L’épineux problème pour les partis politiques sénégalais est moins celui d’une offre gouvernementale, propre à contenter en théorie les exigences de développement du peuple, que celui d’un projet de société, condition sine qua non, nous le pensons bien, de nos grandes aspirations à l’émergence.
Quel Sénégal refonder suite à ce choc de déceptions comme d’abus de pouvoir du régime sortant ? La résolution d’un tel défi demande très prioritairement de prendre langue avec son plus grand obstacle qui puisse exister aujourd’hui au Sénégal : l’illusion sénégalaise de croire bon de quasi vivre dans la pure et sombre indiscipline, c’est-à-dire dans le non-respect des règles d’ordre juridique ainsi que des valeurs d’ordre pratique ou moral.
Ici, il serait particulièrement juste et légitime de parler d’une sorte de mentalité saturée d’égoïsme et d’aveuglement, d’une sorte de mentalité qui est reine dans nombre de nos structures sociales, politiques, étatiques, administratives, etc. « Ô temps, suspends ton vol ! » s’était écrié Alphonse de Lamartine « Et vous, consciences morales et citoyennes, suspendez votre cours ! » renchérit l’homme sénégalais qui tourne surtout le dos à ses devoirs. Justice instrumentalisée, Impunité népotique, Corruption, détournement des fonds ou des deniers publics, jeunesses adolescentes féminines qui « s’hypersexualisent » sur les réseaux sociaux, jeunesses adolescentes masculines qui trouvent plus plaisir à paraître et à frimer qu’à vouloir être et à s’affirmer. Et ainsi s’affiche la liste non exhaustive des dépravations-progénitures de nos faiblesses et velléités morales- qui nous frappent au sein de la société sénégalaise. Tout cela met en lumière le mal profond qui ronge la société sénégalaise et maintient le pays dans un sommeil léthargique de sous-développement.
Tenez, par exemple, le vendredi 22 mars 2024, je me suis rendu au consulat général du Sénégal à Paris pour renouveler mon passeport sénégalais. C’était la première fois que je visitais le consulat du Sénégal depuis que je suis en France. Je m’attendais à voir un système administratif mieux organisé et un personnel plus professionnel qu’au Sénégal. Quelle ne fut pas ma déception !
Le Consulat général du Sénégal est un Sénégal en miniature au milieu de la ville de Paris. Seule la façade extérieure du bâtiment vous rappelle que vous êtes bien à Paris. À l’intérieur, tout est à l’image du système administratif sénégalais : un chaos indescriptible et ça pue la corruption. Pourquoi ? Parce que les deux pauvres agents de sécurité qui se tiennent devant la porte doivent accueillir et orienter aussi bien les personnes qui ont un rendez-vous que celles qui n’en ont pas, mais qui ont le « privilège » d’avoir été mises en contact avec quelqu’un qui travaille dans ce consulat.
Comment espérer se développer avec un système administratif aussi corrompu et une population qui n’a pas honte de se rendre complice d’une telle injustice, ou du moins qui considère cela comme tout à fait normal ? On aura beau critiquer le système, voire le renverser. Mais tant que les mentalités ne changeront pas et que les gens n’auront pas conscience de leur devoir de citoyen, le problème restera toujours le même.
Un système n’est qu’une idée dont la mise en œuvre effective, dans le cadre d’un système administratif ou politique, nécessite la complicité du personnel ou d’une partie qui sera le rouage de son mécanisme de fonctionnement. Ce sont en premier lieu les personnes qui constituent le système. Pour fonder une société juste, il ne suffit pas de changer un système. Mais il est encore nécessaire de s’occuper d’abord de la formation des personnes qui animent ce système.
Une société est à l’image des personnes qui la composent. Si elle est constituée majoritairement de personnes éclairées, bien formées et responsables, elle peut aspirer à la justice et au développement, car elle dispose d’un socle solide.
Pour l’instant au Sénégal, nous manquons d’une telle base. C’est certes bien de vouloir changer le système. C’est cependant mieux de penser à rééduquer l’homme sénégalais qui, par sa complicité avec un système corrompu, est tombé dans une forme d’ignorance servile qui le prive de discernement.
Ousmane Mballo est Doctorant de Philosophie en cotutelle internationale entre l’Université de Toulouse II Jean-Jaurès (France) et l’Université de Coimbra (Portugal).
Mouhamadou Fallou Diop est Professeur de Philosophie au lycée de Rao (Saint-Louis Département).