Chers Demba et René
Pour reprendre les expressions de feu notre aîné Doudou Sine universitaire, s’adressant à Bara Diouf ou Babacar Touré, s’adressant à Vieux Savané, son collègue de Sud Magazine, Hebdo puis Quotidien.
Merci d’avoir osé poser les problèmes e fonds en matière d’institutions politiques.
De fait, le dernier article écrit par Demba Ndiaye et publié par Seneplus.com m’a poussé à reprendre la plume, car j’avais décidé de ne plus continuer à étaler mes états d’âme de citoyen sur les questions de gouvernance politique, sociale, économique, les rassemblant dans mon prochain livre à paraître courant 2023 et intitulé «Souffles et vagues», consacré au regard d’un Sénégalais sur la Covid 19, il va intégrer mes anciens textes sur les questions foncières, les enfants dans la rue, l’encombrement de nos villes, etc.
Ce qui me fait prendre la plume pour la presse écrite, c’est que la contribution de Demba sur les lois et règlements permet de revenir sur les articulations entre le passé, le présent et le futur de nos pays, mieux encore sur les articulations entre politique, société et culture.
Nous avons participé à la fête de la promotion 2018 – 2019 de l’Institut des Droits de l’Homme et de la Paix (IDHP), Dakar le 16 Mars 2019 et nous y avions présenté une communication dont voici quelque extraits
« Nous mesurons à sa juste valeur l’honneur qui nous est fait par le Directeur de l’IDHP et ses collaborateurs en nous associant à la célébration de la fête de la promotion 2018-2019.
C’est aussi pour nous une opportunité de magnifier la coopération que j’ai développée avec l’IPDH d’abord dans ma fonction d’alors comme facilitateur, modérateur ombudsman à l’UCAD (de 2003 à 2011), ensuite comme professeur intervenant dans les séminaires et encadrements pour les enseignements et recherches liés aux organisations de la société civile, enfin dans le cadre de la synergie en cours pour soutenir la cause du peuple palestinien au Sénégal, en Afrique et dans le monde. Vous comprendrez donc que je sois à l’aise dans le cadre d’un partage sur le thème ; « Paix et Droits Humains ». J’ai eu souvent l’occasion de faire un plaidoyer pour le maintien et la consolidation de la vocation de l’université Cheikh Anta Diop, comme centre d’excellence et de convergence, lieu d’enseignement, de recherche, et de solidarité entre le savoir, le savoir être et le savoir-faire pour la société.
Regard sur le passé
Lors de la 32e commémoration de la disparition du professeur Cheikh Anta Diop, j’ai eu, entre autres questions soulevées), montré l’enjeu de la naissance du droit. Le prétexte a été l’occasion d’un article du professeur Théophile Obenga, publié dans les numéros 25, 26, 27 de la Revue Ankh ; il a pris une porte d’entrée constituée par la veine romaine. J’ai souligné dans mon intervention qu’il faudrait porter attention à la grecque et avant elle, à la civilisation égyptienne ; ce que notre collègue accepterait sans difficulté, étant lui-même par ailleurs helléniste et égyptologue : lui-même donne des indications qui invitent à emprunter cette voie.
Mon insistance sur les veines antérieures avaient pour objectif de revenir sur le caractère concret du droit : en grec, le débat est permis de réfléchir sur les liens entre nomos et nomós ; le chemin du pâturage et le droit ; la seule différence est l’accent sur le O, et il est heureux de constater que les Grecs ont aussi traduit le terme égyptien spt ; les divisions administratives par le terme nomós elles auraient peut-être alimenté les sebayit enseignements écrits, le droit ;enfin il est intéressant de remarquer qu’en wolof, le droit est traduit par yoon (chemin tracé). Droit de pâturage, droit de hache, droit de culture, en indiquant des acquis par des objets, des instruments qui soulèvent des questions d’enjeux, de survie. L’attention doit aussi porter sur les conditions de la promulgation orale ; (lex) en latin vient de lego, ce qu’on a proclamé, énoncé et qui sera porté ensuite par l’écrit sur du bois, de la pierre ou sur une peau d’animal ou sur une fibre végétale
Ces cheminements sont d’autant plus intéressants qu’ils éclairent aussi l’origine de la démocratie qui a été inventée pour limiter la stasis (les troubles permanents) Elle a mis fin aux pouvoirs des rois, des tyrans. J’ai souvent rappelé aux collègues, aux étudiants et aux concitoyens que le demos est le peuple recensé, c’est d’abord l’expression du droit de ceux qui avaient une gué (une terre à cultiver) et oikia (une maison habitable et habitée). Le laos (la population, le peuple qui intègre femmes et jeunes et esclaves) est plus inclusif. On peut considérer que la laïcité est plus révolutionnaire, plus subversive que la démocratie à l’origine. Certes aujourd’hui, on convient que la démocratie est une tension permanente pour plus de liberté et de justice, pour des responsabilités partagées, pour une institutionnalisation de ces dynamiques soulignées et cultivées. La démocratie a eu ses limites, ce qui a créé la voie aux républiques, mais on sait que des républiques ont généré des dictateurs, voire des empereurs
Bien entendu elle s’est enrichie et s’enrichit chaque jour de nouvelles dynamiques sociales, économiques culturelles, religieuses, spirituelles politiques, tenant compte des contextes temporels et géographiques. Ainsi, j’ai beaucoup apprécié la brochure confectionnée par la Fondation Konrad Adenauer Stifting et rédigée par le professeur Maurice Sandieck Dione sur la démocratie sénégalaise : institutions, droits et devoirs du citoyen, Dakar, 2018. Le document informe sur les dimensions historiques et culturelles, sur les principes fondamentaux de la République, les principes d’organisation de l’Etat unitaire, de l’organisation judiciaire, les institutions républicaines, les droits et les devoirs du citoyen, les recours dont il peut user pour se défendre.
Les allusions à la citoyenneté, aux enjeux économiques, sociaux, politiques (ancrage historique et culturel) méritent des développements pertinents pour la perception des articulations. En effet le droit, la démocratie et la paix ont des articulations. Le déclencheur des articulations est la reconnaissance de l’être citoyen, son droit à l’état civil, qui, comme on l’a indiqué, a une base concrète (toit, champ). De là découlent les autres exigences. C’est à juste titre qu’il est formulé dans la charte du Mandé que « Toute vie, aucune vie n’est pas plus concernée, plus respectable qu’une autre…
Tout tort causé à une vie exige réparation…
Que nul ne s’en prenne gratuitement à son voisin…
Que nul ne cause de tort à son prochain…
Que nul ne martyrise son semblable.
(Y. Tata Cissé, Charte du Mande, TT édition Triangle Bankoun, 2015, p.148-149)
Sembene Ousmane a eu raison de choisir le titre : « Bouts de bois de Dieu » pour magnifier l’action salvatrice des cheminots de Dakar Niger dans le combat pour la justice sociale, économique et politique, en 1947 dans un Sénégal, une Afrique alors dominée pas les colonialistes en général, les Français en particulier
Il a repris en fait une démarche culturelle très profonde, incrustée dans la langue wolof (Bantu Maam Yalla, bindeef, bu nu tudd, ngeente). Mot à mot les bouts de bois de l’Ancêtre Dieu, qui a fait de nous un enregistré, à qui on a donné un nom avec solennité
L’acte d’énumérer est un acte vivifiant, mais en même temps, le fait d’énumérer, de compter peut-être considéré comme destructeur. On a peur d’être nommé, d’être identifié.
Superstition quand tu nous tiens !
Quid de l’État moderne ? Eh bien la protection des données personnelles est brandie par certains pour prôner une sécurisation de l’identification citoyenne
Que faire alors ?
1. Reconnaître que l’exclusion sociale civile est la pire des calamités, elle prive des opportunités éducatives, économiques, culturelles, etc.
2. Ensuite réaffirmer et soutenir le droit à la citoyenneté, de la naissance au décès.
3. Enfin accompagner ce droit dans la vie politique, économique, socioculturelle, dans la jouissance d’un cadre de vie sain et durable.
C’est la raison pour laquelle, nous devons soutenir toutes les actions menées par les organisations de la société civile, les États, les organisations internationales, le secteur privé, les organisations communautaires, les familles, pour l’exercice de ces droits effectifs et surtout la compréhension des instruments juridiques. C’est cela qui permet de cultiver la solidarité et la paix.
Sinon, on peut être toujours surpris de constater l’écart entre légalité et légitimité des institutions et associations et c’est cet écart qui explique souvent les flambées de violence dans les villes, dans les États. La dernière élection présidentielle en 2019 a été riche en renseignements, entre autres par le fort taux de participation citoyenne à plus de 60 % du corps électoral. Mais combien de citoyens et citoyennes ont pu avoir leurs cartes d’identité et d’électeur couplées ? Quelle est la configuration du corps civique au Sénégal ? Voilà des sujets qu’il faudra traiter pour renforcer la culture du droit, de la démocratie et de la paix. Combien n’ont pas jugé nécessaire d’aller voter aux dernières élections locales ou législatives ?
Pour résumer nous insistons sur les exigences des droits humains et de la démocratie : à savoir le pari sur la dignité humaine, les risques mesurés à prendre pour la transparence et la justice. Le grand spécialiste de l’histoire ancienne, Moses Finley, avait raison de souligner que la démocratie est un système politique à hauts risques. C’est le prix à payer pour la paix et le développement solidaire et durable.
On a raison de se révolter contre l’injustice, contre les lois réactionnaires et injustes, contre l’instrumentalisation de la justice
Dans cet exercice, dans ce jeu à améliorer constamment, le marquage, la traçabilité jouent un rôle nécessaire, mais pas suffisant. Il n’est pas question de fétichiser l’écrit, le philosophe Platon qui est loin d’être un révolutionnaire, dans un de ses dialogues (Phèdre), n’avait pas manqué de nous mettre en garde contre le fétichisme de l’écrit, en effet tout ce qui est écrit n’est pas vrai et pire encore, l’écrit peut appauvrir la réflexion critique. Il ne suffit pas d’écrire, il faut aussi diffuser, faire savoir dans les langues comprises par les communautés, revenir sur les conditions de l’élaboration et de l’application des lois. L’efficacité est liée à une stratégie multimédia, multilingue, multiscript.
Les États doivent évaluer périodiquement la déclaration de Barcelone sur les droits linguistiques des peuples, proclamée depuis plus de deux décennies
Transition vers le futur
Le magistrat Pape Assane Touré présentait a produit un livre publié par l’Harmattan/Sénégal sur la logistique (les techniques, les procédures pour l’élaboration des textes de lois) juste après la publication des Mélanges dédiés au Professeur Dominique Sarr, par l’Harmattan et le CREDILA de l’UCAD, sous un titre évocateur qui me ravit. En effet, son libellé « Le tracé et le sentier » renforce mes convictions. Dans le Tome 1 coordonné par les professeurs M. Badji ; A. A. Diop, P. Ngom, notre attention s’est focalisée sur la contribution du professeur André Cobanis intitulée « Le droit africain constitue-t-il une famille ? Propos du juge Kéba Mbaye ». Des développements ont permis de baliser le contexte dans lequel « les nouveaux métiers s’interrogent sur la possibilité de promotion des regroupements qui rompent avec le fractionnement dont les Européens rendus coupables, que les caractéristiques d’un éventuel droit africain sont recherchées ». (op. cit. p.122. Le professeur Cobanis magnifie la contribution d’un des pionniers à avoir mis en valeur les éléments d’unité du droit africain dans le domaine foncier. Il montre l’originalité de la démarche du juge Kéba Mbaye.
Le juge Kéba Mbaye ne se fait pas une image théorique du droit africain tel qu’il se présente dans son authenticité historique. Sa conception est fondée sur une solide culture juridique qui, malheureusement, manque à nos jours, à nombre de ceux qui réclament à juste titre un droit débarrassé de tout mimétisme, original, adapté au génie de ce continent. L’image qu’ils se font des particularismes juridiques africains, se résume trop souvent à de vagues références à la solidarité familiale comme mode de résolution des tensions sociales à la palabre comme technique de prise de décisions collectives. Les analyses de Kéba Mbaye sont d’une tout autre profondeur et beaucoup plus argumentées. Elles sont d’abord fondées sur une délimitation précise de ce qu’il entend promouvoir. Il y revient à plusieurs reprises avec des formules qui se trouvent d’un texte à l’autre, fondées sur une conception réaliste des diverses familles et des zones susceptibles de constituer un ensemble homogène. Il refuse l’idée d’un système commun dans un espace allant « d’Alger à Cape Town ». Il exclut l’extrême nord et l’extrême sud : d’une part l’Afrique du nord, l’Égypte et la Libye (sic) qui sont tournées vers le monde musulman, d’une part l’Afrique du sud qu’il considère comme trop soumise à l’influence occidentale. En revanche, il y adjoint Madagascar qui « a suivi une évolution politique, économique, sociale et culturelle en tout point semblable à celle de l’Afrique noire ». Il s’agit donc de l’Afrique subsaharienne. Il résume sa position sans s’embarrasser de circonlocution : « Le droit africain, c’est comme on l’aurait dit avec crudité (sic), le droit de l’Afrique dont les habitants ont la peau noire »
Le professeur Seydou Diouf est revenu sur le destinataire des Mélanges en l’occurrence Dominique Sarr qui avait une approche très équilibrée de l’histoire du droit. Il était lui-même avisé et pondéré dans son comportement de tous les jours, … » (op. cit p.347, l’œuvre posthume du professeur Dominique Sarr constitue un regard critique sur le fonctionnement de la justice coloniale en même temps qu’elle représente une précieuse référence en matière de droit coutumier (op. cit. p.348).
Il n’est pas exagéré de dire que le professeur Dominique Sarr était un fin connaisseur du droit coutumier africain. Il a bien démontré cette capacité dans ses travaux de recherches sur les traces de célèbres auteurs comme T. Olawale Elias, Cheikh Anta Diop, Guy A. Kouassigan et autres. Il cite abondamment des auteurs comme Burgel, J. Chabas, P. Dareste, etc. qui ont marqué l’histoire du droit coutumier africain. Le professeur Dominique Sarr a analysé et résumé les différentes caractéristiques des coutumes sénégalaises et maliennes » (op. cit. p.352).
Le professeur Seydou Diouf a donné des exemples relatifs aux successions coutumières (peul, joola), les contrats de louage de services (wolof). Sa pensée est large, ouverte et positive à l’image des enseignements qui embrassaient beaucoup de domaines.
Sa méthode historique privilégie l’étude des textes législatifs et des sources jurisprudentielles. Le professeur Dominique Sarr n’était pas seulement juriste comparativiste du droit et des institutions. L’héritage scientifique qu’il a laissé fait aussi de lui un anthropologue. Dans ce domaine, ses enseignements dispensés ont permis à de nombreuses générations d’étudiants de comprendre la dynamique du politique, les formes graduelles de passages des sociétés sans classes aux sociétés de classes, l’origine des rangs, des castes, les relations entre le pouvoir et la famille, le sacré et le profane » (op. cit. p.355)
Pour conclure
Une bonne histoire du droit suppose donc de bonnes connaissances linguistiques, philosophiques, géographiques, anthropologiques, etc.
Théophile Obenga a eu raison dans sa contribution citée au début (La doctrine du Maat, Ankh 25/26/27) de faire de longs développements sur la Maat, puissante doctrine renvoyant à la responsabilité individuelle, la pondération, la mesure, l’équilibre, la dignité, la réciprocité, la justice liée à la vérité, le bon, le beau, le parfait (op. cit. p.142).
Je nuancerai un peu l’équivalence qu’il a établie entre Maat et totalité (op. cit. p.144). Pour ce qui est du wolof, que je connais assez, bien mat renvoie à ce qui complet. Pour exprimer la totalité, on utilise le terme ñumm; et il est intéressant et prudent de noter que le terme ñepp qui est traduit abusivement par «tout le monde» indique en réalité ceux qui sont en nombre plus important (ñi ëpp). La nuance n’est pas négligeable.
C’est vrai, que le complet et la totalité peuvent être dans le même sac (dëgg en wolof signifie piétiner), et vérité dëgg gu wer péng (vérité indiscutable), mais il faut vérifier, en y mettant les pieds. Retour donc au concret qu’on peut transmettre par écrit, dans des registres, des livres.
Nous rappelions lors de l’édition 2007 de la Foire du Livre au Sénégal que le livre est concrètement et dans l’idéal, un assemblage beau et solide, cohérent de feuilles imprimées, défilé de caractères, de lettres, d’images, fruits de l’imitation, de la créativité humaine, le metcha-t-neter est un instrument, un outil divin ambivalent qui peut construire et détruire à la fois. Il permet de fixer la mémoire, skha, sh kai, ce sont les lettres, c’est l’écriture. Toute parole attribuée aux dieux, à la justice, doit être conservée, rappelée, méditée neter metut ou metut neter désigne les paroles divines, les livres sacrés. Les trois grandes religions monothéistes, avec les plus grands livres connus et diffusés (Thora, Evangiles, Coran) sont édifiés sur les fortes et fécondes articulations. Que d’étapes parcourues, pour passer de l’inscription sur les parois fixes des temples au papyrus léger et transportable et modifiable.
Ainsi a été le droit dynamique, suivant la marche du temps et les rapports de forces.
Retenons donc que le droit est un investissement physique, économique, social, intellectuel, culturel, politique, sacré et consacré à un moment donné. Il faut le protéger, le respecter. Il pose des questions d’éthique. Fouler du pied les principes du droit acquis ouvre la voie aux incertitudes.
Les Assises nationales ont été au Sénégal un grand moment pour revisiter notre commun vouloir de vie commune. La charte de bonne gouvernance qui a été produite et les recommandations de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI) sont une voie que ceux et celles qui veulent une alternative pourraient emprunter.
Réew mi, li mu laaj, moo di lu bees te bax.