Emmanuel Macron ayant proclamé sa volonté de renouveler les relations entre l’Afrique et la France, sa visite au Cameroun, à la fin de juillet, représentait un sérieux test, peut-être le plus difficile pour lui. Pays-pivot, concentré de contradictions explosives, le Cameroun est l’un des États les plus complexes et les plus énigmatiques du continent. Pour des raisons historiques évidentes, il est, depuis l’époque coloniale, l’un des foyers les plus critiques, et même les plus virulents à l’égard de la politique française en Afrique.
À l’origine du nationalisme camerounais
Protectorat allemand de 1884 à 1918, il devient, en 1919, un territoire sous mandat de la Société des nations (SDN) avant d’être placé sous la tutelle de l’ONU, qui en confie l’administration à la France et à la Grande-Bretagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. D’un point de vue juridique, il ne fut donc jamais une colonie proprement dite, même si les deux puissances occupantes tinrent à l’administrer comme telle. Ce statut juridique exceptionnel est à l’origine du nationalisme camerounais.
Créée en 1948, l’Union des populations du Cameroun (UPC) en porte le flambeau. Son secrétaire général, Ruben Um Nyobe, qui en est le théoricien et le porte-parole (« Mpodol »), est assassiné, le 13 septembre 1958, dans le maquis de Libel-li-Ngoy, en Sanaga-Maritime, par les troupes françaises, après que son mouvement a été exclu de la scène politique légale en 1955. Profanée, sa dépouille est traînée jusqu’à Eséka, où il est enseveli dans un immense bloc de béton. D’autres figures subiront un sort plus ou moins similaire : Félix-Roland Moumié, Castor Osendé Afana, Ernest Ouandié.
a guerre d’indépendance, qui débute en 1955, fera des dizaines de milliers de morts. Ce conflit sanglant se prolongera bien après la décolonisation. Il aura façonné la nature de l’État camerounais et aura, selon les historiens, fait du pays l’un des laboratoires privilégiés du système tant décrié de la Françafrique.
Ainsi que l’a admis Emmanuel Macron lui-même à Yaoundé, cette période traumatique a fait l’objet d’un refoulement actif de part et d’autre. En revanche, le souvenir des luttes de l’époque a servi de matrice à l’imaginaire culturel de la nation camerounaise, au point que la critique et la contestation de la politique française en Afrique s’en nourrissent aujourd’hui, y compris au sein des jeunes générations, qui n’ont connu ni la colonisation ni la guerre d’indépendance.
Réussir l’après-Biya
Les contradictions accumulées depuis cette époque convergent désormais vers un seul et même point : les luttes en vue de la succession de l’actuel chef de l’État, au pouvoir depuis bientôt quarante ans.
De toute évidence, la façon dont ces luttes sont menées et la forme que prendra leur dénouement constituent l’un des enjeux majeurs de la politique africaine de la France. Accompagner et, surtout, réussir la succession de Paul Biya est un objectif politique stratégique du quinquennat d’Emmanuel Macron.
Un tel succès ouvrirait un vaste champ de possibilités à tous les acteurs impliqués dans le projet de refondation des rapports entre l’Afrique et la France. Surtout, il donnerait un cours nouveau à l’histoire d’une sous-région en panne d’intégration, menacée par l’enkystement de régimes vieillissants et par la métastase progressive de foyers de tensions de plus en plus difficiles à éradiquer.