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Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

Pathe Diagne, Lamane De La Pensee*

Saint-Louis (3 au 5 décembre 2018) : Colloque international sur le thème Globalisation, langues nationales et développement en Afrique.

Notre conférence Sargal …. célèbre Pathé Diagne le linguiste. Choix ne pouvait être plus heureux que celui-là car ses travaux dans cette discipline font autorité. «Familier de la linguistique européenne, du structuralisme saussurien, des travaux de Louis Hjelmslev et de la glossématique de Roman Jakobson et de l’École de Prague »,Pathé a ,dès le début des années 60, participé, par ses travaux aux États-Unis, à l’avènement de la linguistique transformationnelle et générative. Dans la mouvance de l’École de Emon Bach, il a contribué en collaboration avec Joseph Wilkins, aux travaux de linguistique comparative initiés au sein de la West African Linguistic Society et réalisé, au début des années 1960, à l’Université de Carbondale, Illinois, le premier Manuel du Français et le premier Manuel du Wolof, selon la méthode transformationnelle ou générative . Dans la foulée, Pathé Diagne rédigera, en collaboration avec les professeurs Joseph Greenberg et David Dalby, la partie introductive à la linguistique historique, du volume I de l’Histoire Générale de l’Afrique publiée par l’UNESCO. Pathé est, de toute évidence, un linguiste hors pair et le choix fait par l’Institut d’Études Avancées (IEA) de lui rendre hommage est on ne peut plus justifié.

Mais peut-on, pour autant, réduire Pathé Diagne (PD) à un linguiste, si prestigieux que soit le titre ? Assurément non L’homme aurait encore pu être retenu si l’Institut d’Études Avancées (IEA) avait décidé de célébrer un économiste, un philosophe ou un historien des civilisations, voire un exégète du livre Saint des musulmans , Al Quran, qu’il a traduit en wolof.

Car PD est tout cela; il est aussi à l’aise dans la discussion sur les formes pronominales que sur les cycles économiques  ; tout aussi capable de disserter de paléontologie génétique et d’archéologie linguistique de l’ère ramakushi il y a 8000 à 10000 ans avant JC que de la restauration de sa ville natale St Louis pour en faire une cité d’avenir, portant au Blues people comme les appelle LeroiJones la même attention que celle qu’il porte à la statuaire olmèque précolombienne. Tout se passe comme s’il avait fait sien le fameux « Homo sum et nil humanum a me alienum est …. »

C’est que «  les humanités  » n’ont pas de secret pour lui. Par la diversité des champs qu’il explore et la rigueur avec laquelle il les laboure, PD fait penser immédiatement à Cheikh Anta Diop avec qui il a, au demeurant, de nombreuses similarités et affinités sur lesquelles je dirai deux mots.

D’où lui vient cette capacité ? Lorsque je lui pose cette question, et l’interroge sur son itinéraire intellectuel, Pathé me répond que son itinéraire intellectuel est simplement celui d’un homme qui a pu s’offrir le luxe de fréquenter les bibliothèques plus que de raison. Je ne crois pas que ce soit si simple  ; quelque chose me suggère qu’il y a là un raccourci trompeur, ou une simplification outrancière.

Aujourd’hui, je voudrais me risquer à donner quelques clés à cette question. Et je voudrais en privilégier trois

Certes, Pathé est curieux intellectuellement mais la curiosité ne suffit pas à expliquer sa richesse et sa densité car, si elle ne s’adosse à rien, la curiosité peut mener au dandysme intellectuel et à l’éclectisme bon enfant, fréquents dans les salons mondains mais tout à fait aux antipodes de la pensée structurée et dense de Pathé .

1) Pathé Diagne est dense parce qu’il est travailleur ou, plus justement, chercheur.

Un chercheur, c’est d’abord quelqu’un qui apprend, s’initie. Pathé n’a pas de mal à le comprendre lui qui , dès le jeune âge, a baigné dans une atmosphère studieuse où l’on enseigne que Ku Jangul doo tari (Qui n’a pas appris, ne peut réciter sa leçon). Cette atmosphère, c’est celle de l’école coranique d’abord qu’il fit chez Youssoupha Sall et qui le marquera profondément ; il aurait pu la faire chez lui ou d’autres oncles car dans la famille de Tafsir Oumar Sall dont il est un descendant direct par sa mère Rokhaya Sall, les érudits étaient nombreux, y compris parmi les femmes dont l’une d’elles, Maam Taam, tenait un daara féminin. Le daara saintlouisien est alors une école de vie, un lieu où l’on se forme à plusieurs disciplines. PD y apprend le Coran mais aussi son intérêt pour la linguistique s’y forme, avec l’apprentissage du wolofal, qu’il maitrisera avant même d’aller à l’école française. Mais le daara est aussi un lieu où l’on se forme à la tolérance, à la solidarité, à l’humilité. Ces qualités, PD les mettra à profit et les affinera au petit lycée de la rue Neuville et plus tard au lycée Faidherbe à St louis, où PD fait partie des plus brillants élèves ;même s’il est déjà contestataire il est connu et reconnu, réputé pour ses capacités intellectuelles. Diagne Pathé, ainsi qu’il est appelé alors, se distingue par son gout pour la littérature française, singulièrement la poésie.

Mais il étonne aussi par son avidité à chercher le savoir hors des sentiers battus qui le conduira à lire, Nations Nègres et Culture en une nuit, alors qu’il n’est qu’en seconde. De St Louis, il rejoindra le lycée Van Vollenhoven à Dakar, autre centre d’excellence, où il s’illustrera également en passant haut la main les deux parties du baccalauréat qui lui ouvrent l’accès à l’enseignement supérieur

Après un passage à l’Université de Dakar sanctionné par deux licences en lettres et en sciences économiques, PD va s’inscrire à la Sorbonne et à l’École Pratique des Hautes Études en Sciences Sociales, deux institutions où officient les grands maitres des sciences sociales de l’époque. Ses professeurs ont pour noms Georges Balandier, Georges Gurvitch, Leroi Gourhan, Gilles Martinet ,G.Manessey, E.Benveniste, L.Homburger, Piveteau, L.V Thomas, R.Aron. Ils font autorité dans les domaines de la sociologie, de l’anthropologie, du comparatisme, de l’égyptologie, de l’archéologie, et de la paléontologie… Il fréquente aussi Sciences Po où officie un certain Raymond Aron. PD s’intéresse davantage à ces disciplines qu’aux sciences économiques dans lesquelles il s’illustrera pourtant en soutenant une thèse sur l’intégration économique de l’Afrique de l’Ouest . Il approfondit sa connaissance des travaux de Cheik Anta Diop dont il deviendra l’ami et à qui il consacrera d’ailleurs un ouvrage  :Cheikh Anta Diop et l’Afrique dans l’histoire du monde.

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Il s’intéresse à la Harlem Renaissance et sera un des premiers Sénégalais de sa génération à se rendre aux USA et à participer aux combats intellectuels des Afro-Américains avec qui il cheminera à Dakar lors du Festival mondial des arts nègres, en 1966, et à Alger avec le Festival culturel panafricain tenu en 1969

C’est fort ce tout cela que PD va, vers la fin de la décennie 60, s’installer à Dakar pour y poursuivre une carrière de chercheur. Lorsqu’il pose ses pénates à l’Institut Fondamentale de l’Afrique noire (IFAN) de l’Université de Dakar il a déjà commis deux ouvrages devenus des classiques: Une grammaire moderne du wolof –seul avant lui le grammairien Senghor s’était risqué à un tel exercice pour une langue africaine, en l’occurrence le Sereer- et le Pouvoir politique traditionnel en Afrique de l’Ouest alors que nombre de ses professeurs dont Balandier et Martinet l’avaient assuré chacun dans son territoire que ses thèses ne trouveraient pas d’éditeur dans la France bien-pensante.

A l’IFAN, il va poursuivre les travaux de linguistique entamés à Paris .Il le fait avec brio et publie coup sur coup des ouvrages qui feront date : l`Anthologie wolof de la littérature universelle, IFAN, Dakar 1970, l`Anthologie de la littérature wolof, IFAN, Dakar, I971, témoignent de cette intense activité intellectuelle. PD se lance aussi dans la traduction en wolof de classiques de Sophocle, de Tolstoï, de Shakespeare, de Buchner, de Gogol, etc. Plus que jamais il fait sien l’adage « xam sa lakk xamm sa bopp » (si tu connais ta langue, tu connais ton identité).

Sa décontraction le fait remarquer des chercheurs qui, en passant devant son bureau dont la porte est toujours ouverte ,l’entendent chanter, siffloter, commenter un match de football, fredonner des accords de Thelonious Monk ou disserter sur la rencontre entre le Neandertal et l’Homo sapiens avec une égale aisance ne donnant jamais l’impression d’être en peine. PD va être remarqué aussi hors de l’IFAN par des cinéastes comme Ousmane Sembene ou Johnson Traore avec qui il va collaborer sur différents projets . Hors du Sénégal, PD est connu aux USA où il se rend régulièrement à partir de 1967 alors que le Black Power prend son envol en 1972. Il dispense des cours dans plusieurs universités mais surtout il dialogue avec un grand nombre de nationalistes afroaméricains . Molefi Asante, Leroi Jones qui deviendra Amir Baraka, Ron Karenga qui n’est pas encore Maulana,Stokely Carmichael qui s’installera dans la Guinée de Sékou Toure sous le nom de Kwame Toure.

Pourtant travailler à Dakar participait de la gageure . Pouvoir surmonter les conditions de travail difficiles, ne suffisait pas . Il fallait y ajouter une grande dose d’audace. D’autant qu’ à la différence de ces chercheurs qui labourent les terrains bien balisés de leurs thèses Pathé se pose en défricheur, un de ceux qui n’ont de cesse de questionner, voire bousculer les doxa et les idées reçues .Ce trait de caractère, cette indépendance d’esprit lui vaudra d’être combattu par le système mandarinal français qui se déploie à pleines voiles au Sénégal à l’époque avec une université qui est la 17 eme de France et un IFAN qui est encore très largement français. PD sait que les mécanismes coopérationnels de la France gaulliste et ne lui feront pas de cadeau; il a devant lui l’exemple de Cheikh Anta Diop réduit au rang d’ermite dans son laboratoire de carbone avec un salaire de misère de 150 dollars. Mais cette perspective n’effraie pas PD qui du reste affiche un souverain mépris pour les biens matériels . L’historien des civilisations va continuer à s’engager sur un terrain où la controverse est particulièrement vive. Dans le sillage de CAD combattu par l’Université, il défend les thèses de Nations Nègres et culture. Il fera preuve sur ce terrain de la même rigueur que celle qu’il met à défendre les langues africaines. L’ère /aire ramakushi, à laquelle il va consacrer plusieurs ouvrages d’une rare érudition, l’occupe. .Pour autant, l’historien ne se désintéressera pas d’une histoire plus immédiate, en particulier celle des « mésaventures africaines » de la France gaullienne pour reprendre le sous-titre de son ouvrage De la République de Felix Éboué à la Francafrique de Charles de Gaulle.

Pour réaliser ses projets, pour faire triompher son intelligence, et ses intuitions géniales, PD mobilise cette qualité qu’il possède en abondance: son audace. Et un côté rebelle qu’il possédait déjà au lycée Faidherbe et qui lui fit préférer le béret basque aux couvre-chef plus classiques. Et l’audace, Pathé n’en manque point  ; qui allait le conduire à affronter l’establishment euro ou sémito-centriste et attraire en justice, en France, un certain Jean Daniel, éditorialiste du Nouvel Observateur qui fut déclaré coupable et condamné. Une audace qui allait le conduire à déconstruire les paradigmes d’un certain Léopold Sedar Senghor devenu le servant de la francophonie après avoir été le chantre de la négritude. Senghor était alors au summum de son imperium politique et intellectuel et résumait sa philosophie d’une maxime : « Sévir sans faiblesse coupable ni cruauté inutile  » Telle était sa position face à ses adversaires politiques depuis la mise sur pied du régime présidentiel en 1963 mais aussi face aux intellectuels. Pour le monocrate qu’il était devenu en instaurant un présidentialisme exacerbé en lieu et place d’un régime parlementaire dont il se défit en 1962, le maitre mot était sévir, au risque de susciter une résistance à laquelle PD prit une part active, même si elle est peu connue. Le festival d’ Alger en 1969 marqua le paroxysme de l’ affrontement Diagne-Senghor qui jusqu’alors avait été à fleurets mouchetés.

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Senghor n’est pas à Alger mais il y a dépêché deux poids lourds de son gouvernement :Assane Seck et Amadou Makhtar Mbow. Ils seront bien incapables cependant de faire face à la puissance de feu d’un PD d’autant plus à l’aise qu’il ne cherche rien ni dans les cénacles du pouvoir, ni dans les rangs de l’opposition .Senghor réagira avec une sévérité qui frise la cruauté : PD sera renvoyé de l’IFAN. Mais alors qu’ à l’époque coloniale il s’est trouvé un Boissier Palun pour faire plier ou pour contourner une sanction excessive prise contre Pathé par l’administration du lycée Faidherbe, en 1969 il ne se trouve plus personne pour faire entendre raison à un Senghor d’autant plus ferme qu’il voit en PD un exemple qu’il ne faut pas laisser prospérer. PD restera de marbre face à la décision de l’autocrate et continuera son combat sans jamais faire de concessions . Par intégrité intellectuelle autant que politique, il refuse la soumission à un ordre senghorien suranné. Il va quitter l’institution universitaire où il aurait pu faire carrière mais la victoire de Senghor est une victoire à la Pyrrhus car PD aura laissé des traces de son passage avec une production intellectuelle de qualité sous la forme de plusieurs livres et de dizaines d’articles.

L’intégrité de Pathé se double d’une humilité qui est un autre trait majeur. PD n’est pas homme des paillettes ou des ors et dorures. La lumière, il ne la cherche pas ,pas plus qu’il ne tire la couverture à lui. Les rampes des projecteurs, il les abhorre et lorsqu’il ne peut y échapper, il cherche un commensal avec qui les partager ou attribue ses mérites a d’autres. Pathé est un homme généreux.

2) La densité de PD est celle d’un homme généreux :

Cette générosité s’exprime de diverses manières :elle prend d’abord la forme de la solidarité avec les plus vulnérables. Les raisons de son expulsion de Faidherbe sont éclairantes à cet égard. C’est en effet pour ne pas servir de témoin à charge à un professeur français corrige par un élève sénégalais que PD fut l’objet cd représailles. Il préféra prendre quelques libertés avec la vérité plutôt que de dire une vérité qui aurait pu nuire à son camarade.

Cette solidarité avec les plus vulnérables explique sans doute son intérêt pour une certaine approche de l’  histoire : celle qui rétablit la vérité sur ceux-là qu’on tend à oublier, donne voix aux sans -voix, sert ceux-là que le destin semble desservir. Il pense comme Chinua Achebe que les lions ont besoin de leurs historiens. Il rétablit ainsi la vérité sur Jean Bart, qui avait en fait pour nom Jambar Diagne, était lamane maitre de terre. C’est ce trait d’esprit qui explique aussi qu’il se soit intéressé au Faidherbe de 1870 plutôt qu’au Gouverneur de St Louis car le vainqueur des Prussiens dut sa victoire aux soldats originaires des quatre communes, héros pas suffisamment chantés.

Cette générosité prend aussi la forme d’une ouverture d’esprit remarquable. Rien n’en témoigne davantage que la ligne éditoriale de la maison d’ édition qu’il fonda en 1974. Sankore, ainsi qu’il l’appela pour souligner l’ouverture, accueillit tenants et adversaires de l’ethnophilosophie ,marxistes et libéraux, laudateurs et contempteurs de Cheikh Anta Diop. La librairie éponyme amplifiait les controverses fécondes mais surtout les démocratisait car Sankoré qui était central spatialement parlant, était libre d’accès. .Toutes les langues s’y parlaient et toutes les générations y étaient également bienvenues, tout comme les formes d’expression: s’y rencontraient les cinéastes, les peintres et sculpteurs ; les romanciers et les musiciens, les mathématiciens et les chanteurs de khassaides, les juristes et les anarchistes autoproclamées. PD était d’autant plus enclin à débattre que ce n’est pas un homme de chapelle. Il est en fait de ceux qui, en politique comme dans d’autres sphères, ne transigent pas sur la souveraineté du sujet. Souveraineté comprise comme chez Spinoza comme la capacité de dire non.

Cette capacité à dire non Pathé la porte en bandoulière car il est l’héritier d’une tradition communale citoyenne qui s’est forgée au sein d’un Saint Louis comptoir multiracial, multiculturel et multiconfessionnel depuis l’époque du négoce transocéanique alors que les monarchies de droit divin régnaient en Europe et les califats despotiques en Orient. Dans le passage Nehme où se nichait Sankore, non seulement on pouvait dire non mais on était encouragé à le dire. Et ce dans la langue de son choix. Comme s’il se fût agi de mettre en pratique les propos de Serigne Moussa Ka inscrits en épigraphe de son ouvrage sur la littérature wolof selon lesquels « toute langue est belle qui chante chez l’esclave la dignité et chez l’homme célèbre l’intelligence  » Et lorsque l’espace ou le temps de la librairie s’avérait contraignant, PD invitait les protagonistes du jour à poursuivre la discussion ailleurs. C ‘était souvent chez lui. L’agora se déplaçait alors de Ponty à Yoff Ranrhar où le cebbu jenn St louisien servi face à l’ Atlantique finissait par avoir raison des ardeurs des uns et des autres ou réussissait le tour de force de mettre d’accord, de réconcilier les protagonistes et devenait ainsi un liant renforcé par la magie du lieu et la majesté d’une Fat Sow, tout à la fois complice intellectuelle de PD, hôtesse prévenante et commensale taquine.

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La générosité conduit aussi PD à reconnaître à ses interlocuteurs ou à ses sujets beaucoup plus de qualités qu’euxmêmes ne s’en trouvent ou ne s’en connaissent. C’est ainsi qu’à propos d’un évènement comme Mai 68, PD est un des rares de sa génération à en avoir saisi, à mon sens, l’esprit profond. La lecture qu’il en fait est particulièrement valorisante car là où beaucoup de sa génération ne voient qu’une simple disruption, si ce n’est, pire encore, mimétisme de la part d’étudiants manipulés par des Albo-européens, PD dans sa grande générosité autant que lucidité lit Mai 68 comme une manifestation d’envergure qui se distingue des autres manifestations politiques par la très grande générosité, le désintéressement, le dévouement de la plupart des acteurs de ce mouvement, singulièrement des plus jeunes. Il est, sous ce rapport, «frère d’âme », comme dirait mon neveu David Diop, du situationniste Raoul Vaneighem pour qui la révolution est une offrande à l’amour. C’est encore de générosité que fait preuve Pathé lorsqu’il attribue à ce qu’il appelle l’esprit de Saint Louis ou de Tafsir Omar, son grand-père maternel, des qualités dont je persiste à croire qu’elles lui sont propres..

C’est encore sur le compte de la générosité que s’inscrit son sens aigu de l’amitié. Chez PD générosité rime avec amitié. Une amitié élevée au rang de mystique. PD ne renie aucun de ses amis, même ceux qui ont fait des choix aux antipodes des siens. Tout au plus peut-il s’en éloigner, pour ne pas les gêner, comme ce fut le cas avec Diouf au pouvoir ( Président de la République du Sénégal en 1981 après avoir été Premier Ministre entre 1970 et 1980); mais jamais il ne les fustigera. Sa fidélité en amitié explique aussi qu’il ne se soit jamais joint au chœur des critiques de Présence Africaine bien que la Société Africaine de Culture (SAC) à laquelle il prêta pendant fort longtemps ses lumières ne l’ait pas payé en retour et ait même contribué, par sa tiédeur à faire couler l’Association internationale des arts et cultures (AIFESPAC).

J’en arrive à un autre trait de caractère de PD : c’est l’intégrité. C’est une intégrité morale résultant d’une éducation stricte et quelque peu aristocratique avec ce que cela comporte non de mépris mais de détachement par rapport aux oripeaux des nouveaux riches; mais l’intégrité de PD elle est aussi une intégrité intellectuelle qui pousse à un sacrosaint respect des faits. Cette intégrité, rien n’en témoigne davantage que le portrait qu’il dresse de Félix Éboué en qui il voit « le dépositaire et le légataire d’une tradition communale citoyenne …antérieure aux révolutions républicaines du 18eme siècle… » PD. rétablit la vérité sur Éboué parce qu’il ne supporte pas l’injustice de l’oubli, la falsification de l’Histoire de la Résistance par De Gaulle et ses épigones,  «  la mémoire absentée  ». L’intégrité s’exprime par sa volonté et sa capacité à écouter et à parler, à présenter et à partager. Pathé aime communiquer, mais moins pour rallier quelqu’un à sa cause, recruter des talibés ou des militants que pour inciter au dépassement, faire bouger les lignes et faire voir en chacun ce qu’il a de mieux. Son intégrité conduira PD à toujours dire ses limites pour inviter d’autres à le dépasser; les faiblesses de ses argumentaires, il ne les cachera jamais et s’il y a une chose dont il a pu souffrir ce n’est pas de la contestation de ses idées, révolutionnaires sur bien des points, mais de leur insuffisante contestation, en raison de débats insuffisants auxquels il était pourtant prêt, qu’il voulait même susciter. Loin de vouloir marquer un territoire, qu’il aurait pu considérer comme le sien pour l’avoir débroussaillé, PD invite les autres à y planter leurs pénates s’ils le souhaitent, sans payer un ticket d’entrée. C’est assez rare chez les chercheurs formés à l’esprit de la rivalité féroce, forcené, distincte de l’émulation saine, pour mériter d’être souligné

*A SUIVRE

NOTA : Le décès de Pathé Diagne survenu le 23 Aout 2023 à Dakar a remis à l’ordre du jour tout l’intérêt du texte que Dr Alioune Sall a servi à l’auditoire lors du colloque international sur le thème Globalisation, langues nationales et développement en Afrique – Hommage à deux pionniers de la linguistique africaine : Arame FAL et Pathé Diagne. Sud Quotidien reproduit en deux jets cette conférence magistrale qui a été prononcée dans la foulée du lancement de l’Institut d’Études avancées (IEA) de Saint-Louis en 2018, sous le titre Pathé Diagne, lamane de la pensée, au linguiste, éditeur et économiste qui, depuis de nombreuses années, a vécu dans la pénombre.

Par ALIOUNE SALL







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