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La Cedeao, Le Nouveau Groupe De Brazzaville ?

Devenu le groupe de Monrovia en mai 1961 – avec des États membres plus hétéroclites -, le groupe de Brazzaville était essentiellement composé d’anciennes colonies françaises au moment de sa naissance, dans la capitale congolaise, en décembre 1960, au milieu d’une Afrique où le soleil des indépendances venait à peine de se lever sur nombre de pays. Selon la juriste haïtienne, Mirlande Hyppolite: « Pour beaucoup d’observateurs, il (le groupe de Brazzaville) demeure l’ensemble des États qui, entre 1960-1962, se sont prononcés en faveur de la France lors de la discussion de l’affaire algérienne, ou qui se sont opposés à la majorité des États africains sur le problème congolais[1]En choisissant ainsi de se ranger en bloc, et ouvertement du côté de l’oppresseur, du (néo)colon, il fait penser, à bien des égards, à la CEDEAO qui, instrumentalisée ces dernières années par des puissances occidentales, notamment la France, a pris des décisions iniques allant dans le sens de leurs intérêts, au grand dam des peuples du Mali, du Burkina Faso, de la Guinée et actuellement du Niger contre lesquels elles ont été et sont encore appliquées

Il suffit juste de rappeler certains des principaux points du discours inaugural du roi Mohammed V,  tenu à Casablanca le 6 janvier 1961, lors de la conférence qui devait donner naissance au groupe – composé du Maroc, du Mali, de la Guinée Conakry, de la Libye de l’Égypte, du Ghana et du GPRA – qui allait porter le nom de cette ville marocaine pour s’apercevoir que l’unité africaine totale, la défense du continent par des forces africaines et la volonté de libération des peuples encore sous le joug du (néo) colonialisme qui animaient ce groupe étaient loin de plusieurs des positions prises par celui de Brazzaville. En voici quelques-uns : lutte contre le néocolonialisme sous tous ses aspects et dénonciation de ses nouvelles méthodes de mystification; consolidation et défense de l’indépendance des États africains libérés; édification de l’unité africaine; évacuation de toutes les forces d’occupation en Afrique ; opposition à toute ingérence étrangère dans les affaires africaines; action pour la consolidation de la paix dans le monde[2].  Pendant ce temps, sous la houlette d’Houphouët Bobigny, que Frantz Fanon surnommait le commis-voyageur du colonialisme français[3] – le groupe de Brazzaville votait contre le plan Kennedy lors de la XVe Assemblée générale des nations unies, lequel prévoyait de confier la gestion de la crise algérienne[4] à l’ONU. Lors de la crise congolaise, juste quelque temps après la déclaration d’indépendance du pays, alors que le groupe de Casablanca soutenait le gouvernement lumumbiste du vice-président Antoine Gizenza installé à Stanleyville, celui de Brazzaville supportait le gouvernement du président Kasa-Vubu à Léopoldville (actuel Kinshasa), lequel était appuyé par les puissances (néo)coloniales – France, Belgique et États-Unis -, qui avaient encouragé, voire fomenté la sécession du pays pour préserver, dans un contexte de guerre froide très marquée, leurs intérêts financiers et géostratégiques dans le pays.

En ces temps de tiraillements très tendus entre partisans d’un monde multipolaire et ceux d’une hégémonie occidentale éternelle, la CEDEAO est instrumentalisée par la France, qui l’a poussée à prendre nombre de décisions injustes et illégales pour faire plier des pays qu’elle accuse d’avoir commis un crime de lèse-majesté en voulant se dépêtrer de son emprise pour sortir de sa zone d’influence. Dans le cas du Mali – où les sanctions prises à la suite des 2 coups d’État ont été les plus sévères, certainement pour faire peur aux anciennes colonies françaises de la sous-région qui seraient tentées de lui emboîter le pas – elle a outrepassé ses prérogatives en allant jusqu’à ordonner le gel des avoirs du pays dans les banques centrales et commerciales (de la CEDEAO). Elle avait aussi ordonné la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays membres de la CEDEAO et le Mali et suspendu toutes les aides financières de ses institutions financières. Mais le peuple malien a fait stoïquement face à toutes ces décisions. Des sanctions avaient été aussi prises contre la Guinée Conakry et le Burkina Faso à la suite des coups d’État survenus dans ces 2 pays. Mais elles étaient plus souples que celles infligées au Mali. La nouveauté dans le cas du Niger, après le putsch du 26 juillet dernier, est que, outre la batterie de sanctions habituelles, la CEDEAO, poussée encore et toujours très fortement par la France, qui n’a plus besoin de porter de masque pour agir, a brandi cette fois-ci la menace d’une intervention militaire pour réinstaller le président Bazoum, l’homme de Paris. Après l’expiration ultimatum donné au Niger, tout le monde reste dans l’incertitude totale, même si solution pacifique semble privilégiée pour le moment.

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La Nigéria, qui a quasiment la même population que le Niger, partage 1 500 Km de frontière avec ce pays. Pour autant, sous l’influence de Paris, il est très vite allé en besogne en déconnectant rapidement la ligne de haute tension qui transporte l’électricité au Niger. Cette décision est pour le moins ubuesque. Qui eût cru que ce pays, qui avait interrompu ses relations diplomatiques avec la France entre 1961 et 1966, à cause des essais nucléaires que cette dernière menait dans le désert algérien serait capable d’un tel acte pour les beaux yeux de la France. L’histoire regorge hélas d’ironies, et au pays du président Tinubu, ses leçons ne semblent pas être très bien retenues. C’est pourquoi il convient bien de rappeler le rôle que le pays du président Macron a joué dans la guerre du Biafra, qui a causé près d’un million de morts sinon plus selon certaines estimations. Le général de Gaulle disait que : « Le morcèlement du Nigéria est souhaitable et si le Biafra réussit, ce ne sera pas une mauvaise chose[5]. » Ses propos ont été suivis d’actes concrets sur le terrain : « 384 millions de dollars en équipements militaires ont été fournis par Paris…par un pont aérien, qui avait atteint parfois 450 vols par mois[6]. Le soutien était aussi financier : 500 00 livres sterling fournis par la compagnie ELF. L’Hexagone avait choisi de plonger ses mains dans le cambouis juste pour défendre ses intérêts stratégiques en voulant démanteler un grand pays anglophone gênant au milieu d’anciennes colonies francophones encore soumises: « La crise du Nigeria, que l’histoire a situé au cœur de l’ensemble colonial français, ne pouvait pas laisser la France indifférente : quatre États francophones entourent la fédération et l’on trouve d’importantes minorités Yorubas au Dahomey, Haoussas au Niger, Ibos au Cameroun oriental[7]. » D’aucuns disent que l’or noir qui avait été découvert en grande quantité au Biafra faisait aussi partie des visées inavouées. La situation n’est pas différente de ce qui se passe actuellement au Niger. Si la France fait des pieds et des mains et adopte une attitude arrogante et belliqueuse, tout en essayant de pousser la CEDEAO à la guerre, laquelle ne ferait que des victimes africaines, c’est entre autres pour maintenir ses soldats chassés du Mali dans le pays et surtout continuer de bénéficier encore et toujours du prix avantageux qu’elle paie pour acheter l’uranium nigérien. Par conséquent, elle est prête à tout pour faire réinstaller son homme au pouvoir, dût-elle pousser à faire semer le chaos dans la région comme elle l’avait fait en Lybie. Rappeler ces faits historiques n’est pas synonyme pour autant d’absoudre les coups d’État qui profilèrent dans cette zone de l’Afrique.  Loin s’en faut. Toutefois, la question que l’on devrait aussi se poser est de savoir pourquoi ces coups d’État sont toujours bien accueillis par les peuples. D’autant que les scènes de liesses auxquelles ils donnent lieu en disent long sur la nature des régimes renversés. De plus, dans beaucoup de pays africains, les populations n’ont pas la possibilité de porter aux sommets des États les personnes de leur choix à travers des élections (transparentes et démocratiques), parce que celles-ci sont souvent soit truquées soit pilotées de l’extérieur ou les deux à la fois.

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Pour gagner en crédibilité et pour être plus cohérents avec eux-mêmes, les chefs d’État de la CEDEAO doivent appliquer les mêmes sanctions à tous ses pays membres en cas de coup d’État. Celles mises en œuvre au Mali et au Niger ne devraient pas différer de celles appliquées en Guinée Conakry. Qui plus est, les coups d’État constitutionnels doivent être punis aussi sévèrement que les coups d’État militaires. Ces dirigeants devraient surtout être souverains et responsables, en agissant de leur propre chef et en toute conscience plutôt que d’être les pantins aux mains de puissances occidentales qui les manipulent au gré de leurs intérêts. C’est trop facile d’accuser toujours les autres comme étant la cause de ses échecs et de ses malheurs tout en oubliant de se remettre en question à travers une autocritique sans complaisance.

En définitive, il serait bon de rappeler ces propos de Frantz Fanon, qui avait déjà tiré la sonnette d’alarme à la suite de l’assassinat de Lumumba : « Les Africains devront se souvenir de cette leçon. Si une aide extérieure nous est nécessaire, appelons nos amis. Eux seuls peuvent réellement et totalement nous aider à réaliser nos objectifs, parce que, précisément, l’amitié qui nous lie à eux est une amitié de combat[8]. » Si la France insiste et persiste pour faire intervenir militairement ses laquais de la CEDEAO, c’est pour la défense ses intérêts. L’esclavage, la colonisation, les assassinats ciblés des leaders indépendantistes, les coups d’État soutenus après les indépendances, les ingérences répétées, la guerre au Rwanda, en Lybie et en Côte d’Ivoire  prouvent s’il en était besoin que la France est loin d’être l’amie de l’Afrique en général et de ses anciennes colonies en particulier. Pas plus que les Américains – dont les actions sont plus discrètes dans la situation actuelle – et les autres puissances occidentales parce qu’il n’existe pas d’amitiés en matière de relations internationales. Les États sont juste mus par leurs intérêts. Donc, toute personne sensée doit savoir que les intérêts d’un pays étranger ne valent aucune vie africaine a fortiori une guerre fratricide qui causerait plusieurs centaines de victimes et de refugiés. Ils ne valent pas non plus l’éclatement de CEDEAO, qui pourrait se voir quitter par le Mali et le Burkina Faso, s’ils mettaient leurs menaces à exécution en cas de conflit. Les crises au Mali, au Burkina Faso, au Niger et les cafouillages notés au niveau de la CEDEAO montrent encore une fois que nos pays sont unis par une communauté de destins sur le plan sécuritaire et économique, et que tant qu’ils seront désunis, ils resteront les proies faciles des puissances cyniques et sans scrupule. La France est en déclin en Afrique, et la tendance, sauf miracle, est irréversible. Et l’histoire a enseigné que les puissances et les classes dominantes en déclin peuvent être très dangereuses. Ayant compris cela, Aimé Césaire, dans le Discours sur le colonialisme, nous avait déjà mis en garde : « C’est une loi implacable que toute classe décadente se voit transformée en réceptacle où affluent toutes les eaux sales de l’histoire; que c’est une loi universelle que toute classe, avant de disparaître, doit préalablement se déshonorer complètement, omnilatéralement et que c’est la tête enfouie sous le fumier que les sociétés moribondes poussent leur chant de cygne[9]. »

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[1]                Mirlande Hyppolite, citée pat Saïd Bouamama, Pour un panafricanisme révolutionnaire, pistes pour une espérance politique, continentale, p. 152

[2]                Manuel stratégique de l’Afrique, Saïd Bouamama, tome 2 p.127

[3]                Pour la révolution africaine, Frantz Fanon, p.135

[4]                « Big brother » ou la géopolitique africaine d’Houphouët Boigny, tiré de L’empire qui ne veut pas mourir ’(œuvre collecte sous la direction de Thomas Borrel, Amzat Boukari-Yabara, Benoit Collombat, Thomas Deltombe), p. 303

[5]                Foccart Parle, entretiens avec Philippe Gaillard 1, p. 342.

[6]                Manuel stratégique de l’Afrique, tome, p.35

[7]                Pour un panafricanisme révolutionnaire, pistes pour une expérience politique continentale, tiré de la rue française Défense nationale, cité par Saïd Bouamama, p.136

[8]                Pour la révolution africaine, Frantz Fanon, p.217

[9]                Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, p.54







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