L’exercice auquel nous voulons nous prêter ici n’a pas la prétention de porter des critiques ou amendements sur les programmes de candidats qui sont le fruit de réflexions approfondies d’experts en toutes matières.
Il a plutôt pour but d’apporter une contribution citoyenne surs des thèmes sensibles comme la monnaie, et d’autres non suffisamment développés mais nous semblant importants, tel et le contrôle à priori dans les entreprises du secteur public.
D’une manière générale, les candidats ont besoin que leurs idées soient confrontées à des avis contraires ou nuancées selon les sensibilités et convictions des citoyens sénégalais. Dans cette chronique, ces observations portent sur le thème de la monnaie et sur la problématique du contrôle à priori dans les entreprises du secteur public avec conseil d’administration.
Sur le débat monnaie CFA contre monnaie locale
Pointé du doigt par les jeunes activistes africains comme le symbole persistant du colonialisme et du non-développement, le franc CFA s’invite, contre toute attente, dans le débat programmatique de cette présidentielle. Ce débat prend sa source dans les propositions inédites du candidat Bassirou Diomaye Faye d’abandonner le Fcfa au profit de la création d’une monnaie nationale.
Une mesure qui trouve sa force dans ce qu’elle implique en termes de rupture du partenariat monétaire avec la France et les autres pays de l’UMOA, ce qui contraint ses partisans à préciser leur position sur la question.
Il est notoire que cette question est particulièrement d’actualité dans les pays de l’AES (Alliance des Etats du Sahel regroupant le Niger, le Burkina et le Mali) qui évoquent, de temps à autre, l’éventualité d’une sortie de la zone CFA.
Le rôle attendu de la monnaie par le consommateur est de payer ses achats, préserver son pouvoir d’achat et de protéger son épargne. La monnaie est un intermédiaire dans les échanges servant de moyen de paiement, mais aussi, réserve de valeur. Elle se doit d’avoir de la stabilité.
Dans le commerce, la stabilité est importante ; dans des pays comme le Nigéria et le Ghana, les commerçants sont souvent confrontés à une « valse des étiquettes », les mettant dans l’impossibilité d’afficher des prix stables en monnaie nationale sur une longue durée.
Le système monétaire international est dominé par le dollar qui est la principale monnaie de facturation des transactions internationales, même si la part de cette devise dans les transactions internationales de la Chine (principal exportateur au monde) est tombée de 84 à 44% en 2023, du fait de la politique de dédollarisation menée par ce pays. Les actifs de la Chine à l’étranger (bons du trésor américain en particulier) restent encore libellés à hauteur de 60%en dollar. La part du dollar américain dans les réserves mondiales de devises est également prééminente, soit environ 60% du total global. Enfin, le dollar, c’est 80% des réserves des banques centrales du monde.
Cette position dominante avait conduit la président Giscard d’Estaing à constater qu’avec leur monnaie, les USA bénéficiaient d’un « privilège exorbitant » depuis la fin de la 2ème guerre mondiale.
Fort de ce constat de domination, les Européens ont créé l’Union Européenne comme espace de fusionnement de leurs marchés nationaux, et l’euro comme monnaie commune. Dans les faits, après son lancement en 1999, la zone euro est devenue un espace à deux vitesses. La Banque Centrale Européenne doit faire face à deux types de pays membres, à savoir les pays endettés (France, Italie, Grèce…)) qui ont intérêt à maintenir des taux d’inflation bas pour pouvoir rembourser et s’endetter plus encore, et les pays peu endettés, favorables à une augmentation des taux d’intérêts pour casser la spirale inflationniste (Allemagne).
L’institution « joue » sur le levier principal qui est le taux d’intérêt, pour garder un taux d’inflation permettant de préserver la valeur de la monnaie sur le marché des changes et en même temps faciliter le refinancement des banques centrales nationales et favoriser la croissance économique. Comment lisser les politiques monétaires de façon à préserver la valeur de la monnaie, sans pour autant pénaliser les pays axant leur croissance sur l’endettement, c’est le défi à relever par la BCE. Il en va de même dans l’UEMOA où la gestion de la monnaie dans le souci d’en préserver la valeur (celle de l’euro), est encore plus orthodoxe.
Par conséquent, il est permis d’affirmer le primat de l’économie sur la monnaie. Une économie forte, exportatrice renforce la valeur d’une monnaie. Un franc CFA fort, du fait de son arrimage à l’euro, n’a pas impulsé le développement des économies africaines, faute de compétitivité sur le plan international. La monnaie nationale permettant de conduire une politique monétaire ajustable en fonctions des objectifs économiques précis est elle pour autant la solution ?
Elle se heurterait à deux gros problèmes : sa reconnaissance comme instrument d’échange dans le commerce international ainsi que la capacité propre du pays émetteur de disposer de réserves de changes suffisantes pour couvrir ses importations.
Pour payer leurs fournisseurs étrangers notamment en matière de pétrole, les pays à monnaie nationale doivent acheter du dollar, de l’euro, du yen sur les marchés ou s’échangent les monnaies (marché des changes).
En revanche, l’appartenance des pays membres la zone CFA leur fait bénéficier de la mutualisation des réserves de change, les dispensant, contrairement aux pays à monnaie nationale, de la quête en solitaire de devises sur le marché des changes.
L’autre avantage du Fcfa est d’être une monnaie refuge, très demandée sur les marchés des changes africains. Les pourfendeurs de la monnaie nationale voient par-là, la preuve de la supériorité du CFA sur le Cedi ghanéen ou le Naïra nigérian, alors qu’il s’agit d’un leurre. La vraie monnaie «refuge», réserve de valeur, est l’euro dont le Fcfa est le miroir. C’est grâce à un mix de politique monétaire que l’on pourrait arriver à prendre en compte l’ensemble des préoccupations.
Certains parlent de l’ECO pour remplacer le FCFA; encore faudrait-il que les pays de la CEDEAO arrivent à rendre l’organisation plus engagée sur les questions économiques et monétaires. D’autres sont alléchés par l’offre des BRICS d’accepter les monnaies nationales comme moyen de paiement de leurs importations. Pour l’instant, on demeure encore dans le flou concernant cette perspective.
En définitive, la préférence pour une monnaie nationale ne saurait être forcément source de catastrophe pour un pays. Les cas gambien avec le dalasi et mauritanien avec l’ouguiya sont là pour le rappeler. Celui de Cuba est d’autant plus intéressant que ce pays a longtemps été soumis à un embargo commercial par les Etats-Unis.
En réaction, il a développé un système de change à plusieurs niveaux. Cuba dispose de 2 monnaies nationales, soit le peso cubano, la monnaie nationale officielle et le peso cubano convertible, appelé le CUC indexé sur le dollar (sa valeur officielle est fixée à 1 dollar).
Avec une perte de 57 % de la valeur de sa monnaie sur le marché des changes, le Ghana aurait engagé des négociations avec une société émiratie pour acheter du carburant avec de l’or, à la place du dollar, afin de préserver son stock de réserves de change.
Pour rappel, le Ghana est le 10ème producteur d’or au monde alors que sa monnaie s’est fortement dépréciée. Pour ce qui concerne le Sénégal, la priorité est de le sortir d’un modèle qui n’a pas permis l’impulsion du développement économique depuis 63 ans. La balance commerciale est structurellement déficitaire depuis cette date, l’agriculture n’arrive pas à couvrir les besoins alimentaires de la population, l’industrie est toujours balbutiante, et l’offre d’emplois générés par l’économie, atone.
Des candidats prônent, malgré tout, la stabilité voire la continuité. Nous préférons, pour ce qui nous concerne, encourager ceux qui souhaitent le changement d’orientation économique, tout en leur demandant de rester ouverts aux observations, suggestions et autres critiques que ne manqueront pas de susciter ces annonces de rupture d’avec le modèle en place.
Sur le contrôle à priori dans les entreprises du secteur public
Dans l’entendement populaire, le contrôle des entreprises publiques est du ressort exclusif des corps de contrôle de l’Etat (IGE, Cour des comptes). Pourtant ce dernier a mis en place des structures de contrôle à priori au sein de ces entreprises que sont le Conseil d’Administration et le Contrôle financier dépendant des services présidentiels qui siège en permanence dans les Conseils d’Administration en qualité d’observateur.
La loi qui organise la gestion et le contrôle de ces entreprises est principalement la loi 90-07 du 26 juin 1990. Cette loi avait été précédée de la loi n°87-19 du 3 août 1987 qui avait comme objectif de constituer un cadre favorisant une plus grande autonomie des entreprises publiques vis-à-vis de l’Etat. Elle avait toutefois maintenu un contrôle a priori exercé par le Centre des Etablissement publics et ses organes d’exécution, soient l’Agence Comptable des Etablissements publics, et le Contrôle des Opérations Financières.
Par la loi 90-07, le législateur a voulu aller plus loin en matière d’autonomisation des entreprises dans leur gestion. Celle-ci a donc supprimé le contrôle à priori exercé par l’Agence Comptable des Etablissements publics, et le Contrôle des Opérations Financières, et institué le Conseil d’Administration comme organe de contrôle interne de l’entreprise, renforcé dans cette mission par le Contrôle financier (art. 28 de la loi 90-07).
Dans les faits, il est loisible de constater que ce contrôle du Conseil d’Administration s’est avéré être inopérant. Les détournements de deniers publics et autres cas de mal gouvernance établis par les rapports IGE et Cour des Comptes ont continué à faire la une de la presse nationale. L’intervention de ces corps de contrôle ne s’effectuant qu’à postériori et sur des périodes couvrant plusieurs exercices ( 2 à 5 ans), sauf lorsque des indices de mauvaise gestion sont probants, le contrôle en temps réel de la gestion de l’entreprise est quasi inexistant, sauf en matière budgétaire et d’arrêté des comptes annuels. Les objectifs d’autonomisation et de renforcement du contrôle interne visés par la loi 90- 07, n’ont donc pas été atteints.
En réalité, cette situation résulte de l’absence de clarté sur la bonne répartition des pouvoirs de tutelle dans l’entreprise. Le Directeur général est sous la tutelle d’un ministre de « tutelle » qui propose sa candidature au président de la République qui le nomme.
Dans un deuxième temps, il est demandé au Conseil d’Administration de délibérer pour rendre cette nomination effective, ce qui est à l’évidence de pure forme. Le Conseil d’administration n’a pas la possibilité de contrevenir à une nomination proposée par un ministre même si le profil n’était pas en adéquation avec le poste.
Ce schéma institutionnel réduit drastiquement le pouvoir de contrôle du conseil d’administration sur le Directeur général, qui prend directement ses ordres et instructions du ministre, alors qu’il est précisé dans les statuts types que le conseil est « investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de l’entreprise, et pour faire ou autoriser toutes les opérations intéressant son activité dans la limite de son objet social.
Tous les actes d’administration et de direction qui ne sont pas légalement attribuées aux assemblées d’actionnaires sont de sa compétence ». Faute d’une vraie tutelle sur les directeurs généraux et de moyens humains, privé d’informations en provenance des services de contrôle interne de l’entreprise, le Conseil d’Administration ne peut exercer aucun contrôle en temps réel ou différé.
Le contrôle en aval qu’il exerce ne lui permet en aucune manière de « prévenir » les actes de mauvaise gestion qui ne seront souvent découverts que tardivement lors des missions des corps de contrôle (IGE, Cour des Comptes).
Les candidats à la présidence de la République sont donc interpelés pour se prononcer sur cette question de la plus haute importance, surtout dans une configuration où les Directeurs généraux sont appelés à s’engager en politique pour renforcer l’assise populaire du parti au pouvoir qui les a nommés.
CONCLUSIONS
D’autres thèmes que nous jugeons pertinents, seraient utiles à développer, tels ceux énumérés ci-dessous: Comment changer le système sans changer une classe politique virevoltante, prompte à gagner les rangs de tout nouveau pouvoir sans adhésion à des idéaux ou programmes ? Comment faire du neuf, en gardant le centralisme jacobin intrinsèque à l’administration, la bureaucratie héritée de la colonisation et dont les aspects les plus bloquants se rapportent aux règles contraignantes de la comptabilité publique ?
Quid d’une décentralisation avec des collectivités territoriales sans ressources propres et sans autonomie financière ?