Une histoire de l’institution scolaire en Casamance 1860-1960
On retrouve dans cet ouvrage tous les enjeux de la scolarisation dans les pays sous domination coloniale, avec la volonté de former des cadres supplétifs, susceptibles de répondre aux besoins de la puissance impériale. C’est ainsi qu’au Sénégal, la première charte de l’enseignement pilotée en 1903 par le lieutenant-gouverneur, Camille Guy, était « essentiellement pratique et professionnel », avec un contenu tenant compte essentiellement des potentialités du milieu.
Faisant « office de colonie d’avant-garde dans le processus de scolarisation », le Sénégal a bénéficié d’un ensemble d’infrastructures post primaires, à travers notamment l’implantation de l’Ecole Normale d’Instituteurs et d’autres structures professionnelles. Les quatre communes qu’étaient Gorée, Rufisque , StLouis, Dakar, ont grandement profité de l’ offre scolaire coloniale du fait de leur statut particulier. L’auteure établit ainsi, qu’à partir de 1895, dans le cadre de la communauté de l’Afrique occidentale française (Aof) , s’était fait sentir en plus d’un maillage administratif, un besoin de formation d’agents locaux subalternes.
Pour ce qui est de la Casamance, objet d’étude de cet ouvrage, seuls les centres administratifs ont été dotés d’écoles dont les premières ont été ouvertes à Sédhiou, Carabane et Ziguinchor. Ces implantations ont correspondu à des « localités où la France disposait de garnisons, d’une administration et de maisons de commerce ». Dans cette mission d’éducation, il est à relever le rôle primordial dévolu à l’Eglise, avec des missionnaires beaucoup plus soucieux de propager la religion catholique. Toutefois ce rôle important dans la construction et le développement de l’œuvre scolaire en Casamance, sera quelque peu freiné par le combat anticlérical remporté en 1903 en métropole par les Républicains. Vu que le processus de scolarisation était principalement assuré par les congrégations religieuses, il s’en est suivi un contrôle exclusif par l’administration coloniale de l’instruction publique, du fait de l’inadéquation entre les objectifs, les méthodes des écoles congréganistes et la politique coloniale en matière d’enseignement.
On y retrouve aussi des disparités de genre dans le processus de scolarisation. Alors qu’il était « d’une fille pour 3 garçons scolarisés avant la laïcisation de l’enseignement » l’écart s’était considérablement creusé. Il y avait une mauvaise fréquentation des écoles du fait des tâches domestiques, économiques, liées à la culture des terres. Les absences étaient pour beaucoup en rapport avec le calendrier agricole de même qu’aux structures éducatives parallèles comme l’école coranique.
Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que les effectifs féminins ont commencé à décoller.
L’école avait aussi un impact économique avec la formation de futurs consommateurs et producteurs. Il ressort comme l’a noté le Pr Ibrahima Thioub, qu’au-delà du rôle de la langue française comme véhicule de la culture coloniale, l’école agit « nécessairement sur l’identité, l’être , le corps et le destin de ceux qui l’ont fréquentée ». Aussi « avec la scolarisation ont émergé de nouvelles formes de sociabilités, de nouvelles habitudes de consommation, de nouvelles pratiques culturelles (théâtre, dancing », de nouvelles modes vestimentaires propres aux « jeunes » scolarisés ». Céline Labrune Badiane souligne par ailleurs plusieurs liens entre l’école et le conflit casamançais avec notamment à partir des années 1970, l’impasse dans laquelle s’engageait l’école en n’offrant plus les débouchés espérés. Il est aussi question des luttes de pouvoirs autour de l’école dont le refus est vécu comme la manifestation d’une défiance vis-à-vis du système colonial ou alors son attractivité comme moyen d’ascension sociale. Et ont défilé des noms qui continuent d’avoir une certaine résonnance dans la région, notamment Arfang Sonko, qui a contribué au développement de l’école dans le Boulouf, contrairement à Benjamin Diatta, chef de la province d’Oussouye, qui n’avait créé aucune école au cours de son règne. Parler de l’école en Casamance, c’est aussi forcément faire un clin d’œil à des exemples de réussite qui ont eu un impact sur la scolarisation en Casamance. Emile Badiane, sorti en 1935, major de sa promotion de l’Ecole Normale William Ponty. Assane Seck, universitaire et homme d’Etat, ancien Pontain. Paul Ignace Coly..
Version remaniée et actualisée de sa thèse soutenue à l’université Paris VII, l’ ouvrage de Céline Labrune Badiane, maîtresse de conférence en histoire contemporaine à l’Université Assane Seck de Ziguinchor, s’est attachée à identifier avec brio les dynamiques politiques, économiques et sociales qui permettent d’appréhender les logiques qui ont prévalu dans les politiques de scolarisation dans les pays sous domination coloniale.