Force est de constater que le Sénégal est plongé depuis quelques jours dans une crise qu’on peut qualifier de tous les noms : institutionnelle, politique, sociale et, si elle dure, sûrement économique. Tout cela est dû non pas à des dysfonctionnements entre deux institutions que sont la Justice et le Parlement ! Personne n’a vu ni senti ces dysfonctionnements !
En fait la crise s’est installée depuis la prise, à une vitesse extraordinaire, plus rapide qu’une procédure d’urgence , « astronomique » de deux décisions initiées par le Président et sa majorité politique mécanique à l’Assemblée nationale :
portant convocation du corps électoral le 25 février 2024, signé la veille du démarrage de la campagne électorale ;
– La proposition de loi votée au forceps, repoussant les élections au 15 décembre 2024 et prorogeant le mandat du Président de la République, après avoir expulsé de l’Assemblée nationale « manu militari » les députés de l’opposition.
Ce sont ces deux décisions qui consacrent le COUP D ETAT INSTITUTIONNEL et sûrement LA CRISE POLITIQUE ! Ceci dit pour bien situer les responsabilités de la situation que nous vivons.
Toute la responsabilité incombe au régime en place
Car c’est faire du poncepilatisme de dire que l’initiative de la proposition de loi en question incombe à un autre groupe parlementaire de l’opposition. Car sans le soutien du groupe parlementaire de BENNO et du Président de la République, la procédure ne serait pas allée avec cette célérité extraordinaire: adopter en trois(3) jours une résolution de mise en place d’une commission parlementaire et un projet de loi modifiant la Constitution ! Chapeau ! Cela ne s’est jamais vu au Sénégal, de mémoire de parlementaire ! (Que je ne suis pas d’ailleurs) !
Reconnaissons qu’actuellement toute la population sénégalaise, sa classe politique, la société civile, les partenaires sociaux (syndicats, patronats), l’intelligentsia universitaire, les autorités religieuses et traditionnelles, de même que la Communauté internationale (CDEAO, Etats-Unis, Union Européenne, Allemagne, la France) fustigent et condamnent les décisions prises, notamment le report des élections. Toutes ces entités appellent au respect du calendrier électoral et du droit en général.
Rarement (pour ne pas dire jamais) on a vu un pareil consensus et concordance de points de vue.
De l’autre côté, le régime du Président Macky Sall de plus en plus isolé, s’entête dans ses positions.
Et paradoxalement après avoir pris ces décisions au forceps, et sans consultation véritable ni large de la classe politique, le Président Macky Sall appelle à un Dialogue National ! Cette situation ne saurait durer longtemps sans préjudices dans la vie sociale et économique de notre pays.
Comment sortir de cette crise qui s’est réellement installée ? Si chaque partie fait des efforts, et met l’intérêt général de la Nation, la nécessité d’une paix sociale au-dessus de ses intérêts et ambitions partisanes ou personnelles, des solutions de sortie de crise pourraient être trouvées. Cela suppose aussi que toutes les parties acceptent les préceptes et principes ci-dessous :
I. PRECEPTES ET PRINCIPES A RESPECTER
I. 1. Le respect des lois et de la loi et de la Constitution
Cela entraine la nécessité d’annuler le décret et la loi constitutionnelle allongeant le mandat du Président de la République. Tous les spécialistes de bonne foi reconnaissent que ces textes adoptés sont illégaux et anticonstitutionnels aussi bien dans la forme que dans le fond et ne respectent pas le droit international (directives de la CDEAO). En plus elles sont inopportunes vu la condamnation générale au niveau national et international. Nous espérons que les hautes instances juridictionnelles qui ont été saisies prendront leurs responsabilités. L’incompétence de ces deux juridictions ne saurait être évoquée ni être des réponses de la part de celles-ci.
Ces deux institutions doivent considérer qu’elles ont une responsabilité sociale historique !
I. 2. La nécessité de respecter les décisions du Conseil Constitutionnel
Le Conseil Constitutionnel a examiné les recours des candidats dits « spoliés » et pris des décisions. Lesdits candidats devraient donc accepter ses décisions et renoncer à toute contestation de ces décisions. Aucun autre recours contre les décisions du Conseil Constitutionnel n’est possible.
Les dysfonctionnements du système informatique de contrôle des parrainages ne sauraient être une source de remise en cause des décisions du Conseil Constitutionnel.
Tous les candidats ont été « victimes » de ces dysfonctionnements dans des proportions plus ou moins grandes. Aussi faut -il accepter qu’il y a eu un égal traitement des candidats.
On pourrait retenir d’évaluer et d’améliorer ce système de contrôle des parrainages, après les élections de 2024. Il en est de même de Karim Wade et Rose Wardini qui n’ont pas respecté leur déclaration sur l’honneur. Ils devraient même être poursuivis pour parjure voire haute trahison.
I. 3. Pas de prolongation du mandat de l’actuel Président de la République.
Le mandat de l’actuel Président de la République se termine le 02 avril 2024. Il ne saurait être prolongé.
I. 4. Maintien en principe de la date des élections du 25 fevrier 2024
C’est possible :
– soit, en acceptant de perdre quelques jours de campagne électorale ;
– soit, en reculant d’autant de jours la date des élections sans sortir de la date du 02 avril date de passation de service entre le Président sortant et le Président élu.
1.5. Libération de tous les détenus suite aux évènements de mars 2021 et juin 2O23
Toutes les personnes arrêtées au cours et suite à ces évènements sans avoir été jugées jusqu’à présent (les jeunes, les leaders d’opinion, etc) devraient être libérées. Cette décision participerait à l’apaisement social et faciliterait le projet de dialogue.
II. QUID DU DIALOGUE ?
Sur cette question la classe politique et la société civile semble divisée. La légitimité de l’appel et la sincérité de l’initiative sont remises en cause. Qu’on l’appelle Dialogue ou Concertation, une rencontre autour de ces questions avec les partis politiques, les associations de la société civile, les organisations de supervision et de contrôle des élections est opportune et pourrait être organisée dans les meilleurs délais :
– Soit, sous l’autorité d’une équipe de trois personnalités neutres, connues pour leur équidistance des « chapelles » politiques, et à la bonne réputation reconnue : deux hommes et une femme.
– Soit, à défaut, faire appel à une organisation internationale compétente et expérimentée dans ce genre de situation de crise.
En aucun cas cette rencontre ne saurait être initiée et conduite par le Président de la République actuel ou des responsables de la majorité présidentielle.
Étant à la source des principaux problèmes qui se posent, et étant le chef du camp de la majorité, il n’est pas neutre, même s’il clame tout haut et répète qu’il n’est pas candidat aux élections comme il l’a dit le 03 juillet 2023.
Aussi ne saurait-il organiser et diriger un quelconque dialogue !
Pathé NDIAYE
Ex Directeur du Bureau Organisation et Méthodes (B.O..M)