Tout récemment, tu as prêté serment en ces termes : « je jure de bien et loyalement remplir mes fonctions de magistrat, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution et des lois de la République, de garder scrupuleusement le secret des délibérations et des votes, de ne prendre aucune position publique, de ne donner aucune consultation à titre privé sur les questions relevant de la compétence des juridictions et d’observer en tout la réserve, l’honneur et la dignité que ces fonctions m’imposent. »
Les valeurs éthiques (loyauté, impartialité, réserve, honneur, dignité) contenues dans ces propos sont enseignées dans toutes les religions révélées et dans les religions dites traditionnelles. Tenons-nous ici à l’Islam puisque tu es musulman.
Au centre de la carrière du magistrat, le maître-mot est Justice. Le lieu de ton travail est appelé Palais de Justice. Mais qui dit justice dit aussi son contraire, Injustice. Trois types d’injustice peuvent être commis. L’individu peut commettre une injustice envers Dieu qui l’a créé, lorsqu’il lui associé des partenaires. C’est le chirk impardonnable. Il peut commettre l’injustice envers lui-même par son comportement dans sa vie, mais peut parfois se rattraper. L’individu peut commettre envers autrui l’injustice qui est impardonnable et lourde de conséquences. C’est l’injustice judiciaire dont il sera surtout question ici.
La langue arabe dans laquelle le Coran a été révélé présente entre autres cette particularité d’être une langue à racines : de trois lettres dérivent des mots différents mais de la même famille.
H.K.M ,
hukm (jugement) ; haakim( juge) ; hakam (juge (mahkamah ) ; tribunal ;
hikmah ( sagesse).
Le Coran utilise deux mots pour juge, hakam et haakim qui figurent tous deux parmi les 99 noms de Dieu, avec une nuance. Hakam est le juge Dieu, Juge Suprême, Omniscient, Juste, dont le jugement est infaillible. Haakim est le juge humain avec toutes ses limites. Il peut avec sagesse rendre un jugement conforme à la justice. Il peut être de bonne foi et commettre une erreur judiciaire. Il peut rendre un jugement injuste parce que corrompu. Les mots dérivés de la racine h.k.m figurent 210 fois dans le Coran.
Le terme arabe pour justice est Adl qui est un des 99 noms de Dieu
De la racine Zlm dérivent les mots : Zulm (injustice, oppression, cruauté, tyrannie) ;
Zaalim (celui qui commet l’injustice) ; Mazloom (victime d’injustice) ; Muzlim (sombre) ; Zulumaat (obscurité) dont le contraire est Noor (lumière), un des 99 noms de Dieu
Le Coran commande la justice dans tout jugement, dans tout acte.
– Et quant à ceux qui ont la foi et font de bonnes œuvres, Il leur donnera leurs récompenses. Et Dieu n’aime pas les injustes (Coran 3 :57)
– Dieu vous commande de rendre leurs à leurs ayants-droits et quand vous jugez, jugez avec justice. Quelle excellente exhortation Dieu vous fait. Dieu est en vérité Celui qui entend et voit (Coran 4 : 58).
– Ô croyants persistez ferme dans la justice comme témoins devant Dieu, même si c’est contre vous, ou vos pères et mères ou vos proches, qu’il s’agisse d’un pauvre ou d’un riche, Dieu les englobe tous deux. Ne suivez pas vos passions jusqu’à contourner la justice, sachez que Dieu sait bien ce que vous faites (Coran 4 : 135).
– Ô croyants soyez fermes dans vos devoirs envers Dieu et jugez de façon équitable.et que l’adversité envers des personnes ne vous pousse pas à être injustes. Pratiquez la justice, cela relève de la piété. Et craignez Dieu. Dieu est parfaitement Connaisseur de ce que vous faites (Coran 5 : 8).
– Dieu vous commande la justice et la bienfaisance (Coran 16 : 90)
Le Coran interdit l’injustice dans tout jugement, dans tout acte. Et informe ceux qui la commettent.
– Allah n’aime pas les injustes (Coran 3 ;57)
– L’injuste ne connaîtra pas la réussite (Coran 6 : 21)
– Dieu ne guide pas les injustes (Coran 6 :44)
– C ’est du fait de l’injustice que Nous avons détruit des générations avant vous (Coran 10 : 13)
– Dieu ne commet pas d’injustice envers les hommes, mais ce sont les hommes qui commettent l’injustice entre eux (Coran : 10 :44).
– La malédiction de Dieu est sur les injustes (Coran 11 : 18)
– Pour les injustes un châtiment douloureux (Coran 14 : 22)
– Ne pense pas que Dieu est inattentif à ce que font les injustes. Il leur accorde un délai jusqu’au jour où leurs regards seront figés (Coran : 14 : 42).
Le prophète dira à ses compagnons : « Je me suis interdit l’injustice et je vous l’interdit. Ne commettez pas l’injustice » (Sahih Muslim 2577).
L’injustice est un fléau social extrêmement lourd de conséquences. L’injustice peut détruire un individu dans son honneur, sa dignité, sa carrière. L’injustice détruit des familles, des sociétés. En parcourant l’histoire, l’injustice a causé des guerres. L’injustice compte à son passif des millions de morts.
Des jurisconsultes musulmans diront que l’injustice contre autrui peut même se répercuter en mal sur la descendance de son perpétrateur. Il peut aussi arriver que des perpétrateurs d’injustice, de leur vivant n’échappent pas à la malédiction.
Parmi ceux qui ont été présentés comme « Les personnages maudits de l’histoire » (titre du livre de Lucien Vieville, 1971) prend place un magistrat : Antoine Fouquier-Tinville, figure de proue de la révolution française de 1789. Accusateur public (sorte de procureur) du Tribunal révolutionnaire durant un an et demi, il a envoyé de façon expéditive plus de 2000 personnes innocentes à l’échafaud pour être guillotinées. Par la suite, jugé lui-même, accusé de violation des droits de toutes ces personnes, il est envoyé à la guillotine, âgé de 49 ans. Su l’échafaud il déclare :
« Ce n’est pas moi qui devrais être traduit ici, mais les chefs dont j’ai exécuté les ordres ».
Petit, garde ce court texte avec toi comme un vade-mecum (‘’marche avec moi’’ : un texte que l’on garde sur soi pour le consulter de temps en temps). Il peut servir à toute personne s’activant dans l’institution judiciaire. J’ai connu de grands magistrats qui ne fonctionnaient qu’à la justice. J’ai connu aussi de grands avocats à qui le sens de l’honneur empreint de piété refusait certains comportements. Il y a toujours eu dans l’institution judiciaire sénégalaise des modèles à suivre, et d’autres à ne pas suivre.