La publication des derniers rapports de la Cour des comptes suscite l’indignation généralisée, quant à la gabegie relevée dans la gestion des ressources publiques allouées à différentes administrations. Les fautes sont graves et la désinvolture avec laquelle certains actes de prédation ont été commis laisse sans voix. C’est comme si l’impunité leur avait été assurée d’avance ! Seulement, la situation n’autorise plus de passer de tels actes de mauvaise gouvernance par pertes et profits. Il est en effet rare de trouver des révélations de mauvaise gestion qui aient pu autant choquer l’opinion publique. La révolte tient surtout au fait que pendant que tout le monde avait la peur au ventre, enterrait ses morts dans la douleur et craignait d’être emporté soi-même par la pandémie du Covid 19, des agents publics profitaient de cette détresse générale pour s’en mettre plein les poches, s’enrichir à cœur joie, sans scrupule, avec cynisme.
Il n’est pas exagéré de dire que si les importantes ressources dégagées pour faire face à la pandémie du Covid-19 avaient été utilisées à bon escient, peut-être que le Sénégal n’aurait pas enterré autant de morts, que son tissu économique et social aurait été plus résilient, que le drame n’aurait pas atteint les proportions dont on subit encore les séquelles. L’autre raison tient au fait que les efforts consentis par le Sénégal dans la lutte contre la pandémie avaient été salués de par le monde et notre pays avait été cité en exemple pour sa prise en charge du Covid. La réactivité impulsée par le président Macky Sall avait permis de montrer la voie et des partenaires internationaux n’avaient pas hésité à aider et soutenir le Sénégal, peut-être dans des proportions bien supérieures aux aides consenties à de nombreux autres pays.
On peut imaginer la déception de ces partenaires et leur dirimante exigence de vérité et de transparence. D’ailleurs, les institutions financières internationales ont encouragé le gouvernement du Sénégal et la Cour des comptes à rendre public le rapport définitif intitulé : «Contrôle de la gestion du fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid 19 (Force covid). Gestion 2020 et 2021». De toute façon, la Cour des comptes allait le faire, selon son agenda propre car aucun rapport des corps de contrôle de l’État n’échappe désormais à la publication. Quelles réponses le président de la République, Macky Sall va-t-il apporter à ce tollé ? Chercherait-il à sauver les «siens» de l’opprobre, au risque d’éclabousser gravement sa gouvernance et son crédo de transparence et de gouvernance vertueuse ? Pourtant, nous avions alerté à travers ces colonnes, au moment de la commission des faits de bamboula sur les ressources dédiées au Covid-19.
Question à mille balles : Qui mérite aujourd’hui d’être arrêté ?
Dans une chronique en date du 3 juin 2020, au plus fort de la pandémie du Covid-19, nous avions tenu à alerter, à mettre en garde, soulignant notamment que : «La crise provoquée par la pandémie du Covid-19 a révélé les faiblesses, carences, lacunes et autres dysfonctionnements dans l’action du gouvernement. Les ratés sont nombreux. Et comme touchés par une malédiction, les ministres n’arrivent presque plus à faire les choses comme cela se devrait. A la vérité, ce gouvernement ne peut pas aller plus loin, au risque d’abîmer l’image du chef de l’État et de finir par compromettre tout ce que le Président Macky Sall a eu à réussir dans sa gouvernance publique». Nous insistions, à l’endroit du Chef de l’État et de ses proches, qui s’offusquaient de certaines critiques en leur précisant que : «Ce n’est pas toujours parce que les gens ne vous aiment pas». En effet, «Il faut dire que la gestion de la pandémie a mis à nu des tares et des situations d’incompétence qu’on pouvait difficilement soupçonner de la part de nombreux ministres et de leurs collaborateurs. Il s’y ajoute de réels cas d’une malgouvernance outrageante. L’heure des comptes de l’utilisation de l’enveloppe de 1 000 milliards de francs, prévue pour les actions de riposte contre le Covid-19, est partie pour donner des situations de grandes et délicates controverses». C’était pour mettre le doigt notamment sur le démantèlement des centres de traitement des endémies (Cte) avec des matériels qui se retrouvaient comme par hasard dans les souks de Keur Serigne bi, ou que des cliniques médicales privées se retrouvaient comme par enchantement dotées d’appareils respiratoires dont elles étaient totalement dépourvues quelques jours auparavant.
Ces lignes avaient provoqué une réaction outrée de nombreux responsables du pouvoir, dont notamment le Directeur général du Prodac à l’époque, Pape Malick Ndour, piqué par on ne sait quelle mouche, qui était monté au créneau pour demander rien de moins que l’arrestation de Madiambal Diagne, qui venait ainsi de porter de graves accusations qui terniraient l’image du gouvernement. Pape Malick Ndour est devenu ministre de la Jeunesse. Peut-être que le zèle de mauvais aloi, doublé du don ou de l’art de noyer le poisson, assure des carrières ministérielles dans ce pays ! Le ministre de la Santé Abdoulaye Diouf Sarr et ses affidés s’épanchaient eux aussi à travers des médias pour me menacer de plaintes et d’on ne sait quelles foudres. On peut, après la publication de l’état des lieux faits par la Cour des comptes, se faire une bonne idée de qui mériterait véritablement d’aller en prison dans cette affaire ! Je répondais à mes pourfendeurs qui me désignaient comme un faux-ami du Président Sall, le 15 juin 2020, que : «Je me suis fait le serment de lui dire strictement la vérité, considérant que je ne pourrais lui être utile et être utile à la République que dans une posture de vérité et de franchise. En de nombreuses occasions, l’un et l’autre, nous avons pu éprouver notre amitié. Ce n’est pas pour autant que mon pacte avec le Sénégal en souffrirait d’une quelconque manière».
Pour ce qui le concerne, on peut dire que le Président Macky Sall avait déjà fini de se faire son opinion sur la mauvaise gestion des ressources consacrées à la lutte contre le Covid-19. En effet, au hit-parade des actes de prédation de ressources publiques, on constate bien que les ministres limogés lors des derniers remaniements du gouvernement tiennent le haut du pavé. Le grand public a désormais une bonne explication des raisons qui ont participé à décider le président Macky Sall de se séparer de quelques membres de son gouvernement. Certains limogeages avaient provoqué beaucoup de commentaires et d’incompréhensions, pour ne pas dire de vives protestations. Quelques initiés avaient pu dire, pour calmer des ardeurs, que le simple limogeage serait la meilleure des choses qui pouvait arriver à nombre de ministres qui venaient de perdre leur place au gouvernement. Il reste que tous les ministres épinglés et limogés du gouvernement ont déjà été recyclés à d’autres emplois publics, encore que dans le gouvernement, d’autres ministres devront raser les murs après les révélations effarantes de la Cour des comptes. D’aucuns ont voulu invoquer le rapport élaboré par le Général François Ndiaye et les membres du Comité de suivi de «Force Covid-19» sur la gestion de la pandémie pour s’absoudre. Ce rapport qui blanchit la plupart des protagonistes, se voit ainsi désavoué par la Cour des comptes. Il était assez facile de ne pas s’y tromper. «Le général Ndiaye risquait de n’y voir que du feu», avions-nous annoncé, d’autant que le Général François Ndiaye et son équipe n’étaient pas outillés ou préparés pour mener avec pertinence les investigations nécessaires et débusquer les avatars de la gestion des ressources englouties dans des marchés passés à la va-vite. A leur corps défendant, le Général Ndiaye et son équipe éprouvaient d’énormes difficultés pour accéder aux informations. La collaboration des différentes administrations n’était pas évidente et cette situation avait d’ailleurs été déplorée par le Général Ndiaye lors d’une conférence de presse, le 11 juin 2020.
Le président Sall promet de faire la lumière sans complaisance aucune
On ne peut pas ne pas être en colère de voir que personne n’avait voulu entendre les sonnettes d’alarme tirées. Malheureusement, nous prédisions encore, le 20 avril 2020 dans un article intitulé «Macky Sall gagne et perd » que les proches du chef de l’État «ont raté une belle occasion de faire mentir leurs détracteurs. On ne regrettera jamais assez la triste polémique autour de la gestion de l’aide apportée aux populations socialement défavorisées, pour leur permettre de supporter les conséquences économiques et sociales de la pandémie. Les accusations de népotisme et de manque de transparence ont été portées contre le gouvernement du Sénégal. Cela est dommageable, car altérant cette image si opportunément construite. Pourtant, il y a eu tellement d’alertes et de mises en garde pour que les préposés à la gestion de ces fonds évitent toute situation compromettante ou qui donnerait du grain à moudre à leurs détracteurs. La symphonie de l’union sacrée n’avait pas empêché des adversaires du régime de Macky Sall d’émettre des doutes, des suspicions quant à la gestion vertueuse des ressources dédiées au plan de riposte contre le Covid-19. Il s’était même trouvé des personnes réticentes à apporter leurs contributions, voulant se garder de donner de l’argent susceptible d’être détourné. Il est certes impossible dans ce pays d’éviter des polémiques liées à la gestion des ressources publiques, mais le gouvernement aurait gagné à se montrer irréprochable depuis qu’un Ousmane Sonko, au sortir d’une audience avec le Président Macky Sall, étalait ses réserves quant à une bonne gestion des ressources. La prudence devait aussi être de rigueur quand le député Mamadou Lamine Diallo et des personnalités de la Société civile avaient refusé de donner un blanc-seing au gouvernement quant à la gestion de ces fonds.
Il est aussi utile de se rappeler la maxime selon laquelle «le malheur n’arrive pas qu’aux autres». On sait comment la clameur publique avait poursuivi, tout le reste de sa vie, une certaine Siga Sèye Coulibaly, suite à des opérations de dons en faveur de la Croix-Rouge sénégalaise dans les années 1990. Le temps n’a pas non plus effacé des mémoires, l’opprobre jeté sur Léna Fall Diagne du fait de la mauvaise gestion de la campagne «Une femme, un gramme d’or», censée être une récolte pour aider le Sénégal confronté, dans les années 1980, à une crise économique aiguë. Qui ne se rappelle pas les déboires de Aïda Ndiongue et de Abdoul Aziz Diop et compagnie, du fait de la gestion des opérations d’achat de produits phytosanitaires, en 2008, dans le cadre du «Plan Jaxaay», initié par le Président Abdoulaye Wade pour venir en aide aux populations sinistrées par des inondations ? Dans la gestion de la riposte contre le Covid-19, le gouvernement avait toutes les bonnes raisons de ne pas prêter le flanc, pour éviter de donner à ses détracteurs le bâton et se faire flageller. Les ratés et autres méprises dans les passations des marchés des denrées à distribuer aux populations sont assez ravageurs pour l’image du président Macky Sall ».
Le président Macky Sall aurait promis de faire toute la lumière sur ce scandale de la gestion de la pandémie du Covid-19. La Cour des comptes ne semble pas laisser le choix au chef de l’État en recommandant l’ouverture d’informations judiciaires sur de nombreux cas de prévarication relevés. La situation aurait pu être plus embarrassante pour le président Macky Sall si son nouveau Premier ministre, Amadou Ba, faisait partie des ministres épinglés pour la gestion des fonds Covid-19. Amadou Ba était ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur et son département s’était vu allouer quelque 12,5 milliards de francs de crédits tirés de l’enveloppe dédiée à la riposte contre le Covid-19. Amadou Ba, sachant sans doute qu’à l’époque il devait être le plus surveillé de tous, s’était fait un point d’honneur de rendre une copie propre. Cette attitude, il faut le dire, n’avait pas beaucoup plu à nombre de ses collaborateurs.