En tant que médecin sénégalais, je suis indigné par le traitement infligé à des citoyens sénégalais à travers des exactions et des atrocités occasionnant des blessures, des mutilations, des incapacités et parfois même des pertes de vie.
Pire, je suis outré par le traitement infligé aux médecins sénégalais ces derniers mois. Je sais que dans toute profession il y a des écarts qui peuvent être notés çà et là, mais au rythme où vont les choses, des interrogations s’imposent :
En effet depuis quelques temps il y a des faits inquiétants qui doivent nous faire réfléchir sur la place du médecin dans notre pays.
1. Rappelez-vous lorsque le corps médical et paramédical a été livré à la vindicte populaire suite aux événements de Linguère Louga et Tivaouone entre 2021 et 2022. Certains agents ont été emprisonnés, d’autres démis de leur fonction. Et toutes sortes de critiques ont été déversées sur le personnel de santé. Certes, certaines sont valables, mais il y avait comme un rejet total de tout le corps médical. Faudrait-il le rappeler, ce même personnel de santé a été félicité et a reçu des éloges de partout durant la crise de la Covid-19. Qu’est-ce qui a changé entre temps ?
2. Après, il y a eu la répression de la marche des internes des hôpitaux en Novembre 2022. Ces derniers, qui ne représentaient aucun danger, ont reçu des gaz lacrymogènes à l’intérieur de l’hôpital de Fann, alors qu’ils organisaient une marche pacifique pour réclamer leurs droits. Qu’est-ce qui peut bien expliquer cette violence envers des médecins, si l’on sait que ces jeunes collègues abattent un travail de titan dans les hôpitaux publics et dans des conditions misérables ?
3. Avant cela, on a assisté à la fermeture précipitée de l’Hôpital Aristide Le Dantec, en août 2022, sans une bonne préparation pour permettre un recasement des services et des agents. Cette fermeture a grandement occasionné la frustration des internes car ces derniers avaient leurs outils de travail et logements au sein de cet hôpital. Qu’est qui pouvait expliquer cette précipitation ? Cette fermeture avait elle été bien planifiée ?
4. Ensuite, il y a eu l’arrestation arbitraire de notre brave collègue, Dr Faye, gynécologue à Kédougou, et des membres de son équipe de bloc, en septembre 2022. Pourquoi s’était-t- on précipité pour les inculper et les placer en garde à vue sans que leur culpabilité ne soit établie par une expertise avérée ? Si l’on sait les sacrifices que le corps médical fait dans ces zones éloignées de la capitale où il arrive qu’il travaille 24h/24 et même les weekends, parfois loin de sa famille et avec peu de moyens.
5. Enfin, l’arrestation, dans des conditions dignes d’un film, de notre collègue Dr Babacar Niang, ne témoigne-t-elle pas d’un manque de considération de notre collègue et, au-delà de sa personne, de la profession médicale elle-même ?. Cet homme, comme beaucoup de médecins, a créé des entreprises privées d’utilités publiques, il vit et travaille dans son pays. Pourquoi a -t-il été arrêté de la sorte ? Ne mérite-t-il pas respect et considération ? Je l’ai rencontré une seule fois, il y a 6 ans. Il était venu à mon bureau et j’avais pu apprécier son amabilité, sa modestie et ses idées novatrices. Malgré tout ce qu’on peut dire sur lui, c’est un homme d’action, un homme franc et un grand travailleur, en témoigne le service SUMA Assistance qui est « Made in Sénégal » et qui est bien connu. Nous devons l’honorer, car c’est un digne fils de la patrie. Rares sont ceux qui peuvent se prévaloir d’une réalisation aussi utile que SUMA sur une initiative personnelle.
Nous devons éviter de désacraliser le sacré, c’est un élément fondamental de cohésion sociale. Le médecin avait, a et aura une place dans la société. Depuis la nuit des temps, les médecins qu’ils soient traditionnels ou modernes sont très bien considérés et respectés dans leur milieu, à cause des services utiles qu’ils rendent à la société. Ils doivent certes répondre de leurs actes et de toute faute, mais il faut les protéger au risque de fragiliser la profession qui aboutira à une perte de confiance.
Une rupture de confiance entre le personnel de santé et la population a des conséquences désastreuses sur le recours aux soins mais surtout sur la réussite des principaux programmes de santé publique dans lesquels l’État, les Collectivités Territoriales, le Secteur Privé et les Partenaires investissent des milliards de FCFA. Et au-delà, la gestion des futures crises sanitaires se fera dans des conditions très difficiles-sans l’engagement des populations- surtout au vu des scandales qui ont émaillé la riposte contre la Covid 19.
J’invite l’Ordre des médecins, les syndicats et associations professionnels à travailler ensemble et saisir les autorités compétentes pour le règlement définitif de ces questions.
Dr Sylla Thiam est Médecin de Santé publique.