cette trahison des idéaux des Assises nationales, qu’ils avaient initiées. D’autres comme le président Macky Sall sont tout aussi inexcusables, car bien qu’ayant observé, au début, un certain recul vis-à-vis des réformes proposées, avaient fini par les avaliser sur le tard, en signant la Charte de gouvernance démocratique des Assises nationales.
Rejet d’une nouvelle Constitution
Le chef de l’État et son conseiller juridique préféraient s’inscrire dans la perspective « d’apporter à notre Constitution les changements consensuels appropriés sans provoquer de rupture normative dans la nature même de notre régime politique », allant ainsi à contre-courant des forces politiques, qui préconisent l’application intégrale de l’avant-projet de Constitution proposé par la CNRI.
De fait, un peu moins de deux ans plus tard, lors de son adresse à la Nation du 31 décembre 2015, il allait substituer à la nouvelle constitution en gestation, un projet édulcoré et disparate de réformes constitutionnelles.
L’adresse présidentielle du 16 février 2016, va acter la volte-face présidentielle sur la réduction de son mandat, sur la base d’un avis truqué du conseil constitutionnel et fixer la date du référendum au 20 mars 2016.
Le tournant du référendum de 2016
Ce « référendum » semble bien être le moment décisif, au cours duquel le régime de Macky Sall va se débarrasser du fardeau des Assises nationales, prônant non seulement un approfondissement de la démocratie, mais aussi une gouvernance véritablement sobre et vertueuse, sans oublier la consolidation de notre souveraineté nationale.
De fait, la dynamique des Assises avec une réelle séparation des pouvoirs ne lui laissait pas les coudées franches pour garantir l’impunité à ses amis politiques impliqués dans divers délits et malversations révélés par des scandales à répétition, et s’assurer de la mainmise de son clan sur les nouvelles ressources pétrolières et gazières.
Seul le blocage des réformes inscrites dans l’Avant-projet de Constitution pouvait permettre au président Sall de se livrer à diverses forfaitures (arrestation et exil forcé d’opposants, vote de lois scélérates comme celle sur le parrainage, mise sous le coude de dossiers compromettants pour son entourage, surtout l’affaire Petrotim, etc.).
Le nouveau référendum du président Macky Sall, organisé en l’espace d’un mois, avec une courte semaine de campagne, visait à masquer le reniement présidentiel sur ses engagements antérieurs et à empêcher le peuple de saisir les enjeux de la refondation institutionnelle. Nous nous limiterons ici à ceux qui nous paraissent les plus importants.
Ainsi, les pouvoirs du président de la République sont restés intacts. Les mécanismes de renforcement des pouvoirs de l’Assemblée Nationale ont été occultés. Par exemple, rien n’a été dit sur le mode de scrutin majoritaire à un tour avec prédominance de la liste majoritaire (raw gçddu). Comment une telle Assemblée nationale peut-elle objectivement contrôler l’action d’un gouvernement mis en place pour appliquer la politique définie par le chef de l’État, auquel l’écrasante majorité des députés doivent leur élection ou plutôt leur nomination ?
En lieu et place d’un élargissement du Conseil constitutionnel à deux autres membres choisis par le président de l’Assemblée, la CNRI avait proposé le remplacement du Conseil constitutionnel par une Cour constitutionnelle ainsi composée : trois magistrats désignés par le président ; un professeur titulaire de droit (choisi par le Président de l’Assemblée nationale sur une liste proposée par les différentes universités du pays); un avocat désigné par le bureau du Conseil de l’Ordre des Avocats ; un membre choisi par le Premier ministre et une personnalité choisie par le président de l’Assemblée nationale au sein des associations des droits de l’Homme et de promotion de la Démocratie.
Pour garantir une réelle indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis de l’Exécutif, la CNRI avait également proposé que le président de la Cour constitutionnelle soit élu par ses pairs parmi les magistrats pour une durée de trois (3) ans, renouvelables une seule fois.
La cohabitation, une opportunité pour de réelles concertations sur la voie tracée par les assises nationales
Vingt-deux ans après la première alternance démocratique de 2000, il apparaît clairement que la refondation de nos institutions ne peut être le fait d’un président déjà élu et laissé à lui-même, qui n’a donc aucun intérêt à réduire son immense pouvoir, surtout en cas de collusion avec des puissances étrangères.
C’est pourquoi, la cohabitation parlementaire, qui se profile à l’horizon, peut constituer, non une fin en soi mais un moyen, une opportunité pour des concertations nationales élargies à des milieux extra-parlementaires pour une véritable refondation institutionnelle, l’approfondissement de la démocratie et le renforcement de notre souveraineté nationale.
Orientations stratégiques pour la refondation de la société et de l’État sur la voie tracée par les assises nationales
Il s’agit des orientations stratégiques préconisées par les différents acteurs de la vie nationale, des experts, des intellectuels comme des couches populaires pour refonder notre République ; une République qui traduise les profondes aspirations de millions de Sénégalais pour un mieux vivre.
Un mieux vivre et un mieux-être, économique, politique, social, culturel, moral, durable pour les générations présentes et celles à venir.
Gouvernance politique et institutionnelle
Il est question de refonder les institutions dans le sens de la préservation, de l’élargissement et de la consolidation des acquis démocratiques et de l’État de droit, tout en donnant une place centrale à la citoyenneté active et à l’éthique de responsabilité, à travers une gouvernance locale effective et efficiente.
Le respect et la promotion des libertés individuelles et collectives passera par l’adoption d’une charte des libertés, de la démocratie et de la bonne gouvernance ayant valeur constitutionnelle et ne pouvant être révisée que par voie référendaire.
Le nouveau système garantira la neutralité de l’administration et de ses agents dont le recrutement, la carrière et la rémunération obéiront aux principes de transparence, d’équité et de compétence.
Pour asseoir un système électoral fiable, transparent et incontestable, il sera créé un organe indépendant ayant les prérogatives et les moyens voulus, pour conduire le processus électoral du début à la fin.
Pour garantir la pluralité de l’information, il faudra œuvrer pour une plus grande professionnalisation des médias, leur viabilité économique et leur autonomie financière, afin qu’ils puissent jouer pleinement et en toute responsabilité leur rôle dans la consolidation démocratique de la société et des institutions.
En matière de gouvernance locale, il sera défini un nouveau cadre pour une politique de développement durable et une gouvernance de proximité, afin de mieux répondre aux exigences d’équité territoriale et de prise en charge efficace des besoins des populations dans le cadre de pôles de développement cohérents et viables.
Gouvernance économique et financière
Il s’agit de passer radicalement du modèle économique actuel, qui maintient le Sénégal dans le statut de débouché des surproductions agricoles et des produits manufacturés de mauvaise qualité des pays développés dominateurs à un système productif organique, doté de mécanismes de coordination et d’objectifs tournés vers l’élévation du niveau de vie des populations.
Redéfinir un positionnement agricole et industriel qui rompe la dépendance vis-à-vis de l’UE, des pays développés ou émergents et qui assure le passage d’un statut d’assisté à celui de partenaire égal.
Gouvernance sociale
Dans le domaine social et des valeurs, une bonne gouvernance exige des hommes et des femmes de qualité, imbus de valeurs morales, ayant le sens de l’Etat, de la justice et de l’équité. Elle exige des citoyens une prise de conscience du fait qu’ils ont certes des droits mais également des devoirs envers leur pays et interpelle la société civile citoyenne (charte de gouvernance démocratique des Assises), afin de prétendre à un développement dans les domaines moral, spirituel, culturel, matériel et civique, dans un environnement sain, avec un accent particulier sur les droits de la famille, des femmes, des enfants, des personnes âgées et des personnes en situation de handicap, et garantissant à tous les citoyens l’accès à une nourriture saine, à la santé, à l’éducation, à la formation, à la terre, à la sécurité sociale, au logement, à la pratique des sports, sans oublier la promotion des cultures et langues africaines…
Gouvernance de la politique africaine, des relations extérieures et de la sécurité
Il s’agira de se doter de politiques dynamiques, réalistes et cohérentes, efficientes et offensives au plan économique et qui soient au service de la souveraineté, de la dignité nationale et africaine, c’est-à-dire du bien-être des citoyens résidents ou émigrés.
Politique intérieure et politique extérieure sont les deux facettes d’une seule et même ligne politique. Ainsi, à la lumière de l’expérience historique récente accumulée par l’ensemble des peuples africains depuis les fausses indépendances de la deuxième moitié du 20ème siècle et surtout depuis l’entrée dans un troisième millénaire marqué par une tentative de fragmentation et de recolonisation armées de notre continent, il apparaît à la fois nécessaire et urgent de reconsidérer notre politique africaine comme une affaire intérieure dont la sécurité multidimensionnelle relève donc exclusivement de notre souveraineté collective. Aucun peuple africain ne saurait déléguer sa souveraineté à une puissance étrangère, c’est-à-dire extérieure à l’Afrique, quelle qu’elle soit et dans aucun domaine, y compris le traitement réservé à notre diaspora d’Orient et d’Occident, dont le sort est étroitement lié au statut diplomatique de la mère-patrie.
Les législatives de 2022 et la présidentielle de 2024 doivent être saisies par l’ensemble de nos compatriotes comme autant d’opportunités pour un tournant décisif et un changement de cap véritable, seuls susceptibles de permettre à notre pays et à notre continent de donner le signal fort d’un nouveau départ pour la construction d’une République réelle, démocratique et sociale, dans la souveraineté, la dignité, la paix, la stabilité et le bien-être partagé. C’est pourquoi nous lançons à tous et à toutes le présent Appel afin de créer ensemble les conditions en vue de l’actualisation et de la mise en œuvre des Conclusions des Assises Nationales en tant qu’expression vivante du dialogue national constructif, pour une renaissance africaine authentique. Au-delà des législatives prochaines et quels qu’en soient les résultats au demeurant, le présent Appel se veut être un point de départ d’une initiative durable, large, ouverte et inclusive, destinée à être partagée, prise en charge et conduite avec esprit de suite par l’ensemble des forces vives intéressées.