La coupe du monde a vécu. Les lampions se sont éteints sur ce fantastique jeu, le football en l’occurrence, qui oppose dans un tournoi en phase finale les nations qualifiées. Ce sport soulève des passions relayées par des publics arrivés avec beaucoup de préjugés mais qui se tolèrent au gré des matchs et finissent par s’accepter avec des cultures différentes les unes des autres.
Au gré des rencontres, des équations politiques se résolvent ou, à défaut, se modifient tant la dimension sportivité s’impose à tous dans les esprits qui fraternisent ainsi le temps de la compétition suivie par des milliards d’êtres humains. D’où les enjeux commerciaux, économiques et financiers qui s’emparent de ce rendez-vous une fois tous les quatre ans.
Il charrie des intérêts croissants. Il draine des foules, suscite des envies, aiguise des appétits et mobilise des moyens colossaux dégagés pour séduire, charmer et aimer en fouettant les imaginations. La bataille des droits télévisés (et à l’image) fait rage. Leur acquisition fait appel à un trésor d’imagination, de ruses, de créativité, mais aussi d’égoïsme, de surenchère, de démagogie et de petites lâchetés au parfum de conspiration que la morale réprouve.
Chaque pays participant fait valoir ses traits et ses attributs culturels, exhibe ses atouts à travers ses vedettes qui cristallisent sur elles toute l’attention du monde à travers les médias dans leurs déclinaisons infinies. La coupe du monde n’est rien d’autre qu’un banquet.
Des années trente à nos jours, la discipline a changé du tout au tout, évoluant pour s’adapter à chaque cycle de vie. En revanche, ses règles fondamentales demeurent immuables ce qui lui confère authenticité et valeur donc liens de confiance et jouissance naturelle.
A ce propos, le Qatar, pays hôte de l’édition 2022, s’est montré à la hauteur des enjeux, dissipant les préjugés (durs comme des atomes), avec de phénoménales capacités d’accueil, d’hébergement, d’organisation et de réussite.
Naturellement les pétrodollars ont parlé. Mais en écho il y a eu la rationalité, la combinaison des objectifs fixés, des intérêts identifiés et des contraintes relevées. La réussite de ce petit pays de la péninsule arabique tient à la vision de son leadership, à la stratégie déployée sur fond d’un ambitieux projet d’influence dans les relations internationales.
Le monde est venu à Doha pour admirer les prouesses de la presqu’île parvenue à se singulariser en dépit du rayonnement régional de l’Arabie Saoudite, sa puissante voisine. Loin d’être un handicap, le Qatar tire avantage de cette proximité avec Riyad qui s’interdit par devoir historique d’abriter des jeux, synonymes de joyeusetés.
Cette contrainte ne pèse pas sur Doha. D’où sa nette propension à l’ouverture au monde moyennant toutefois des limites infranchissables pour ne pas dénaturer sa quintessence arabe tout en veillant, à l’évidence, à des rapports bienveillants avec les autres pays voisins immédiats.
L’aspect de géostratégie régionale compte. Car l’espace reste sensible à la délicatesse des équilibres où les rivalités de clans peuvent s’exacerber au moindre écart de conduite diplomatique. En optant pour le « soft power », le Qatar singularise sa démarche sans pour autant s’isoler de l’ensemble régional au sein duquel d’ailleurs il joue un rôle proéminent.
Le pays abrite des rencontres de réconciliations entre belligérants, à l’image de la conférence des forces vives du Tchad. En outre Doha accentue son rôle de médiateur dans divers conflits régionaux et internationaux. Sa force de frappe financière constitue un solide argument pour accroître son influence.
A longueur d’années, les méga-stars du monde entier affluent vers cet État de type monarchique doté d’un Parlement à vocation consultative. Michael Jordan, David Beckam, Tiger Wood, Alain Prost, Zinedine Zidane, Ronaldo et Ronaldino y ont leurs habitudes souvent en grande complicité avec les hauts dignitaires de l’Émirat arabe.
Naturellement, ces fréquentations accréditent la modernité de la Monarchie quand bien même elle reste ancrée dans ses traditions bédouines. Le pays, devenu producteur de gaz, reste du même coup, exportateur de premier rang à côté de la Russie, des Etats-Unis, du Canada et de … l’Iran !
Une telle assise, réelle à bien des égards, conforte Doha qui, en discutant avec les « Grands du monde », fait entendre sa voix et trace sa propre voie avec une légitimité toute naturelle. Si bien que les avis émis aiguillonnent sa diplomatie reconnue pour son habileté et sa subtile pondération.
L’édifice qatari se veut un chef-d’œuvre issu d’une volonté collective et d’une lecture de la marche du monde à l’aune d’un épais portefeuille qui articule parcimonie et générosité sans pour autant verser dans une opulence susceptible de fragiliser une influence en devenir.
Le Qatar sort renforcé de la Coupe du monde qui s’est déroulée sans incidents majeurs. Rien n’est venu contrarier l’organisation millimétrée du tournoi mondial avec une touche de civilisation et de culture très orientale dans sa conception et dans sa déclinaison.
Pourtant, au moment de l’attribution des jeux, de nombreuses voix, et non des moindres, s’étaient élevées pour flétrir le choix de la Fifa indexée pour avoir cédé au mirage financier d’un pays « sans lien avec le football ». L’insoutenable légèreté de l’accusation a valu au Qatar de redoubler d’efforts pour marquer de son empreinte le tournoi. Il y est parvenu avec brio. Et son modèle de réussite pourrait s’exporter.
A cette fin, Doha possède une carte maîtresse : son précieux savoir-faire et des infrastructures sportives démontables pour servir ailleurs quand le besoin se fera sentir à l’échelle mondiale. La nouvelle donne ouvre un large boulevard d’influence du Qatar qui, grâce à son succès, va s’évertuer à étendre son parapluie à d’autres régions du monde en quête de progrès et de bien-être.
Tout le monde reste attentif aux évolutions en cours. Les puristes du football ont retrouvé le naturel dans cette organisation qatarie. Plus aucun autre pays ne ferait (ou ne fera) moins sauf à rationaliser les moyens pour ne pas surenchérir. Après tout, le football reste un jeu.
Au-delà, l’expertise et la technicité, acquises par les milliers de travailleurs anonymes, vont se diffuser à une plus vaste échelle comme un facteur décisif de ruissellement. La mondialisation de la main-d’œuvre est en marche. Désormais les métiers, notamment l’artisanat d’antan vont s’exporter sans peur.
Les prochaines migrations internationales s’appuieront fortement sur les savoirs locaux qui seraient une source d’enrichissement des peuples avec une croissance revue sous l’angle du coefficient immatériel, non quantifiable a priori.
Au-delà des participations, le retour des « héros » sonne comme un rappel au devoir des équipes africaines face aux prochaines échéances. Le jeu a évolué. A son tour, l’Afrique doit conquérir sa légitimité et défendre un rang avec un impact certain sur le moral des Africains.