Voila une année qui tire à sa fin. Dans quelques jours Macky Sall prononcera son message à la nation. A vrai dire les années précédentes, ce n’était plus un discours attendu car trop convenu et où le président se cantonnait à égrener son catalogue de réalisations. Cette fois ce sera diffèrent. Pas parce qu’on n’aura pas droit à la longue litanie habituelle des « réussites », mais surtout parce que c’est le dernier discours qu’il prononcera.
Quelle phrase prononcera-t-il et qui survivra à sa postérité ?
Mitterrand dans son dernier discours avait étalé ses croyances en évoquant « les forces de l’esprit » qui sont passées dans l’Histoire. Senghor s’était inscrit dans le registre de l’espérance. Dans son dernier message à la nation en 1981[1], rêveur, il nous rassurait sur un meilleur avenir assorti à une double condition : “Si encore une fois, nous savons être, non seulement plus unis sur l’essentiel, mais encore et surtout plus attentifs et réfléchis, plus méthodiques, plus organisés, plus travailleurs” et il poursuivait : « Si nous savons également maintenir la démocratie, c’est-à-dire le pluralisme des partis dans le respect des Droits de l’homme et des libertés fondamentales« . Voilà ce que disait en substance le président poète au moment de quitter le pouvoir. Quelques 40 ans plus tard, force est de constater qu’on en est hélas au même point. Le pays est divisé, la démocratie en berne.
Que dira le président Sall ? Wait and see[2].
La dernière fois où il parla, il nous surprit. C’était au mois de juillet dernier. Contre toute attente, il annonça une bonne nouvelle pour le Sénégal : il ne sera pas candidat en 2024. L’effet de surprise fut tel qu’on le soupçonna pendant quelques mois encore de n‘avoir pas abdiqué. La principale raison était que pendant des années, malgré nos injonctions et objurgations, il avait laissé planer le doute sur une éventuelle troisième candidature, mère de tous les maux, renvoyant du reste de sa coalition tous ceux qui se prononçaient contre cette initiative scélérate.
En attendant dans deux mois, il ne sera plus président de la République. Une délivrance ! Sortir de ce cycle de troisième mandat dans lequel il nous avait enfermés, entamer la refondation dont nous avons besoin. Fermer cette parenthèse qui nous a fait beaucoup mal. Voilà les priorités. Certains me rétorqueront si ce n‘est lui cela pourrait être son frère – comprenez Amadou Ba –. Nous savons que dès que ce dernier sera aux commandes, il n’aura de cesse que d’effacer Macky de la scène publique comme Gottwald le fit de Clémentis sur la photo[3]. Pour l’heure, Amadou Ba joue au jonc, plier sans rompre car il sait que sans Macky et son appareil Benno, il n’ira de façon sûre, nulle part.
Se mettre donc sous sa coupe, avalant des couleuvres ça et là, – les sorties intempestives de ses camarades de parti laissent peu imaginer qu’elles n’aient l’aval du boss de l’APR – et épaissir son cuir restent donc sa posture. Avec un peu de chance, il pourrait peut-être remporter la mise. Mais rien n’est certain. A l’évidence le lest Macky le plombe, toute la question est de savoir jusqu’à quel point !
En termes de certitude, en 2024 la rue Mermoz où habite le président sera (re)livrée à la voie publique. L’air y sera assurément plus pur : Point de pétarades de grosses motos, ni de manoeuvres de véhicules de protection/répression en perpétuel mouvement. Être voisin du président n’a cependant pas que des inconvénients : certains riverains avaient suspendu leur service de gardiennage individuel. La gendarmerie nationale veillait sur la rue. Leur sécurité aux frais du contribuable. Il n’y a pas de petits bénéfices. Tout est bon à prendre. Fini tout cela, ils devront revenir à la dure réalité de la vie sans privilèges. Je ne sais pas si les voisins immédiats, délogés pour raisons de sécurité contre forte compensation je présume, seront contents de retrouver leur demeure après une si longue absence. Ils trouveront que leur rue a bien changé. Elle est pavée et refaite à neuf. On y roule pas on y glisse comme sur un coussin d’eau. Au départ les cars rapides avaient voulu en faire un itinéraire bis pour rallier Ouakam mais je présume que la propreté des lieux et la présence de gendarmes bien visibles (les chauffeurs de « car rapide « n’aiment pas les gendarmes) ont dû les dissuader d’établir cette rue comme voie secondaire car je ne les vois plus.
La fin d’année est propice à l’esprit de digression. Où en étais-je ?
Tout le monde attend que Macky ne soit plus président en mars 2024. Etonnamment que Macky ne soit plus président semble avoir plus d’intérêt que qui sera le nouveau président. La certitude qu’il ne sera pas président l’emporte largement sur la curiosité de qui le remplacera. On redoute les heurts et le chaos qui pourraient naître de cette dernière campagne mais comme toujours on pense qu’on s’en sortira même si on ne sait pas trop comment. La résignation d’aujourd’hui sur les manquements de ces derniers mois : une justice aux ordres, une DGE figée dans une position hiératique de vassalisation à l’exécutif refusant d’appliquer les lois, n’est soutenable que parce qu’elle est perçue comme un contre feu à une espérance que l’on chérit de tous nos coeurs et qu’on sait qu’elle adviendra car on sait qu’il ne sera plus président en mars 2024. C’est toute la force de l’espoir, comme d’ailleurs celle qui fait emprunter des chaloupes à des milliers de jeunes pour rejoindre l’Europe.
Amadou Ba comme solution de rechange reste leur solution qui risque de ne rien changer s’il ne change pas. Nous ne pouvons pas nous en satisfaire car il nous faut une refondation et non une continuité. Ce verdict est sans appel.
Alors quel destin attend Macky ?
Devenir une ombre misérable qui aura besoin de l’ombre pour se protéger ? – Cette ombre que lui a proposée Macron et qu’il a acceptée en public alors qu’il est encore président du Sénégal – une sorte de destin à la Fouché à la différence qu’il gardera le titre ‘ d’« ancien président » et il ne sera certainement pas sans fortune. Par contre, il pourrait être sans importance. Jugez-en !
On parlera de lui dans la postérité en faisant référence au billet de 500 frs CFA ou en disant que « Deukk bi deffa Macky » pour dire que les temps sont durs, qu’on est dans la dèche. Une métonymie venait de naître. N’est-ce pas pervers et contradictoire d’aller acheter « son fondé »[4] du soir avec un « macky »[5] ? Idrissa Seck, cynique en diable avait débusqué l’anomalie et l’avait raillé en disant que le legs de Macky Sall se résumait au plus petit billet de notre monnaie. Et pourtant le camp majoritaire aurait pu rétorquer que Che Guevara incarnait la petite pièce de 3 pesos et que les Cubains prenaient le bus avec un « Che ». La valeur du billet peut être inversement proportionnelle à la valeur de la personnalité. C’eut été la bonne réplique à Idy. Mais cela aurait été un autre débat.
Je m’imagine la vie sans Macky. Je resterais surement quelques mois avant de « m’adapter » à la nouvelle figure qui arrivera. Il était devenu le sujet de la plupart de mes articles. Je serai sevré de « matière première » pour ainsi dire. Je m’y ferai.
En attendant, j’attends son dernier message à la Nation pour ce 31 décembre 2023. Cette fois je regarderai et j’écouterai car il y aura une part de lui dans le texte. La révélation de la croyance de Mitterrand, l’espérance de Senghor, quel sera le dernier mot de Macky ? Comme disent mes amis anglo-saxons : « I can’t wait »[6]
D’ici là, joyeuses fêtes et bonne année !
Dr C. Tidiane Sow est Coach en communication politique.
[1] LS SENGHOR : discours du 31 Decembre 1981
[2] Attendre et voir
[3] Milan Kundera: le livre du rire et de l oubli
[4] bouillie de mil qu on vend dans la rue et qui devenue le repas du pauvre
[5] billet de 500 frs CFA
[6] Je suis impatient de connaitre la suite.