Dans aucun Etat démocratique du monde, la condamnation d’une personne n’entraîne sa radiation automatique, et indéfinie des listes électorales. De fait, les dispositions des anciens articles L.30 et L.31 qui ont été transposées dans la Loi n°2021-35 du 23 juillet 2021 portant code électoral au niveau des articles L.29 et L.31 induisent une inéligibilité perpétuelle » et sont inconstitutionnelles. Le projet de Macky SALL d’une amnistie en faveur de Khalifa SALL et Karim WADE relève d’un cynique calcul et n’est pas la voie la plus appropriée pour rétablir les droits électoraux des deux intéressés. Pour permettre à Khalifa SALL et Karim WADE d’être candidats aux présidentielles de 2024, il existe 3 options sur le plan juridique (l’amnistie, un recours en révision, et la révision des articles L.29 et L.30 du code électoral).
L’amnistie n’est pas une option à privilégier
L’amnistie est prévue par l’article 67 de la Constitution. Elle entraine l’effacement de la condamnation pénale, ou l’extinction de l’action publique. Cette voie n’est pas à privilégier par Karim Wade et Khalifa Sall (ils porteront toujours le poids de la condamnation, en cas d’amnistie). Par ailleurs, une amnistie risque de créer une jurisprudence pour les proches de Macky SALL impliqués dans de nombreux scandales portant sur des crimes économiques et financiers.
Le recours en révision est aléatoire, risqué et incertain
Pour une personne qui s’estime injustement condamnée, la réhabilitation qui passe par une révision du procès est souhaitable compte tenu à la fois de sa portée morale et de son impact au niveau de la société (reconnaissance sociale). Néanmoins le recours en révision suppose certains préalables, entre autres, qu’il y ait un fait nouveau de nature à faire établir l’innocence du condamné. En cas de révision pour les cas de Khalifa SALL, et Karim WADE, il y a 2 obstacles majeurs : d’une part, il n’y a aucune certitude d’une réhabilitation du fait que d’une part, la justice est inféodée, soumise, aux ordres de Macky SALL et d’autre part, un tel pari est très risqué en raison des délais liés à une telle procédure, sachant que les présidentielles auront lieu dans 15 mois environ. Une telle option (recours en révision) est aléatoire, et risquée dans le contexte actuel et ne doit pas être envisagée dans l’immédiat.
La voie juridique est tracée par la révision des articles L.29 et L.30 du code électoral
Dans son rapport de la « Mission d’audit du Fichier électoral » du 26 février 2018, les experts de l’Union Européenne (cf page 27, l’article 5.2.2 intitulé « les incapacités électorales liées à des infractions »), les experts de l’Union Européenne, après avoir constaté des incohérences entre le code électoral et le code pénal, ont recommandé au Sénégal de réviser les articles L.31 et L.32 du Code électoral, « en prenant en considération que la proportion de la suppression des droits électoraux d’un condamné soit appropriée au délit et à la peine et que les dispositions du Code électoral soient en harmonie avec le Code pénal ».
A la page 29 du rapport, les experts de l’Union Européenne ont clairement rappelé les dispositions légales qui régissent la privation des droits électoraux, précisant que l’article 730 du Code de procédure pénale du Sénégal dispose qu’une « copie de chaque fiche constatant une décision entraînant la privation des droits électoraux doit être adressée par le greffe compétent à l’autorité chargée d’établir les listes électorales ». Le rapport de la MAFE confirme donc que la radiation des listes électorales d’un condamné, ne saurait en aucun cas revêtir un caractère automatique.
En France, la question a été tranchée par le Conseil Constitutionnel en 2010 : la radiation automatique des listes électorales, en cas de condamnation pour certains délits caractérisés a été jugé contraire à la Constitution et au principe d’individualisation des peines. Il faut une décision expresse du juge pour prescrire l’inéligibilité et surtout en fixer la durée. Le Conseil constitutionnel français, dans sa décision n° 2010-6/QPC du 11 juin 2010 a déclaré que les dispositions de l’article 7 de la loi 95-65 sont contraires à la constitution française, en ce qu’elles violent les termes de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme , aux motifs que « le principe d’individualisation des peines qui découle de cet article (article 8), implique que la peine emportant l’interdiction d’être inscrit sur une liste électorale et l’incapacité d’exercer une fonction électorale qui en résulte ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce ».
La déchéance des droits électoraux ne revêt donc aucun caractère automatique et doit résulter d’une décision d’un juge, qui peut la prononcer pour une durée maximale de cinq ans dans le cas d’un délit, dix ans dans le cas d’un crime. L’interdiction de s’inscrire sur une liste électorale constitue une peine, et toute peine entraine l’application de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme aux termes duquel « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». En 2020, les époux BALKANY ont été condamnés à 3 ans de prison ferme pour fraude fiscale, assortie d’une peine de 10 ans d’inéligibilité, avec exécution provisoire. L’article 7 du code électoral français qui a été abrogé par le Conseil Constitutionnel est la copie conforme de des articles L.29 du code électoral sénégalais.
Au Sénégal, malgré le fait que le Conseil Constitutionnel puisse être saisi par voie d’exception (l’article 92 de la Constitution permet que des exceptions d’inconstitutionnalité soient soulevées devant la Cour d’Appel ou la Cour suprême), les cas de saisine du Conseil Constitutionnel par ce biais, dont très rares pour ne pas dire insignifiants. Le manque de crédibilité du Conseil Constitutionnel y est pour beaucoup.
Le PREAMBULE de la Constitution sénégalaise dispose clairement que Le Peuple affirme « son adhésion à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et aux instruments internationaux adoptés par l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation de l’Unité africaine, notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 ».
Les articles L.29 et L.30 du Code électoral étant inconstitutionnels, Khalifa SALL et Karim WADE n’ont besoin d’aucune amnistie. La voie est toute tracée et balisée par le rapport de la Mission d’audit des experts de l’Union Européenne en date du 26 février 2018 : il faut réviser les articles L. 29 et L.30 du code électoral et les mettre en conformité avec l’article 34 du code pénal qui dispose que « Les tribunaux jugeant correctionnellement pourront, dans certains cas, interdire, en tout ou en partie, l’exercice de droits civiques, civils et de famille (vote et éligibilité).
Il suffit d’inclure une disposition précisant que « La privation du droit de vote et d’élection telle que prescrite par les dispositions des articles L.29 et L.30 du code électoral doit faire l’objet d’une décision expresse du juge ».
Il ne fait l’ombre d’un doute qu’une proposition de loi tendant à la révision des articles L.29 et L.30 du code électoral fera l’objet d’un large consensus et sera adoptée par une majorité des députés. La compétition électorale doit être loyale, libre, ouverte et saine. Les organisations de la société civile, représentées par le collectif des organisations de la société civile pour les élections (COSCE) et par la Plateforme des acteurs de la société civile pour la Transparence des élections (PACTE) doivent jouer pleinement leur partition.
Seybani SOUGOU
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