Les Sénégalais qui soutiennent les errements de Lamtoro Sall ne se trompent-ils pas eux-mêmes ou sont-ils dans une servitude forcée ? Comment expliquer un tel aveuglement des troupes lui étant encore acquises alors que la situation malgré moult contorsions et autres pirouettes de haute voltige est somme toute désespérée pour leur mentor?
Plus les contraintes sont fortes, plus ses inconditionnels s’adaptent et investissent un rôle qu’ils estiment approprié d’endosser.
Dans ce jeu de faux-semblants, il est intéressant de voir la stratégie mise en œuvre pour justifier l’inique, falsifier les faits et parfois même les documents.
Cette fin de règne du régime yaakariste est intéressante à étudier car, comme toute dictature, elle contraint les individus à des postures en leur imposant un carcan rigide.
Dans ce climat, tout le monde a peur, de tout. Du contrôle, de la surveillance, des personnes, des maisons, des murs dont on croit qu’ils ont des oreilles, de leur ombre …Pire encore, les gens ont peur d’eux‑mêmes, peur de tomber à cause d’un mot, d’une confidence qui porterait atteinte à sa Majesté le Commandeur. Peur surtout du lever du coude princier qui peut à jamais hypothéquer leur tranquillité. Et ceci depuis que l’Ofnac a vu ses prérogatives considérablement renforcées et élargies. Puisque la structure dirigée par Serigne Bassirou Gueye peut désormais, par exemple, placer en garde à vue des présumés fautifs. Ceci rappelle que les affidés et proches du tyran n’en demeurent pas moins constamment dans la crainte d’un retournement et se voient mis au pas et leur loyauté réglée comme une horloge suisse.
Jusqu’où cette tyrannie envers ses propres troupes s’étend-elle, que désigne t-elle ?
La tyrannie désigne non seulement un abus de pouvoir quand il devient absolu et dominateur, un abus de pouvoir qui semble aussi défini par le pouvoir d’une personne donné dans ses caprices les plus arbitraires, dans ses passions les plus personnelles.
Le tyran est cette personne qui, du jour au lendemain, nous impose des passions différentes, et c’est à lui que l’on doit obéir. La figure du tyran est donc la figure d’une dérive du pouvoir – peut-être, inévitable, de tout pouvoir, quand tout pouvoir cherche à devenir absolu ; mais c’est aussi, une dérive personnelle, une soumission aux passions les plus personnelles d’un individu.
En réfléchissant à cette situation rocambolesque où le premier des Sénégalais a placé son pays, l’envie survient de montrer d’abord la réalité, voir comment ses partisans s’y adaptent, comment ils mentent, mais aussi comment ils perçoivent leur réalité, quitte à la travestir pour répondre à leurs propres angoisses.
Il est ainsi intéressant de voir le décalage entre la réalité du rapport de force et l’interprétation qu’en font les individus. Encore une fois, la réponse est apportée par les sciences sociales, en l’occurrence la psychologie : l’individu a besoin de rationalité, d’avoir des réponses cohérentes pour comprendre son environnement, quitte à en inventer.
Leon Festinger a théorisé le concept de dissonance cognitive : face à une réalité qui apparaît aberrante à l’individu, celui-ci essaie de rationaliser en trouvant une explication apparemment logique en se basant sur un postulat erroné.
Dans le cas présent, il s’agit de réinterpréter l’ordre de rester au pouvoir par tous les moyens alors que la situation semble de plus en plus désespérée et la défiance de l’opinion, de plus en plus forte. Or dans l’équation, la fidélité forcée des troupes envers Macky apparaît souvent comme un terme invariable.
La focalisation sur l’élection présidentielle, pierre angulaire du régime, produit des attentes démesurées envers un président pourtant non çandidat et donc limité dans ses marges de manœuvres – et ce malgré toute la rhétorique «jupitérienne» dont il peut faire usage.
S’ensuit certes un déclin de sa popularité et le repli de son cœur électoral avec la défection de quelques ténors de son parti, mais aujourd’hui encore, à l’aune d’un scrutin plus ouvert que jamais, que le prince veut remettre en question par un dialogue inclusif visant à reprendre tout le processus électoral, cette peur de défier le président reste la traduction logique du fonctionnement du système politique mackyste.
La métaphore du pétrolier increvable sur son erre.
« Ndox du baayi yoonam », à chasser le naturel, il revient au galop. La question est naturellement de savoir s’il aura les moyens de mettre en œuvre ses stratagèmes et selon quel calendrier.
Tous ces présidents qui ont goûté au pouvoir ne peuvent plus s’en passer, d’ailleurs les promesses de mandats limités à deux n’engagent que les crédules électeurs…
En la matière, on aura recours à la métaphore increvable du pétrolier sur son erre : il faut du temps et des miles au tanker pour infléchir son cap. En soi, aucune alternance n’a jamais suffi à changer la donne. Si quelques têtes tombent, la plupart des acteurs restent et les pratiques demeurent. De même, les systèmes de pouvoir en place sécrètent assez d’anticorps pour atténuer, voire anéantir, toute tentative de remise à plat. Le pire, c’est qu’ils font des émules même en France avec Macron qui s’est un moment mis à rêver pour lui-même d’un troisième mandat et qui a sorti de son fourreau, quelques téméraires acolytes pour plaider en faveur de cette forfaiture.
Que Macky Sall soit un fin manoeuvrier, cela ne fait aucun doute. De la même manière qu’il a su garder toutes les forces hétéroclites de Benno sous son giron pendant presqu’une décennie, il sait aisément comment gripper la machine du renouveau démocratique…
Certains pensent qu’il a une stratégie cachée. Autre idée qui émerge : Macky est sans doute mal conseillé. Il y a donc une incapacité générale de ses rangs à remettre en cause la figure charismatique de l’idole.
En tout état de cause, la peur de défier le dictateur est demeurée suffisamment forte pour amener des individus et pas des moindres à le soutenir dans ses manœuvres dilatoires et dérives démocratiques.
Khady GADIAGA, 25 février 2024