L’histoire du colonialisme est intimement liée à la violence extrême, à l’humiliation, au racisme et aux génocides vis-à-vis des peuples colonisés. Les empires coloniaux, qu’ils soient français, britannique, portugais, hollandais, allemand ou encore arabo-musulman, ont toujours développé des stratagèmes – généralement vernis de terreur et à travers des structures armées – pour le contrôle des sauvages colonisés. En effet, la répression était un langage privilégié dans les rapports entre les colons et les populations colonisées.
S’agissant des colonies d’Afrique, il est important de rappeler que le système colonial a d’abord, dans une configuration hybride des compagnies coloniales, érigé les armées avec des prorogatifs de la police notamment de maintien d’ordre, d’organisation du cadre de vie et de l’espace public. Pour le dire autrement, ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui la police n’existant pas, c’était à la sphère de l’armée que revenait la tâche d’organiser l’ordre public dans les colonies. C’est ce qui a conduit, à la création des premières structures policières dans les colonies d’Afrique, à un enchevêtrement entre l’organisation militaire et le fonctionnement de la police.
La création des premières compagnies de police concorde avec la volonté des empires coloniaux, pour la plupart, de structurer et d’organiser les administrations coloniales. Et pour ce qu’il en est du colonialisme français, la volonté d’étendre et d’intensifier l’empire sur le continent va entrainer une forme de duplication, dans une relative opacité, de la structure de l’administration métropolitaine dans les colonies. En cela, des segments importants tels que l’enseignement, la sécurité, l’administration territoriale entre autres vont faire l’objet de réformes dans le but de la mise en valeur des colonies pour mieux servir la métropole.
Cette reproduction du modèle d’organisation de la métropole dans les peuples esclavisés porte en elle l’héritage de la conception raciste des différents régimes qui se sont succédé dans le royaume français. En effet, au XVIIe siècle, l’entrée de l’empire français dans la traite esclavagiste fut parsemée par une logorrhée de lois coloniales, racistes et ségrégationnistes administrant ainsi la vie des Noirs à la métropole, puis dans les colonies. Toutefois, en 1777, la création de la police des Noirs, sous l’impulsion de l’ancien lieutenant à Paris et ministre de la Marine d’alors, Antoine de Sartine, pendant la parenthèse de la monarchie de Louis XVI, constitua le point d’orgue de la politique raciste et exclusionniste vis-à-vis des Noirs, vaguement appelée personne de couleur. Cette loi intervint après les deux textes de lois de 1716 et 1738 qui ont été des échecs.
Dans cette législation, il était clairement stipulé l’interdiction formelle aux esclavagistes en goguette, sous peine d’amende, de ramener avec eux sur l’étendue du territoire de la métropole « aucun Noir, Mulâtre ou autres Gens de couleur de l’un ou de l’autre sexe ». La seule marge que cette loi accordait aux colons ne prévoyait, dans les cas exceptionnels, que les « Noirs, Mulâtre ou Gens de couleur », une fois dans la métropole, soient parqués dans ce qu’il convenait d’appeler « un dépôt des Noirs » en attendant que leurs maitres reprennent le chemin du retour avec eux.
La France, dans une logique de conserver ses intérêts dans ses anciennes colonies, a su, en intelligence avec les régimes locaux après les indépendances africaines, maintenir ses systèmes et doctrines policiers fortement ancrés dans la violence à travers ce qu’on appelle pudiquement « coopération ». D’ailleurs, le service ad ‘hoc de la police française, créée en 1961 par Pierre Lefuel (1921-2010), ancien directeur de la Sûreté dans l’actuel Burkina Faso, le Service de Coopération Technique Internationale de Police (SCTIP) aura la responsabilité de la formation des polices nationales dans les anciennes colonies de l’empire français. Et à ce titre, l’historien Romain Tiquet dira : « Le SCTIP, tant par ses missions que par le personnel employé, a orienté les pratiques des futurs policiers selon des schémas professionnels et procéduriers propres à la police française, et proches des anciens choix du pouvoir colonial (…) permettant à l’ancienne métropole de conserver son influence dans son « pré carré » africain ». Cette structure, fortement pensée et conçue sur la mesure des méthodes coloniales, était majoritairement chapeautée, comme le soutient l’historien Florian Bobin, par les officiers ayant servi dans l’empire colonial français.
La police nationale sénégalaise, historiquement, on peut dire, est née avec l’arrêté 4313 du septembre 1949 qui attribuait pour la toute première fois le titre de Chef de la Sûreté de la Délégation à un chef local par les services coloniaux de police. Toutefois, il a fallu attendre l’accession à la souveraineté internationale du Sénégal, en 1960, pour assister à la structuration de la police nationale avec le décret 69.1361 du 6/12/1969 et qui a conduit à une large organisation de la Sûreté nationale d’alors, avant de devenir aujourd’hui Direction générale de la police nationale.
Ainsi, s’il est vrai que ce corps, sous tutelle du ministère de l’Intérieur, s’est toujours voulu la parure d’un service professionnel respectant les droits humains, il a longtemps été imprégné par des usages et réflexes du système colonial. D’ailleurs, dès l’indépendance du Sénégal, la police servit de bras armé au pouvoir de Léopold Sédar Senghor sous les manœuvres de Jean Collin, qui fut ministre de l’Intérieur. Ancien fonctionnaire dans l’empire colonial français en Afrique et neveu par alliance de Senghor, Jean Collin, redoutable et affuté, avait son ombre qui planait au dessus de la direction générale de la police dont le Groupement mobile d’intervention (GMI), réputé pour ses « méthodes violentes » à l’égard des populations locales. Couvert par Senghor qui avait une conception violente et carcérale du pouvoir, les forces de police, sous le commandement de Collin, semaient la terreur avec une répression systématique et un lot d’arrestations de toutes les dissidences du régime : la traque de 63, 68, la chasse des militants de l’éphémère parti politique And-jëf, les assassinats maquillés, entre autres violences dont les forces de polices étaient les sentinelles.
Ce versant vers la répression et la violence reste une matrice essentielle de nos forces de polices et son héritage colonial ne saurait soustraire leur responsabilité. Ces dernières années, en guise d’illustration, avec l’appui des réseaux sociaux, l’on est devenu plus convaincu et plus renseigné sur le réflexe de l’humiliation et de la répression des forces de police vis-à-vis des autochtones, leurs concitoyens.
Le vocabulaire martial (dégage, minable, etc.) lors des interpellations, les humiliations et la violence pendant la période du couvre-feu décrété lors de la Covid-19, les interventions musclées et sanglantes dans les universités publiques, les morts dans les manifestations politiques sont autant d’expressions de la terreur dans les rapports entre les forces de police et les populations.
Plus d’une soixantaine d’années après les indépendances africaines, il urge de repenser les modules de formation des différents corps qui composent nos Forces de défense et de sécurité. Il est possible que les relations entre ces corps et les populations soient plus respectueuses des droits des citoyens et de la dignité humaine.
Kamou, mlkamou94@gmail.com