Depuis avant-hier, Pape Alé Niang, administrateur du site «Dakarmatin », est en garde-à-vue dans les locaux du commissariat central de police de Dakar. Le procureur de la République lui reproche des «attaques répétées contre les forces de défense et de sécurité » et indique avoir donné des instructions à la Sûreté urbaine de Dakar — un service normalement dévolu à la chasse aux malfrats! —de mener une enquête rigoureuse sur les faits reprochés à notre confrère. Cela fait 48 heures, donc, que le journaliste passe ses journées et dort dans le violon d’ordinaire réservé aux délinquants, grands et petits, de ce commissariat.
On le savait dans le collimateur des autorités depuis quelques temps et lui-même avait dans un de ses récents « lives » dit s’attendre à tout désormais de la part du régime en place. Banco ! Ça n’a pas loupé puisque, tel un malpropre, il a été embarqué manu militari par les policiers de la Sûreté urbaine en pleine rue pour être conduit au poste.
Bien évidemment, le motif invoqué par le procureur de la République n’est qu’un prétexte pour faire taire un journaliste courageux, talentueux, extrêmement réseauté qui, par ses révélations fracassantes avec à l’appui des documents de première main, a mis à nu, ces dernières années, bien des fadaises du régime, démonté bien des mensonges, déjoué de nombreux complots, porté à la connaissance du publics toutes sortes de scandales financiers, démontré la manière dont les ressources publiques sont accaparées et détournées, épinglé la gloutonnerie et les talents de prédateurs de la camarilla qui nous gouverne. Surtout, surtout, crime impardonnable, Pape Alé Niang a contribué de manière décisive à faire échouer le complot sordide fomenté contre l’opposant Ousmane Sonko qui, jamais deux sans trois, si les manœuvres de ses adversaires avaient abouti, aurait été jeté au gnouf à la suite de Karim Wade et de Khalifa Sall.
Lesquels constituaient des obstacles à la réélection du président de la République en 2019. Le leader de Pastef étant un adversaire redoutable pour 2024, tous les moyens étaient bons pour l’éliminer après l’avoir radié de la fonction publique pour un péché véniel. Celui-là n’ayant pas suffi à lui couper les ailes mais ayant au contraire contribué à booster sa popularité au point de le faire pointer à la troisième position lors de la dernière présidentielle, sa neutralisation était devenue une urgence. Le péché véniel n’ayant pas suffi, il fallait trouver le péché de chair !
D’où cette histoire minable de viols répétés sur une jeune masseuse qui y prenait visiblement son pied et qui prétend que son violeur tenait deux pistolets ! Avec des documents inédits, dont le dernier en date — et visiblement considéré comme étant celui de trop — était un rapport interne de la Gendarmerie sur cette affaire, Pape Alé a dégonflé la baudruche et fait tant et si bien que cette affaire, qui devait sonner le glas d’Ousmane Sonko, a fait pschitt.
Les révélations faites à l’appui de ce document estampillé ultrasecret sont à ce point gravissimes, en effet, qu’on en tremble en tant que justiciables. On apprend en effet qu’un procureur de la République, pour défendre les intérêts du régime qui l’a nommé et qu’il sert obséquieusement, est prêt à modifier un procès verbal d’enquête de la Gendarmerie pour charger lourdement un adversaire. Et à retrancher des éléments à décharge pour lui.
Si le document est authentique, alors ce qu’a fait le Procureur serait plus scandaleux encore que les manipulations qui avaient conduit à la condamnation du capitaine Alfred Dreyfus, persécuté parce que juif et accusé sur la base d’une pièce secrète ne figurant pas au dossier. Un scandale de procès truqué qui avait poussé Emile Zola à pousser son fameux « J’accuse ! » publié à la une du journal « L’Aurore ».
Pape Alé, qui est l’un des rares à encore porter le flambeau du journalisme d’investigation sans peur et sans reproche dans notre pays, et aussi l’un des rares journalistes à ne pas être couché ces temps-ci, l’un de ceux qui honorent encore cette belle profession hélas terriblement précarisée dans ce pays de nos jours, Pape Alé, donc, a bon dos. Son malheur, c’est d’être si loin de Dieu et si près de la justice et des polices du président Macky Sall. On lui reproche d’avoir publié des documents confidentiels voire ultra-confidentiels ?
Les rédacteurs et les auteurs de ces documents n’avaient qu’à bien les garder ! Car il est bien connu que le bon journaliste cherche à mettre la main sur les documents que les pouvoirs, tous les pouvoirs, cherchent à cacher pour les mettre à la disposition du peuple au nom du droit à l’information. Ils veulent cacher leurs turpitudes ? Le journaliste doit se donner les moyens de les débusquer ! C’est ce qu’a fait Pape Alé Niang, et rien d’autre.
Il est évident que si ceux sui sont chargés de préserver la confidentialité de ces documents avaient fait leur travail, ils ne se seraient pas retrouvés entre les mains du distingué confrère. Et puis, à qui la faute si, depuis quelques années, l’Etat est devenu une sorte de marché Diaobé où les documents censés être les plus confidentiels, les plus secrets et les plus sensibles, sont disponibles sur la place publique ? Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude et l’Etat n’a qu’à s’en prendre à lui-même, voyons ! Nous disions que le malheur de Pape Alé, c’est d’être si loin de Dieu. A preuve, un document « secret défense » — donc plus sensible que l’ultraconfidentiel — montrant la transaction nébuleuse de 45 milliards autour d’armes de guerre achetées par notre glorieux gouvernement, a été publié par un consortium international de journalistes d’investigation et diffusé à travers le monde entier. Mais comme les auteurs de cette enquête sont des Toubabs, le procureur de la République n’a pas moufté. Si loin de Dieu, Pape Alé, on vous a dit.
Pour en revenir aux incriminations visées à l’honorable Amady Diouf, procureur du Roi Macky Sall, il est très triste de constater que notre pays est revenu plus de 30 ans en arrière en matière de musellement de journalistes sous le prétexte gravissime d’incitation à la révolte ou à la désobéissance de militaires etc.
En 1989, en plein conflit sénégalo-mauritanien, le journal « Sopi » dont j’étais le rédacteur en chef avait écrit des articles au vitriol pour dénoncer la toute-puissance de l’alors ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République, le redoutable Jean Collin. Le bureau politique du Ps s’était réuni pour dénoncer ces attaques et menacer de ses foudres ses auteurs. Deux jours après, des policiers débarquaient chez moi pour me remettre une convocation au cabinet du doyen des juges d’instruction, feu Cheikh Tidiane Diakhaté. Là, on me montra un papier que j’avais rédigé pour dire que de jeunes officiers de l’Armée se plaignaient du manque d’équipements pour pouvoir faire face à l’armée mauritanienne. On m’inculpa donc des mêmes charges retenues actuellement contre Pape Alé Niang. Puis il y eut une audition pleine d’incidents provoqués par moi au grand désespoir de mes avocats convaincus que j’allais être placé sous mandat de dépôt ! Bien évidemment, c’est ce que je recherchais à l’époque. L’ayant compris, Cheikh Tidiane Diakhaté — qui me qualifiait par la suite de « fou » à chaque fois que je le rencontrais tellement ma désinvolture l’avait stupéfié — a refusé de céder à la provocation. Le dossier porté devant la juridiction de jugement, c’est le président du tribunal correctionnel en personne, Iba Guèye, qui est monté le jour de l’audience en même temps que le procureur de la République, feu pape Bougouma Diène. Mon collaborateur Mbagnick Diop et moi-même avons été condamnés à trois mois de prison ferme.
En appel nous avons eu la très agréable surprise de voir l’avocat général Leyti Cama (paix à son âme), demander notre relaxe au motif qu’il était convaincu que c’est par patriotisme et non par volonté d’inciter la troupe à la révolte que nous avions écrit notre article ! Ce jour là, c’est sur le siège que le président Maguette Diop (paix à son âme), ayant pour conseiller le magistrat Issa Sall, époux de l’actuelle ministre des Affaires étrangères, avait délibéré pour prononcer notre relaxe pure et simple. Ayant requis contre les instructions qui lui avaient été données, Leyti Cama s’était fait servir une demande d’explication.
Juste pour dire que ces temps noirs où l’on prenait prétexte de l’Armée pour museler des journalistes récalcitrants, nous les croyions révolus dans ce pays ! On remarquera qu’à l’époque, bien que le tout-puissant Collin fût aux affaires et que l’outrage contre lui qu’on nous reprochait en réalité fut considéré come un crime de lèse-majesté, jamais nous n’avions été placés en position de garde-à-vue, encore moins emprisonnés. Pape Alé Niang — dont nous condamnons fermement l’interpellation et exigeons la libération immédiate et sans conditions — Pape Alé, donc, n’a pas eu cette chance ! Nous sommes de tout cœur avec lui dans cet arbitraire qui le frappe.