«En tant que découpeur de carte électorale, je peux avoir plus d’impact sur une élection que la campagne électorale… plus d’impact qu’un candidat. Quand, en tant que découpeur de carte électorale, j’ai plus d’impact sur une élection que les électeurs… le système est détraqué. » David Winston, consultant politique américain.
Introduction
En juillet 2021, la coalition politique au pouvoir a effectuée une modification unilatérale du Code Electoral en rejetant tous les amendements de l’opposition. Cette opération a permis d’organiser une révision des listes électorales de neuf (9) jours dont le résultat a été l’exclusion de 2 037 176 Sénégalais de la présidentielle de 2024. Suite à cette révision et la publication des listes électorales définitives, la prochaine étape du processus électoral, en vue du scrutin de 2024, est le redécoupage de la carte électorale.
Le redécoupage de la carte électorale, selon les objectifs et la méthodologie utilisée, peut affecter d’une manière significative la participation et l’égalité, et in fine le résultat final d’une élection. Autrement dit, le redécoupage électoral peut être réalisé pour favoriser l’expression d’un résultat en façonnant le nombre de lieu de vote (LV) ou centre de vote et de bureaux de vote (BV) de chaque commune ainsi que leur périmètre et localisation dans une élection à une circonscription unique telle que l’élection présidentielle. Un redécoupage électoral réalisé selon des objectifs politiques partisans est qualifié de « Gerrymandering » ou « Charcutage électoral ».
Il est donc crucial, en perspective de la présidentielle de 2024, de s’assurer que le redécoupage de la carte électorale a été effectué de manière transparente en respectant des principes d’équité mais surtout du cadre légal.
Dans cette perspective, l’objectif de cette étude est d’une part identifier les éventuelles biais et distorsions de la carte électorale de l’élection présidentielle du 24 mars 2024, et d’autre part, évaluer ses effets sur le résultat final. Enfin, elle vise à attirer l’attention de l’opinion publique sur cet enjeu crucial pour que les citoyens s’en emparent et se mobilisent pour contrôler la cohérence et l’objectivité de la carte électorale afin que les résultats du scrutin, soient le reflet de la volonté de la majorité des Sénégalais.
Problématique et question de recherche
Notre étude de la carte électorale de l’élection présidentielle 2019, a permis de démontrer que le redécoupage a été effectué de manière partisane, arbitraire et opaque par le Ministre chargé des élections. Sa rationalité électorale ne s’était exprimée que selon l’optimisation de son intérêt politique partisan dans la détermination du nombre de lieux de vote (LV) et de bureaux de vote (BV) par commune, leur périmètre et localisation en vue de cette élection présidentielle à circonscription unique.
La carte électorale a ainsi été réalisée uniquement en fonction des projections des résultats de l’élection présidentielle de 2019 par la coalition politique au pouvoir pour la gagner au 1er tour. A cet effet, elle fut modélisée à partir des résultats issus des élections législatives de 2017. L’objectif de réélire son candidat pour un 2eme mandat présidentiel constituait ainsi le fondement majeur de son action dans le redécoupage de la carte électorale.
En définitive, le résultat de l’action du Ministre chargé des élections dans le processus de redécoupage a été la production d’une carte électorale d’au moins 701 bureaux de vote fictifs, 1837 non localisables et 2102 abris provisoires impactant au moins 2 262 462 électeurs. En outre, 3550 bureaux de vote de moins de 300 électeurs dont 364 de moins de 100, ont été créés. Cette carte électorale a eu un impact significatif sur les résultats de l’élection présidentielle de 2019.
En perspective de la présidentielle 2024, il est à rappeler, que la coalition politique au pouvoir a annoncé depuis novembre 2022, son objectif de la gagnerau 1er touravec 3 000 000 de suffrages. Pour atteindre un tel objectif, il faut un nombre de suffrages valablement exprimés d’environ 5 500 000 sur un fichier électoral de 7 400 000 inscrits. Ainsi, le nombre de voix de toute l’opposition réunie ne devrait pas dépasser 2 700 000 au maximum. Ainsi, les résultats de la présidentielle 2024 devraient être selon leur projection, une victoire au 1er tour avec 54% des suffrages valablement exprimés et un taux de participation de 74%.
Il apparait de ce communiqué que la carte électorale n’a pas été publiée par le Ministre chargé des élections conformément aux dispositions de l’article L.66 qui dispose: «La liste des bureaux de vote sur l’ensemble du territoire national est définitivement arrêtée et publiée trente jours avant le scrutin par le Ministre chargé des élections sous la supervision et le contrôle de la C.E.N.A. Elle ne peut faire l’objet d’aucune modification.»
Le Ministre chargé des élections annonce plutôt une consultation par les plénipotentiaires désignés des candidats au niveau des préfectures. Et de fait, il est constaté que la carte électorale n’est visible ni sur le site web de la DGE, ni celui de la CENA. Une partie de la presse publie aussi des informations selon lesquelles elle n’est pas encore disponible.
Il est donc à conclure que la carte électorale pour l’élection présidentielle de 2024 n’a pas été publiée. Une violation de la loi électorale mais aussi un manque de transparence qui suscitent légitimement des interrogations sur un document dont le contenu a un impact capital sur l’issue de l’élection présidentielle du 24 mars 2024.
Il est à rappeler que l’article L.66 du code électoral qui encadre le redécoupage de la carte électorale donne une liberté totale au Ministre chargé des Élections de la réaliser selon ses propres critères et choix. En outre, il n’existe pas dans le Code Electoral de contraintes qui pourraient restreindre et limiter l’action du Ministre chargé des élections, si toutefois, il serait tenté par un « Gerrymandering ». Il est tenu tout au plus de recueillir l’avis consultatif des comités électoraux via les préfets, sous-préfets et les informer de ses décisions. Des avis qui ne le lie pas, ainsi, le Ministre chargé des Élections décide en toute discrétion de la carte électorale à réaliser.
En considérant tout ce qui précède, il est à s’interroger sur une éventuelle « gerrymandering » ou « charcutage électoral » de la carte électorale de l’élection présidentielle de 2024 par le Ministre chargé des élections afin de faire gagner le candidat de sa coalition politique au 1er tour.
Cette étude aborde, ainsi, la question de recherche suivante: « La carte électorale, initialement prévue pour l’élection présidentielle du 25 février 2024, désormais pour le 24 mars 2024, a-t-elle fait l’objet d’un «charcutage électoral» qui pourrait affecter l’intégrité du scrutin ? »
Méthodologie
Afin d’investir cette problématique, pour pouvoir répondre à notre question de recherche, la méthodologie mise en œuvre en examinant la carte électorale de la présidentielle de 2019, est adoptée. Toutefois, l’analyse des données collectées est effectuée en fonction des résultats des élections législatives du 31 juillet 2022 en vue de pouvoir sonder ses effets sur l’issue probable de l’élection présidentielle du 24 mars 2024.
Résultats
Inclusion des acteurs du redécoupage électoral
La réalisation de la carte électorale est encadrée par l’article L.66 du Code Electoral qui dispose: «Dans chaque commune, le nombre et la localisation des BV sont proposés au Ministre chargé des Élections par les préfets et les sous- préfets, compte tenu des circonstances locales et du nombre des électeurs, et après avoir recueilli l’avis consultatif du comité électoral.
Les demandes de suppression, de modification et de création de LV doivent être dûment motivées et recevoir le visa obligatoire de la C.E.N.A.
Le comité électoral est tenu informé du sort réservé aux propositions de modification de la carte électorale.»
Il ne ressort pas de l’analyse des données médiatiques collectées, des données probantes sur la consultation ou non des comités électoraux par le Ministre chargé des élections. Il n’en apparait pas non plus, de données qui permettent de confirmer ou d’infirmer que les modifications de la carte électorale ont été approuvées par la CENA.
Il appert donc de ce qui précède, que le processus de redécoupage qui a produit la carte électorale nationale et étrangère qui ont été transmis aux candidats en vue de l’élection présidentielle, initialement prévue le 25 février 2024, sont le résultat de la mise en œuvre du pouvoir discrétionnaire du Ministre chargé des Élections conféré par l’article L.66 du code électoral.
Analyse des données empiriques
La carte électorale nationale et étrangère de l’élection présidentielle de 2024, ont été collectés auprès de membres de coalitions politiques ayant des candidats et d’acteurs de la société civile impliqué dans le processus électoral. Aussi, même si les cartes électorales ne sont pas disponibles par une publication officielle du Gouvernement du Sénégal, il est à estimer qu’elles sont des copies des versions officielles.
Dans la forme, les documents sont difficilement exploitables car non seulement ce sont des fichiers en format «Pdf» de 783 pour la carte nationale et 69 pages pour celle étrangère, mais en outre, les cartes électorales communales des 46 départements sont présentées de manière désordonnés. Ainsi, de la page 1 à 14 sont présentées celles du département de Bakel dans la région de Tambacounda, tandis que celles du département de Tambacounda de la même région, se trouvent de la page 680 à 695.
Malgré que les cartes électorales, ne soient pas sous format «Excel» pour faciliter leur exploitation, le traitement nécessaire a été fait pour extraire les données et ainsi procéder à leur analyse. Nous avons dans un premier temps généré les statistiques sur le nombre d’électeurs, par communes, par départements et par régions, et dans un second temps, nous avons fait un examen approfondi afin d’identifier les biais et distorsions pour pouvoir évaluer leurs conséquences sur les résultats de la présidentielle 2024.
Les statistiques globales
Les données extraites de la carte indiquent que le nombre d’électeurs pour l’élection présidentielle du 24 mars 2024 est de 7 371 894. Sur le territoire national, il y a 7 033 854 électeurs et 338 040 électeurs à l’étranger.
Par rapport aux élections législatives du 31 juillet 2022, il y a une augmentation du nombre d’électeurs de 335 428. Sur le territoire national, il y en a eu 306 095 et à l’étranger 29 333.
Le nombre total de bureau de vote (BV) de la carte électorale est de 16 440. Dans le territoire national, il y a 15 633 bureaux de vote et 807 à l’étranger.
Sur le territoire national, 8 régions sur 14 constituent 80% de l’électorat avec 5 930 293 électeurs: Dakar 26.01% (1,829,823 électeurs), Thiès 14.26% (1,003,310 électeurs), Diourbel 9.04% (635,793 électeurs), Saint Louis 8.01% (563,642 électeurs), Kaolack 6.60% (464,438 électeurs), Louga 6.55% (460,639 électeurs), Fatick 4.95% (348,525 électeurs), Matam 4.49% (315,863 électeurs) et Ziguinchor 4.38% (308,260 électeurs).
Tandis que 24 départements avec 5 646 312 électeurs décident du scrutin parmi lesquels les 11 suivants: Dakar, Thiès, Pikine, Mbacké, Mbour, Rufisque, Tivaouane, Kaolak, Keur Massar, Podor, Guédiawaye qui ont plus de 200 000 électeurs. DAKAR se distingue nettement avec plus de 700 000 électeurs.
Au plan national, le nombre d’électeurs moyen par bureau de vote est de 450. Les régions de Dakar, Saint Louis, Matam sont les 3 régions qui ont les moyennes les plus élevées, avec respectivement 553, 470, et 469 tandis que Tambacounda, Kédougou, Sédhiou ont les plus basses avec 323, 325 et 357.
A l’étranger, les pays qui ont le plus d’électeurs sont3 pays Européens, France 22,68% (76 502 électeurs), Italie 15,30% (51 617 électeurs), Espagne 11,75% (39 616). Ils sont suivis de 3pays africains: Mauritanie 7,88% (26 590), Cote D’Ivoire 5,98 (20 177 électeurs) et Gabon 4,74% (15 996 électeurs).
Biais et distorsions
L’article L.66 du code électoral préconise qu’on peut affecter jusqu’à 600 électeurs par BV et qu’on peut affecter au dernier BV d’un LV, 650 électeurs pour éviter de créer un nouveau LV. Le nombre total de 16 440 BV ont été créés pour un électorat de 7 371 894. En vertu de la disposition précitée, on peut à estimer 3 910 le nombre de BV supplémentaires créés. Ce chiffre pourrait, cependant, être tempéré par les réalités géographiques.
Néanmoins, le résultat de l’analyse de la carte électorale indique des pratiques qui visent à ne pas atteindre le maximum de 600 d’électeurs, encore moins 650 par BV. Par exemple, dans la commune de Touba Mosquée (département Mbacké), au LV «UNIVERSITE TOUBA DAROU KHOUDOSS», 95 BV de 250 électeurs ont été créés contrairement aux préconisations de l’article L.66 du code électoral. Ainsi, plutôt que 49 BV au maximum, ce sont 95 qui sont créés.
Ainsi, avec de telles pratiques, 314 BV avec moins de 100 électeurs et 2736 de moins de 300 ont été créés sur le territoire national et tandis qu’à l’étranger, ce sont 5 BV de moins de 10 électeurs, 72 de moins de 100 électeurs, et 128 de moins de 300 électeurs.
Sur un nombre total de 7 371 894 électeurs, 7 033 854 sont sur le territoire national, donc l’issue du scrutin du 24 mars 2024 est déterminé par le vote national. Aussi, notre recherche de biais et distorsions pouvant impacter significativement les résultats de la présidentielle se focalise sur la carte électorale nationale.
Il ressort de l’examen de la carte électorale nationale que la nouvelle donnée électorale intitulée «Implantation» qui avait été introduite par le Ministre chargé des élections lors de l’élection présidentielle de 2019, y est toujours présente.
Pour rappel notre étude sur la carte électorale de l’élection présidentielle de 2019 a démontré que cette rubrique est utilisée pour créer des BV que le Ministre chargé des élections avait qualifiés de BV délocalisés. En réalité, ce sont des BV qui apparaissent dans 2 lieux de vote différentsdans la carte électorale: Une première fois dans la rubrique «Lieu de vote» et une deuxième fois dans la rubrique «Implantation». Pour y parvenir, ils sont délocalisés d’un lieu de vote vers un autre, sans les supprimer du bureau de vote de départ.
Il est à noter que non seulement la création de cette donnée électorale «Implantation» n’est pas prévue par l’article L.53 du code électoral, mais en outre, les informations qui y figurent sont invisibles aussi bien aux électeurs qu’aux candidats.
En effet, elles ne sont pas mentionnées ni dans les cartes d’électeurs, ni dans aucun des documents relatifs aux opérations électorales. Ce dernier constat est confirmé par la lettre de saisine du Préfet du département de Dakar, daté du 22 janvier 2024, ayant pour objet la désignation des représentants des candidats dans les bureaux de vote. Il n’y est pas fait référence à la rubrique «Implantation» dans le canevas qui leur est donné comme modèle par le Préfet pour désigner leurs représentants. En conséquence, les candidats à la présidentielle du 24 mars 2024 n’auront pas de représentants dans aucun des BV qui se trouve dans la rubrique «Implantation» de la carte électorale.
Il appert donc que ce sont des BV qualifies de délocalisés, qui peuvent aussi être étiquetés de fictifs, dupliqués ou parallèles. Mais quelle que soit la désignation, ils renvoient à la même réalité: Des bureaux de vote créés illégalement et introuvables par les électeurs et les candidats. Des lors, il est possible de fabriquer des procès-verbaux de résultats fictifs qui pourrait fausser les résultats de la présidentielle 2024. Il est donc fondamental de les déceler et identifier des réponses immédiates à implémenter.
Dans cette perspective, nous avons effectué une étude approfondie de la carte électorale. Et nous présentons nos résultats en commençant par quelques exemples tirés du département de Dakar.
- Commune de Biscuiterie:
Les bureaux de vote (BV) № 20 à 24 sont aussi bien dans le lieu de vote (LV) « ECOLE BISCUITERIE »que dans « ECOLE NIANG » de la rubrique «Implantation». Pour rappel, a l’élection présidentielle de 2019 ces mêmes BV étaient délocalisés au LV « ECOLE OUAGOUNIAYES 1 ».
- Commune de Cambérene
LV «ECOLE CAMBERENE 3»
En 2019, les BV № 13 à 16, soit 4 étaient délocalisés au LV « CEM CAMBERENE ». En 2024, les BV № 14 à 17, soit 4, ont été délocalisés au LV «CEM CAMBERENE 2».
LV «ECOLE SEYDINA ISSA LAYE»
En 2019, 18 des 26 BV délocalisés aux LV «SEYDINA I. LAYE A» et «SEYDINA I. LAYE B». En 2024, la même délocalisation est effectuée. Tandis que, les BV № 25, 26 et 27 sont délocalisés au LV «CEM SEYDINA ISSA LAYE».
Tous ces 18 BV auraient dû disparaitre du LV «ECOLE SEYDINA ISSA LAYE» et de nouveaux LV créés, à savoir «SEYDINA I. LAYE A» et «SEYDINA I. LAYE B».
- Commune Fann Point E Amitié
LV «BUREAU DE COORDINATION TECHNIQUE» les 6 BV délocalisés au LV «ETSHOS IMED». Aux législatives de 2022, ils étaient délocalisés au LV «ITECOM CANAL 4».
- Commune Grand Dakar
LV «ECOLE ISSA KANE (BASSAM GOUMBA)» 17 des 30 BV ont été délocalisés. Les 3 BV № 14, 15 et16 délocalisés au LV «ECOLE MAGUETTE C SARR (TAIBA G D)» tandis que les BV 17 à 30, soit 14, ont été délocalisés au LV «ECOLE PRIVEE LIMAMOULAYE».
Cette modification est effectuée depuis les législatives de 2022 car en 2019, les 3 BV № 14, 15 et 16 étaient délocalisés au LV «CEM ALIOUNE DIOP» et les BV 17 a 20 au LV «ECOLE MAGUETTE C.SARR» tandis que les BV 21 et 22 au LV «CENTRE SOCIOCULTUREL».
- Commune Grand Yoff
LV «ECOLE MOR FALL (GRAND YOFF) » le BV № 13 délocalisé au LV «ECOLE KALIDOU SY ».
Les BV № 21 à 24 du «LV ECOLE KHAR YALLA » qui étaient délocalisés au LV «M.S. KER MAMADOU DRAME» en 2019, deviennent des abris provisoires en sus de 2 nouveaux BV créés (25 et 26).
En définitive, nous avons pu découvrir la création de 826 bureaux de vote fictifs dans les quels sont rattachés 469 291 électeurs.
Les régions qui comptent le plus de bureaux de vote fictifs sont Dakar 394 (240 535 électeurs), Thiès 111 (59 408 électeurs), Diourbel 43 (20 983 électeurs). Ce sont les 3 régions qui ont le plus d’électeurs au Sénégal, respectivement 26.01%, 14,26%, 9,04%. Elles déterminent donc l’issue de la présidentielle 2024.
Les régions qui comptent le moins de BV fictifs sont: Kolda 2, Ziguinchor 3, Sedhiou et Matam 4. La seule région qui n’a pas de BV fictifs est celle de Kédougou.
Les 8 communes qui ont le plus de bureaux de vote fictifs: Keur Massar Nord (38), MBour (36), Parcelles Assainies (34), Medina (33), Wakhinane Nimzat (33), Yeumbeul Nord (33), Diamaguene Sicap Mbao (32), Touba Mosquée (31).
L’examen de la carte électorale, nous a aussi permis de constater que le LV de certains BV sont identiques au nom de la commune et non le nom d’un édifice communal comme par exemple une école ou un collège d’enseignement moyen (CEM). Ainsi, la description du LV ne permet pas de localiser le BV contrairement aux dispositions de l’article L.66 du Code électoral. Ils sont ainsi des BV dont on ne sait où ils se trouvent dans la commune.
La commune de Saly Portudal (département de Mbour) dispose de 16 BV ayant comme LV «Saly Portudal». Dans le département de Tivaouane, la commune de Pire Goureye, 14 BV sont implantés dans le LV «Pire Goureye». La commune de Fanaye (département de Podor),11 BV ont comme lieu d’implantation le LV «Fanaye».
Au total, 1054 BV non localisables ont été identifiés dans la carte électorale nationale dans lesquels sont affectés 529 203 électeurs. Les régions qui en disposent le plus sont: Thiès (176), Saint Louis (125), Louga (116), Fatick 102. Et celles qui en ont le moins sont: Kedougou (23), Kaffrine (49), Ziguinchor (31), Matam (52). Il est à noter qu’il n’y a pas de BV non localisables dans la région de Dakar.
Dans la carte électorale étrangère aussi, le lieu d’implantation de chaque BV n’est pas précisément indiqué conformément aux dispositions de l’article L.66 du code électoral. Dans la carte électorale nationale, le nom de la commune est utilisé comme lieu d’implantation, dans celle étrangère c’est le nom de la ville qui est indiquée comme LV pour rendre le BV non localisable.
En faisant un décompte sur la base de ce constat, nous avons découverts que sur 807 BV, il n’y que 5 qui sont localisables : 1 BV à Tunis (Tunisie) et 4 BV à Banjul (Gambie). Ainsi, il y a 802 BV non localisables, par conséquent, à l’étranger sur les 338 040 électeurs, il n’y en a que 2032 dont le droit de vote est garanti car ils peuvent retrouver facilement leurs BV.
Quant au vote des 336 008 électeurs de l’étranger dont les BV ne sont pas localisables, soit, l’information sur le LV qui abrite le BV dans lequel le nom de l’électeur figure sur les listes électorales leur est donné officieusement, soit, c’est faire le tour de tous les LV de la ville pour le trouver. Cette dernière éventualité est impossible.
Donc, l’exclusion du scrutin d’un électeur rattache à un BV non localisable est assuré. Ainsi, on peut trier, choisir qui peut voter ou non, selon que son opinion politique est favorable ou défavorable. A cet effet, il suffit juste créer son propre fichier électoral (base de données) sur ses électeurs potentiels.
La carte électorale ne contient pas que des BV fictifs et non localisables, il a été aussi constaté la création de 1998 abris provisoires dans lesquels doivent voter 1 025 085 électeurs. Les régions ou il y a le plus d’abris provisoires sont: Diourbel (691), Kaffrine (212), Tambacounda (210), Thiès (197) et Louga (169).
Ce travail de recherche sur les biais et distorsions de la carte électorale de l’élection présidentielle du 24 mars 2024 a permis de découvrir 826 BV fictifs, 1054 non localisables et 1998 abris provisoires mais aussi un nombre excessif de BV évalué à 3910. Aussi, la tendance qui se dégage de ces résultats indiquent qu’il y aurait certainement beaucoup plus de BV fictifs et non localisables à découvrir. Ne disposant pas de connaissances géographiques précises sur toutes les communes, cette recherche est inachevée.
Ainsi donc, ce travail n’est pas exhaustif. En effet, pour pouvoir identifier tous les BV fictifs et non localisables, il faut une bonne connaissance de la géographie et des infrastructures de chaque commune. Un tel travail demande des ressources humains et financières dont nous ne disposons pas.
En définitive, il est à constater que d’une part, il en a résulté de ce «Charcutage électoral» de la carte électorale un nombre de bureaux de vote excessifs de 3910. En conséquence, un tel nombre 16 440 BV pourrait empêcher les candidats d’observer le déroulement du scrutin le 24 mars 2024, donc un frein à leur capacité à garantir l’intégrité du scrutin.
D’autre part, la non publication de la carte électorale conformément aux dispositions de l’article L.66 du code électoral, son envoi aux candidats sous un format et un contenu difficilement exploitable amènent à la conclusion d’une opacité planifiée.
En outre, l’existence dans la carte électorale de BV fictifs, non localisables et d’abris provisoires auront pour conséquence la désorientation et la confusion des électeurs impactés qui pourraient ainsi être privés de vote mais surtout amène la possibilité de créer des procès-verbaux de résultats fictifs.
Ces résultats de l’étude de la carte électorale nous permettent de tirer des conclusions qui seront les fondements de note évaluation de ses impacts éventuels sur les résultats de la présidentielle du 24 mars 2024.
Impacts éventuels sur les résultats et réponses préconisées
Un nombre excessif de BV ont été créés ce qui pourrait altérer les capacités des candidats à faire un travail de « police électorale » pour s’assurer que les adversaires ne trichent pas. La difficulté de mobiliser des représentants dans les 16 440 BV concerne surtout les candidats de l’opposition, en considérant leurs moyens en ressources humaines et financières limitées. La réponse serait une mutualisation des ressources. A défaut, ils ne pourront pas contester les résultats des BV dans lesquels ils ne sont pas présents.
Une carte électorale truffée de bureaux de vote fictifs, non localisables et d’abris provisoires peut permettre, d’une part de priver de vote à des centaines de milliers d’électeurs, et d’autre part, de fabriquer des procès-verbaux fictifs.
Les 469 291 électeurs affectés par la délocalisation de leurs bureaux de vote doivent avoir leurs cartes d’électeurs réédites pour pouvoir voter. Il est à considérer qu’ils ne voteront pas car rien n’indique que ce travail a été fait, en outre, il n’y a aucune campagne de communication des autorités afin de les informer d’une telle situation et les inciter à aller récupérer leur nouvelle carte d’électeurs. A 10 dix jours du scrutin, il est à considérer qu’ils ne pourraient pas participer au scrutin du 24 mars 2024, à moins que les autorités ne prennent la décision de les autoriser à voter dans le dernier LV dans lequel ils ont voté.
Une telle mesure avait été prise à la présidentielle de 2019 quand des milliers d’électeurs ne parvenaient pas à trouver leurs bureaux de vote. Toutefois, une telle solution ouvre la voie à des fraudes électorales par des votes multiples pour tout électeur qui a en sa possession plus d’une carte d’électeur. Donc, c’est une solution risquée qui pourrait éventuellement saper l’intégrité du scrutin.
Les électeurs dont les BV sont délocalisés ne sont les seuls à être sous la menace d’être exclus de la présidentielle 2024. Il y a aussi 865 211 électeurs, répartis dans 1856 BV dont 1054 sur le territoire national et 802 à l’étranger, qui sont affectés par les BV non localisables et qui risquent de ne pas voter car n’arrivant pas à trouver leur BV.
La solution à ce risque est d’amener les autorités à publier immédiatement le fichier électoral avec le lieu d’implantation exact de chaque bureau de vote. Des lors, une intense campagne de communication peut être mise en œuvre pour inciter les électeurs à vérifier leur situation électorale. Ainsi, ces électeurs pourront avoir la possibilité de jouir de leur droit de vote.
Enfin, il y a la question des BV qui peuvent être des sources de procès-verbaux fictifs de résultats.
A la lumière de notre étude sur la carte électorale de la présidentielle de 2019, les bureaux de vote fictifs pourraient avoir un impact significatif sur l’issue de la présidentielle 2024.
Pour trouver une réponse à ce risque, il est d’abord question de savoir et comprendre, comment de tels procès-verbaux peuvent être acheminés dans les commissions départementales de recensement des votes et ainsi être décomptés dans les résultats provisoires qu’elles publient.
Des lors, se posent d’abord les questions cruciales relatives à l’encadrement légal du plan de ramassage des procès-verbaux et de la compilation des suffrages.
L’article L.87 du code électoral dispose:«Un plan de ramassage des plis destinés à la commission départementale de recensement des votes est établi par l’autorité administrative. Il est mis en œuvre, sous le contrôle des délégués de la Cour d’Appel. Il est porté à la connaissance des représentants des candidats ou liste de candidats et est transmis à la C.E.N.A, pour visa, au moins soixante-douze heures avant le jour du scrutin. En cas de modification, la C.E.N.A, est immédiatement saisie.»
Le premier était conforme aux dispositions de l’article L.87 du code électoral. Quant au second, il est libellé comme suit: «Si le président du bureau de vote est lui-même désigné par l’autorité administrative pour transmettre le procès-verbal original, il doit se conformer au plan de ramassage et ne pas prendre des initiatives qui risquent d’entraîner la perte du précieux document. Il doit, notamment, attendre sur place l’arrivée du véhicule mis à sa disposition par l’administration pour déposer directement l’enveloppe à la commission départementale de recensement des votes.»
Il ressort de ce qui précède que dans le 1er plan de ramassage, l’autorité administrative envoie une équipe pour collecter les procès-verbaux et dans le second, elle demande au président du BV d’amener en personne le procès-verbal à la commission départementale de recensement des votes.
En vertu, des dispositions de l’article L.87 du code électoral, le deuxième plan de ramassage est illégal. Et c’est ce plan de ramassage qui permet de faire parvenir à la commission départementale des votes des procès-verbaux fictifs. Aussi, il est fondamental qu’un tel plan de ramassage ne soit pas mis en œuvre à nouveau.
A cet effet, il faut que les autorités publient dès à présent le guide pratique d’organisation et de fonctionnement du bureau de vote de l’élection présidentielle du 24 mars 2024, afin que les parties prenantes au scrutin, les candidats en particulier, s’assurent que ce plan de ramassage n’est pas prévu.
Le travail de compilation des procès-verbaux, aussi bien a la commission départementale qu’a la commission nationale est encadre par l’article LO.143 du code électoral. Il en appert que ce sont 3 magistrats qui délibèrent sur les procès-verbaux de résultats. Toutefois, ils n’ont pas le pouvoir de les annuler. En cas de doutes, ils ne peuvent tout au plus que faire des observations sur les procès-verbaux de la commission départementale.
Ainsi donc, ces magistrats dans leur travail de compilation des résultats, ils ne peuvent faire que des opérations d’additions et non de soustractions. Autrement dit, tout procès-verbal fictif qui arrive dans la commission départementale de recensement des votes est ajouté au décompte.
Le département de Dakar dispose de 1275 BV avec un nombre de 707 818 électeurs, soit 10,06% de l’électorat national. Il est aussi le département avec 189 qui compte le plus de BV fictifs sur le territoire national. Les résultats provisoires de la commission départementale de recensement des votes doivent proclamés le mardi suivant le scrutin. Il ressort donc que les 3 magistrats ne peuvent pas délibérer en 48h au maximum sur 1275 BV.
Enfin, en cas de destruction, de substitution, de perte ou de vol des originaux des procès-verbaux, les exemplaires détenus par les deux tiers (2/3) des représentants de candidats ou de listes de candidats feront foi au même titre que celui du représentant de la C.E.N.A.
Cependant, aucun candidat, surtout de l’opposition ne pourra présenter une copie d’un procès-verbal d’un BV fictif. En effet, ils n’ont pas été invités par les autorités administratives à designer des représentants dans les BV qui se trouvent dans la rubrique «Implantation» de la carte électorale. En conséquence, n’étant pas présents dans ces BV ils ne peuvent pas contester les procès-verbaux. Quand a la CENA, malgré ses affirmations, il n’y a aucune donnée dans son rapport sur l’élection présidentielle de 2019 qui puisse confirmer qu’elle était présente dans les 15 397 BV. Il est à tirer de ce constat qu’elle n’a pas copie de tous les procès-verbaux de ce scrutin.
En considérant tout ce qui précède, tout procès-verbal fictif acheminé à la commission départementale de recensement des votes est validé.
Enfin, il est à noter que dans les procès-verbaux des commissions départementales de recensement des votes le nombre de procès-verbaux de BV traités n’est pas mentionnés. Donc, il est impossible de savoir si leur nombre dépasse celui qui est fixé par la carte électorale.
Il ressort de cette analyse que l’un des points de vigilance maximal du scrutin est l’acheminement des procès-verbaux à la commission départementale de recensement des votes.
La réponse à toutes menaces sur la sincérité du scrutin, est d’abord, de s’assurer dès à présent qu’un plan de ramassage parallèle n’est pas prévu, et ensuite, de communiquer sur l’existence de BV qui pourraient être éventuellement transformés en BV fictifs.
En définitive, il apparait que les procès-verbaux ne sont pas traitées au niveau départemental mais national. Cependant, la commission nationale de recensement des votes, ainsi que les représentants des candidats, vu le temps imparti pour délibérer et publier les résultats, ne peuvent pas assurer ce travail titanesque.
En effet, il y aura à l’élection présidentielle du 24 mars 2024, 16 440 procès-verbaux de résultats. Et vu le temps imparti pour publier les résultats provisoires et officiels, la Commission nationale de recensement des votes ainsi que le Conseil constitutionnel, n’ont ni le temps, ni les ressources humaines pour considérer et traiter les observations sur tous les procès-verbaux. Ils n’ont pas le temps de reprendre un à un, les 16 440 procès-verbaux pour délibérer sur les observations. Il ne faut donc pas tomber dans le piège du «faites vos observations pour pouvoir ensuite saisir le juge électoral» pour ne pas assurer un contrôle rigoureux depuis le ramassage des procès-verbaux vers la commission départementale de recensement des votes.
Des menaces sur l’intégrité du scrutin ont été identifiés dans cette étude de la carte électorale et des préconisations ont été formulées pour y répondre. A défaut de leur mise en œuvre, les résultats définitifs de l’élection présidentielle du 24 mars 2024 pourraient ne pas refléter la volonté de la majorité des Sénégalais.
Le président élu n’accédera pas ainsi au pouvoir conformément à l’article 1 (b) du protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO: « Toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes et transparentes ».