De nos jours les politiques font peu de promesses. Le plus souvent, ils simulent ou dissimulent. Cette pratique est si répandue que ses adeptes l’ont érigée en art sur la scène politique.
Confrontés à différentes situations, les acteurs ne renoncent pas à s’afficher, à fendre les foules mais ils ne veulent plus s’exposer, sous peine « d’être la risée » du monde. Le Var est sans pitié !
Ainsi, s’arrangent-ils du mieux qu’ils peuvent à être fidèles à la « parole donnée » ! Mais justement quelle est cette « parole donnée » dès lors qu’elle est volubile, évasive, saccadée et dépourvue de consistance. Ils s’amusent à ruser avec les circonstances pour séduire les gens.
En apparence, ils feignent de se donner à tous. Or en réalité, ils ne se donnent à personne d’autre qu’à eux-mêmes ! En clair, les époques changent ou diffèrent. Somme toute, les recettes d’hier restent les mêmes.
Ce qui change c’est l’échelle du temps. L’action politique revêtait une telle dimension qu’elle se préparait longtemps à l’avance. Chaque acte posé avait une signification propre. En les agrégeant, ils révélaient une pensée, une réflexion, une démarche.
Les réunions en assemblée étaient des creusets de rencontres au cours desquels s’échangeaient les « bonnes et belles paroles ». Elles ne blessaient pas. Par leur profondeur et leur puissance d’évocation, elles véhiculaient des messages pleins d’enseignements.
Selon les circonstances, ces paroles étaient piquantes ou mordantes, mais jamais offensantes ni vulgaires. De Senghor à Lamine Guèye, de NGalandou Diouf à Ibrahima Seydou Ndao, de Mamadou Dia et Valdiodio (Waly Diodio) à Maurice Guèye et Émile Badiane, le pays disposait d’une brochette d’hommes politiques brillants, séduisants et très convaincants. Ils ne se donnaient pas en spectacle. Le sérieux les caractérisait.
Tous s’accordaient à considérer le peuple sénégalais comme la source de toute légitimité politique. Il inspirait le respect pour sa résilience aux chocs exogènes et sa vaillance, notamment dans les travaux champêtres avec des instruments très rudimentaires.
Mais leur prise de parole en public était tout un spectacle, un art consommé de convoquer les mots pour enthousiasmer les assistances avec une trame pédagogique éprouvée.
Les propos sonnaient rarement faux parce que les hommes politiques d’alors, toutes obédiences confondues, tenaient à leurs rangs respectifs. Ils s’évertuaient à être authentiques pour ressembler aux populations qui, conquises ou désarçonnées, n’en saluaient pas moins les efforts de proximité.
Avec tact et panache, les dirigeants de l’époque pouvaient exprimer sans excès leurs divergences. Ils avaient en commun le Sénégal qui « pouvait leur arracher des larmes ». Mieux, le souci de préserver la cohésion sociale les incitait à la tenue et à la retenue. Ils furetaient les interrogations politiques auxquelles ils apportaient, avec finesse, des réponses tout aussi politiques.
L’aspiration au pouvoir n’occultait pas l’éthique de responsabilité. Ils tenaient compte de l’avenir pour ne pas mettre en péril la vie des générations futures. Or l’accaparement presque boulimique d’aujourd’hui contraste étonnamment avec la sobriété de la classe dirigeante d’alors.
Elle était dans une disposition préventive. Un tel état d’esprit ne prévaut plus de nos jours. Et d’ailleurs les rares à être catalogués « honnêtes et propres » n’attirent pas les foules qui se passionnent désormais pour les joutes verbales, les diatribes, les quolibets et les « dénonciations calomnieuses ».
Ces mêmes foules ne retiennent plus rien des discours mais assimilent et mémorisent les formules à l’emporte-pièce prononcées par les orateurs du jour. Et Dieu sait combien ils sont nombreux.
En monopolisant la parole, ils orientent les opinions. Ils deviennent des « vedettes » courtisées pour leur talent oratoire et sillonnent les villes et les communes à l’invitation des « chefs locaux » en mal d’audience. Cette espèce est en voie d’expansion. Elle participe du décor politique.
Par des arguties, elle est capable de relayer le message en l’édulcorant pour sauver le messager en panne d’initiatives. On assiste à l’émergence d’individualités qui, par leur envahissement de la scène, finissent par devenir acteurs à la place des acteurs. Ils peuplent la scène et y prennent goût.
Le ver est-il dans le fruit ? Vaste équation qui, pour dire vrai, demeure une exception sénégalaise. Nombre d’entre eux ont de la dèche sur le visage. Désormais, on parle moins. Certains se cachent pour jouir d’une immunité factice.
D’autres, plus nantis, s’affichent avec ostentation et distribuent des billets de banques dont l’épaisseur le dispute à la fraîcheur, réduisant la foule au rang de moyen, autrement dit de « marche pied » pour accéder à d’autres sommets.
Entre ce type d’ambition et les espoirs qu’ils nourris se faufilent des citoyens pris pour des individus dépourvus de dignité. Ils massifient les caravanes et les marches par l’effet nombre. Ils se livrent au plus offrant moyennant des « frais de bouche », des babioles, quelques effets vestimentaires, une laborieuse mobilité et une ristourne financière pour « services rendus ».
Pour mobiliser du monde, tous les arguments sont sollicités : la famille, le clan, la région, le terroir, l’ancêtre commun, la confession, le guide (en religion) ou le patriarche (vénéré pour son âge).
Ces facteurs d’appartenance rassemblent et divisent à la fois. Par moment une rivalité, servie par des intérêts politiques divergents, surgit et émiette les forces. Le « bras de fer » qui s’ensuit alimente une chronique politique entretenue avec une succession d’épisodes au grand bonheur des rentiers occasionnels et des « spectateurs » qui s’en délectent sous le caïlcédrat et se nourrissent d’anecdotes foisonnantes et futiles à la fois.
Faut-il voir dans ces furtives ambiances des prétextes pour sortir ces zones isolées de leur torpeur habituelle ? La vie renaît avec les interminables convois qui déchirent la brousse. Mais ces entrelacs de visites de proximité ne font pas la politique. Au contraire.
Il faut même y voir un signe d’affaiblissement de notre modèle démocratique. Comment s’explique la prise de distance des citoyens vis-à-vis de la politique ?
Le vote, éminent acte de citoyenneté, a perdu du terrain. Sa valeur s’étiole même. Si le même comportement est décelable chez nombre de votants potentiels, le choix politique faiblit à son tour.
Pour s’en convaincre, le fichier électoral est édifiant : le nombre d’inscrits correspond presque au tiers de la population totale. Tandis que les votants moins les abstentions équivalent à la moitié du corps. Si bien que les citoyens votent peu. Équation ponctuelle ?
Les politiques sont avertis : faute de passion et de vivacité, il y aura de moins en moins d’ingrédients pour animer la vie politique et surtout mobiliser l’électeur. Autant dire que l’indifférence menace la démocratie.