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La Terreur Qui SÉvit Au SÉnÉgal

7 février 2024, 04 jours après l’annonce du report de l’élection présidentielle, prévue le 25 février 2024 par le président Macky Sall, les rues de Dakar, la capitale sénégalaise, sont fluides.

En lieu et place des embouteillages habituels et des klaxons caractéristiques du paysage urbain, les voitures circulent sans encombres. Une personne qui ne suit aucun média, ni ne sait rien de l’actualité politique du pays pourrait facilement qualifier la ville de calme, d’apaisée et de tranquille.

Certains s’en offusquent même sur la toile : « comment est-ce que les Sénégalais peuvent vaquer à leurs occupations comme si de rien n’était ? » « Pourquoi les gens ne descendent-ils pas dans les rues? » « Les Sénégalais sont passifs, il ne va rien se passer et ce report de Macky passera comme lettre à la poste », soulignent beaucoup avec réprobation et indignation. « On pensait que le pays serait à feu et à sang. Qu’une foule de personnes s’en irait vers le palais pour montrer leur indignation et résister à ce coup d’Etat constitutionnel! », appuient d’autres, le cœur lourd de désolation et de désespoir. De ces complaintes, j’entends un cri, une souffrance, un refus même d’accepter ce qui se passe : « ce n’est pas possible. Mais dites-moi que ce n’est pas possible. Ça ne va tout de même pas passer. »

« Ce n’est pas possible… Ça ne va tout de même pas passer », une phrase longtemps répétée devant les exactions du Président Macky Sall ces douze dernières années. Déclaration de patrimoine de 12 milliards à son arrivée au pouvoir alors qu’il a été fonctionnaire de l’État tout au long de son parcours? « Ce n’est pas possible ». Traque des biens mal acquis pendant les deux ans qui ont suivi son élection? « Ce n’est pas possible ». Référendum? « Ce n’est pas possible ».

Introduction du parrainage dans le processus électoral ? « Ce n’est pas possible ». Faire volte face pour effectuer un mandat de 7 ans au lieu de 5 comme initialement promis? « Ce n’est pas possible ». Réduction de l’opposition à sa plus simple expression à travers l’arrêt des opposants, la dislocation du parti socialiste (PS), l’achat des consciences, la promotion de la transhumance, la restriction des libertés de manifester et d’expression et l’élimination des leaders politiques dans son propre parti : « ce n’est pas possible. » Jusqu’au troisième mandat où pour une fois, beaucoup ont alerté que c’était bel et bien possible. Là, coup de surprise : « je ne me présenterai

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pas pour un troisième terme ». Cette décision acclamée et félicitée des quatre coins du monde a aussi créé une bouffée d’oxygène dans le pays. Le suspens, maintenu pendant trop longtemps, a cédé place à un sentiment d’espoir : l’espoir d’une fin de règne avec tout ce que cela comporte comme peurs et comme foi en de meilleurs lendemains.

Le calme revenu après cette décision de ne pas poursuivre un troisième mandat devient un nid propice au renforcement de la répression : les arrestations reprennent en masse en commençant par Ousmane Sonko, le président du parti les Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité, Pastef-Les Patriotes en abrégé suivi des cadres de ce même parti. Coup de maître : le parti le Pastef-Les Patriotes  lui-même est dissous. Certains membres du parti s’exilent pour échapper au destin de leurs camarades. La non-poursuite de ce troisième mandat coûte cher à bon nombre de nos concitoyens – Mais puisque Macky part de toute façon et que les élections sont proches, à quoi bon contester maintenant ? « Lou metti yaggoul, diekh na ba paré. – L’épreuve n’est pas longue, c’est bientôt fini. »

Pendant ce temps, le nombre de jeunes qui choisissent la voie de l’immigration clandestine augmente. En pirogue ou en avion par la voie du Nicaragua, des communautés entières se vident de leurs jeunes qui, certains de n’avoir aucune perspective dans leur propre pays, choisissent la fuite vers l’étranger à leurs risques et périls. Périr, beaucoup d’entre eux le font en mer. La toujours, on compte les jours : « Lou metti yaggoul, diekh na ba paré. – L’épreuve n’est pas longue, c’est bientôt fini. » Pendant ce temps, des mères pleurent leur fils ou fille en prison et non jugés, des épouses pleurent leurs époux. D’autres, leurs amis, frères, sœurs, cousins, tontons, collègues, voisins. La déchirure est profonde dans le cœur des familles divisées, des vies confisquées, des lendemains arrêtés pour seule cause : l’expression d’une perspective différente, d’un mécontentement assumé par rapport à leur chef de l’État. Pire, ils se voient traités de « terroristes », de « criminels », d’ « islamistes », de « personnes coupables d’appel à l’insurrection », de « fauteurs de trouble », de « jihadistes » pour ne citer que ces quelques exemples. Diabolisés, criminalisés, déshumanisés, leur vie est présentée comme sans valeur, leur histoire comme inexistante, leur personne comme éliminable.

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Ce récit maîtrisé d’un pays en danger, d’une République attaquée, « de forces occultes » contre lesquels il faut lutter en mobilisant la « pleine force de l’État » est tenu, télévisé et plébiscité par le président de la République, chef suprême de l’armée et commandant des forces de l’ordre, qui, prenant sérieusement leur mission de protéger leur pays en danger, voit en toute personne qui affiche une contestation minime : un « dissident », un « criminel à maîtriser ».

La violence n’arrive pas du jour au lendemain. Elle a des fondements et un mode de fonctionnement. Elle se construit dans les mots utilisés, les paroles échangées et les histoires partagées. Ces histoires répétées deviennent des imaginaires qui s’ancrent dans les consciences et donnent vie à des actions menées sans même qu’on s’en rende compte. De la même manière, la peur est une émotion contagieuse. Elle prend racine dans notre cœur et se mue dans le corps. Elle attaque les membres, fragilise la voix jusqu’à ce qu’elle devienne aphone et paralyse le reste du corps petit à petit, là encore sans même qu’on s’en rende compte. Il est là le drame de ce que nous vivons : ce calme apparent n’est pas un signe de faiblesse ou de lâcheté comme le dénoncent certains, c’est le miroir de la terreur qui s’est installée tout au long de cette décennie et qui nous a atteint jusqu’au plus profond de notre être. C’est le miroir d’une lassitude et d’un désespoir inouï. « Lou metti yaggoul, diekh na ba paré. – L’épreuve n’est pas longue, c’est bientôt fini » : la nôtre ne semble pas finir. Devant ce constat effrayant, cette incertitude concertante, ce doute qui jaillit, la force de l’action est diminuée. L’envie même d’agir s’éteint.

La foi s’amenuise.

Il est là l’enjeu de ce moment : restaurer notre foi. Notre foi que le pouvoir du président Macky Sall est bel et bien fini et que son règne est terminé. La foi que justice sera rendue à tous les prisonniers politiques qui peuplent nos prisons. La foi que les besoins d’expression, de sécurité, de choix, d’autonomie, d’harmonie, de paix, de stabilité seront assouvis. La foi, finalement, qu’au bout de l’épreuve, se trouve bel et bien la libération et que notre dignité, bien que bafouée, n’est pas morte.

En écrivant ces lignes, j’ai sincèrement foi que le président Macky Sall en tant qu’être humain a les mêmes besoins : les besoins de sécurité et de protection pour lui et sa famille, les besoins de choix, d’autonomie, d’impact, d’influence, de reconnaissance et de contribution. Contribuer à la construction d’un Sénégal prospère et émergent », pour reprendre ses mots. Besoin qu’il s’est évertué de remplir à sa manière ces douze dernières années. Ce moment pourrait nous faire oublier l’ensemble de ces réalisations sur le plan des infrastructures, mais même si ce n’est qu’une journée, il s’est évertué à sa manière d’apporter sa pierre à l’édifice. L’idée n’est pas ici de défendre ses actions ou de justifier les dérives, mais juste de reconnaître son humanité. Ces besoins sont valides comme le sont ceux du peuple sénégalais. Nul n’est au-dessus de l’autre. Le reconnaître n’invalide pas notre peine ni n’efface nos souffrances. Le reconnaître, c’est différencier l’homme des actions qu’il entreprend. C’est aussi souligner que la stratégie que le président Macky Sall a employée et continue d’employer pour remplir ses besoins est en conflit manifeste avec toutes les valeurs qu’il a eu à défendre avant son accession au pouvoir, les fondements de notre démocratie et les besoins du peuple qui l’a élu et qui aujourd’hui veut le voir partir. Mais le déshumaniser reviendrait à agir de la même manière que lui et à faire le même choix que celui que nous condamnons, perpétuant ainsi un cycle de violence sans fin.

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Je finis donc par ce message : de grâce président, il n’est pas trop tard. Lorsqu’on a un besoin donné, on peut penser qu’il n’y a qu’une seule manière pour y arriver, mais cela n’est pas vrai. À tout moment, il y a toujours plusieurs options qui s’offrent à nous, plusieurs voies et choix possibles. Une fois un choix effectué, on peut aussi penser qu’il est trop tard pour revenir en arrière. Par peur et par honte, on peut continuer à s’enfoncer dans le chemin initial, incapable de changer de cap en pensant que c’est déjà trop tard. Seulement, il n’est jamais trop tard. On peut toujours changer de cap et choisir autrement. De la même manière que chacun d’entre nous peut choisir différemment, vous le pouvez aussi. Pour votre paix, celle de vos concitoyens et celle du Sénégal dans son ensemble, de grâce, choisissez autrement. « Lou metti yagg na, diott na mou diekh – L’épreuve a duré, le temps de la fin a sonné. »







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