Au même que la lettre du doyen Mody Niang, parue en 2000 et republiée dans l’édition de Sud Quotidien d’hier, vendredi 29 mars, ce texte de Sidy Gaye (mars 2000) garde, lui aussi, toute son actualité. En raison du contexte politique actuel marqué par cette sorte de troisième «alternance» au Sénégal. Sud Quotidien remet au goût de ses lecteurs ce texte majeur.
Il n’y eut ni coup de fusil, ni tirs à l’arme lourde. Le seul crépitement de mitraillette signalé à Ndande à 140 kilomètres environ de la capitale, ces dimanche de premier ou deuxième tour, a été étouffe par le magnétisme du verbe rédempteur, banalement repris en écho sur les ondes des radios privées
I I n’y eut ni communiqué numéro un, ni de communiqué numéro deux. Aucun front de Rédemption ou comité de salut public. Pas une seule balle d’affreux mercenaires à la solde, ni même, aucun coup fourré pour affamer davantage des citoyens éprouvés, assécher les caisses du Trésor public, anémier les services de l’Etat, paralyser l’une ou l’autre de ses institutions et susciter enfin, une insurrection programmée.
Ni guerre civile, ni coup d’Etat, ni débarquement nocturne, ni mutinerie. Rien. Rien de tout cela.
Rien de ce qui gaspille bêtement la Vie, cette première richesse du Vivant, défi perpétuel à l’Homme de tous les temps, qu’aucune de ses civilisations ne réussira jamais à reconstituer, une fois dilapidée. Rien de tout ce qui touche à la force physique, ou à la violence mécanique n’a été prioritairement convié par le peuple sénégalais pour faire son choix et dicter ses ordres à sa classe politique.
L’intelligence et le verbe, la seule réflexion qui se prolonge dans la mobilisation citoyenne et l’action politique et cette matière grise, substance la mieux partagée qui ennoblit l’Espèce humaine et qui dompte l’Univers, ont naturellement suffi, largement suffi, pour donner des contours à un rêve. Formes et allure à des convictions, énergie, force et vitalité à un combat. Pour la justice sociale. Pour le progrès. Pour l’alternance Démocratique. Dans la paix
La seule conscience civique et la discipline d’acteurs politiques placés sous haute surveillance par l’opinion publique toute entière ont ainsi suffi pour réaliser, dans ce petit pays de l’ouest africain, ce qu’aucune des nombreuses guerres, ayant pour moteur la conquête du pouvoir, n’a jamais réussi à si moindres frais, aussi totalement, aussi rapidement et si durablement, nulle part ailleurs sur le continent
C’est comprendre, dès aujourd’hui, que ce serait appauvrir la palpitante séquence historique que vient de vivre le peuple sénégalais que de la réduire au simple remplacement de son personnel politique à la tête de l’Etat.
Même si l’arrivée au pouvoir du Président Abdoulaye Wade réjouit si intensément l’écrasante majorité de Sénégalais ayant placé tous ses espoirs sur sa modeste personne, chaque citoyenne et citoyen de ce pays, chaque Démocrate, chaque groupe communautaire où qu’il se trouve sur le continent, devrait y chercher davantage.
L’opportunité historique par exemple d’un nouvel examen critique de ses actes et comportements quotidiens, d’une révolution culturelle encore plus grande qui bannirait plus radicalement encore, l’épreuve de force stérile, pour ne sanctifier désormais, que les voies négociées de règlement des conflits d’intérêt ou politique dans le respect des idéaux d’égalité, des droits et devoirs de la Personne Humaine au sein de la Société.
Pas besoin de chercher ailleurs en Afrique, pour trouver ici même, dans cette Casamance défigurée de l’abbé Augustin Diamacoune Senghor précisément, un champ d’application de cette première des urgences.
Le recours par des citoyens, à la force et à la violence aveugle ou sélective, pour faire triompher leurs idées, leur programme politique ou leurs intérêts personnels, ici en Casamance ou partout ailleurs dans le continent, est en effet la négation même de ces intenses journées de communion dans la lutte pacifique dont l’une des premières étapes vient d’être bouclée, avec succès, par le peuple sénégalais
Et même si un quart de siècle d’obstination et de patience, 25années d’engagement politique, d’efforts intellectuels, de négociations et de concessions mutuelles n’avaient finalement abouti à rien, personne, nulle part, n’en regrettait pour autant de n’avoir pas commencé par verser le sang sénégalais pour mieux se faire entendre, comprendre et respecter.
Sinon qu’est-ce que la guerre du Sud qui a duré autant avec tous ses crimes, ses familles disloquées et ses biens saccagés, a-t-elle offert qui soit à la mesure du seul éveil de conscience suscité aujourd’hui, chez le dernier des citoyens les plus attentifs ? Quels succès ou promesses futures de telles dérives ont-elles permis de récolter, ici au Sénégal, qui puisent se comparer aux acquis que la seule lutte politique de la province canadienne du Québec, par exemple, a pu engranger dans son combat singulier, au cœur du magma nord-américain pour la reconnaissance de ses spécificités culturelles et de ses intérêts économiques ?
De la reconnaissance des pouvoirs constitutionnels provinciaux (ressources, impôts directs, emprunts, droits civils, travaux publics, justice, fonciers, aménagements, hôpitaux, éducation…) jusqu’à la coopération internationale au sein de la francophonie notamment, en passant par la consécration depuis 1969, de leur langue maternelle dans cet univers radicalement anglo-saxon, qui n’ont pu imposer les élites politiques québécoises sans recours au maquis ou aux mines anti-personnel ? Sans ne guère renoncer d’un pouce, urbi ou orbi, à l’insigne honneur et aux avantages liés à leur citoyenneté canadienne ? Pleine et entière plus souvent assumée non sans fierté ?
En vérité, c’est ce message là, ce triomphe total de l’intelligence sur la force que ce siècle, le plus bête parce que le plus destructeur de l’histoire universelle, a finalement légué à l’humanité, que le succès des 25 années de lutte politique devrait permettre à tout citoyens sénégalais, à tout Africain, d’assimiler définitivement. Dans le nouveau millénaire que les Sénégalais ont librement choisi d’étrenner avec Me Wade, le prestige et la grandeur des civilisations ne se mesurent plus, bien heureusement, à ‘aune des richesses matérielles ou des richesses naturelles trop précaires pour laisser des messages de continuité.
Ils ne se jaugent non plus au potentiel offensif et à la puissance des marines de guerre, des chasseurs bombardiers, missiles intercontinentales, et autre engins de mort, de destruction rapide et massive.
Non ! Le degré d’évolution des peuples se mesure de plus en plus à leur capacité de se défendre pour survivre à l’adversité et aux agressions mais surtout à leur capacité d’anticipation et de régler leurs conflits, toutes leurs contradictions internes, par la réflexion, la négociation la concertation et la persuasion. En toute liberté, dans l’égalité et le respect mutuel.
C’est toute l’immensité des nouveaux défis qui se profilent à l’horizon de la société sénégalaise, aujourd’hui que le plus facile a été réalisé avec, une fois n’est pas coutume, les bienheureuses complicités des Présidents Diouf et Wade.
Une fois l’Alternance Démocratique réussie, le challenge, en effet, est de ne plus reproduire ce contre quoi le peuple sénégalais, particulièrement ses composantes les plus jeunes, se sont si intensément mobilisées ces dernières années.
Cette abjection que plus qu’aucun sénégalais ne peut souffrir compte tenu de sa prise de conscience citoyenne, a un nom connu de tous. C’est une propension à vouloir vivre sans travailler. C’est-à-dire à vouloir satisfaire la plénitude de ses besoins et caprices, de tous ses désirs avec l’effort et la sueur des autres, jamais la sienne
Cette perversion de l’intelligence humaine qui convertit en bête de somme l’écrasante majorité des masses laborieuses au service d’une minorité de privilégiés rassemblés par cooptation ne relève aucunement, chacun peut en convenir, ni de la responsabilité du président sortant Abdou Diouf, ni de celle de son prédécesseur Léopold Senghor. C’est leur faire un mauvais procès
Leur seule faute, c’est d’avoir cherché contre l’avis (hier comme aujourd’hui) du Président du conseil Mamadou Dia, à en tirer le plus largement profit, pour asseoir un pouvoir personnel.
Il s’agit en vérité, d’un trait culturel de la société Wolof, que toutes les administrations de ce pays, depuis Faidherbe, se sont appliqués intensément à promouvoir, à sponsoriser et à étendre à l’ensemble du pays, pour mieux asseoir ensuite leurs pouvoirs et y tirer impunément, toutes les lignes de permissivité des abus et nombreux excès de leur clientèle.
C’est le fruit d’une idéologie d’immobilisme et de défaite assumée, une idéologie de sujétion, de collaboration et de renoncement, fondée sur le mépris des siens, la sacralisation et l’abandon total à une puissance tutélaire, la croyance absolue que toute remise en cause de cette forme d’indigénat conduit inexorablement au chaos et au suicide collectif (« si le Président tombe… »), cette fameuse branche à ne pas scier sur laquelle tout repose.
Que les sceptiques relisent plus attentivement les premiers enjeux de pouvoir dès après l’annonce de la défaite de Diouf et de sa clientèle, fortement perturbée par l’idée de devoir travailler pour vivre. Le débat sur une Assemblée à vider et à pourvoir, les fuites (téléguidées) sur de supposés membres de gouvernement et futurs directeurs de sociétés nationales, l’angoisse des partants programmés et l’appétit des aspirants qui multiplient les coups de fil s’ils ne font nuitamment le siège du Point E (domicile de Me Wade), portent déjà dangereusement ombrage aux attentes concrètes des milliers de jeunes et femmes qui ont si résolument appelé Me Wade à leur secours.
Les idées généreuses, les projets à initier les investissements à drainer, par tous les contacts possibles, de tous les coins du monde aujourd’hui que la doctrine libérale des vainqueurs ouvre de sérieuses promesses de démantèlement de l’économie rentière, d’une compétition et d’une concurrence loyales entre tous les partenaires, depuis l’Áfrique du Sud jusqu’aux Etats Unis. devraient très, très rapidement, prendre le dessus si cette génération veut éviter le piège d’une nouvelle révolution politique dévoyée.
Il y a quarante ans, la première qui avait accouché des indépendances, a été bien vite trahie pour les mêmes facteurs. Pressé de prendre jusqu’au matelas de l’ancien gouverneur général des colonies, les ainés que l’histoire éclipse au pas de charge, et qui se sont entassés, toutes ces années durant loin du pays réel, dans le petit réduit du plateau administratif colonial, et ont même oublié pour ne guère troubler une jouissance méritée de construire un seul palais qui leur soit propre, au moment précisément ou villes et capitales nouvelles foisonnent sur le continent. Si ces réalités palpables ne suffisent toujours pas à éclairer, il serait alors intéressant aux témoins d’hier, d’aider les plus jeunes, à comparer le régime politique et social des damels cayoriens de l’après Derkheulé à l’occupation de l’espace républicain par l’establishment actuel.
Pour rappel, l’aristocratie des Garmis de la haute noblesse (les membres du parti dirigeant) qui entourait et tenait le Damel (président) en otage, inonopolisait tous les pouvoirs politiques et économiques dans la société cayorienne de la fin du 19 ème.
Bien que minoritaire, elle détenait seule, le droit de gouverner. Elle était assistée par des Dagues (gouvernement), de Sourgas (directeurs de sociétés publiques) pour fructifier prioritairement ses champs.
Afin d’assurer un plus grand maillage dans la société, elle confiait a des Lamanes (aux marabouts, affairistes et élus) choisis l’administration des terres intérieures cédées, contre redevances laissées à sa seule discrétion (fonds politiques, factures, taxes et impôts) à la grande masse des Badolos (travailleurs salariés et tous les producteurs)
Pour avoir toute la mesure de l’important travail qui attend encore les Démocrates soucieux de l’émergence d’une véritable citoyenneté dans ce pays, il suffit de préciser que la persistance de ces rapports féodaux, laissent malgré tout, une impression de très grande liberté, comparativement à l’archaïsme inouï dans lequel le Fonta reste volontairement maintenu, aujourd’hui encore, par l’aristocratie torodo.
Cela dure, malgré les progrès universels et la marche de la Nation, depuis que cette aristocratie en complicité avec les générations a fini de détourner, il y a trois siècles, les énormes promesses de la révolution théocratique de Thierno Souleymane Baal
Tous le savent, mais au nom de l’omerta des élites intellectuelles locales, personne n’ose s’identifier clairement et le combattre par le verbe et la persuasion, afin de libérer enfin, ce pauvre Macundo et les autres damnés de Fouta. De l’apprentissage du Coran, le message divin dans une société musulmane, le droit et les sciences religieuses, jusqu’à l’introduction de l’école publique qui se voulait démocratique en passant par le maillage téléguidé du parti au pouvoir et des formations de l’opposition y compris marxiste, tout, absolument tout, a été dévoyé pour la seule préservation des inégalités entre les hommes. Le discours identitaire autour d’une langue qu’on positionne davantage comme le cordon d’un ghetto culturel plutôt qu’un outil fonctionnel de réunification de toute la communauté hal pular, par-delà les frontières, semble davantage conçu pour enfermer encore plus les esprits et mentalités dans le repli afin de les maintenir, où qu’ils aillent, loin, bien loin de toute idée nouvelle, forcément subversive. Tous ces chantiers-là attendent d’être labourés. Par la seule puissance du verbe! C’est dire, que le combat pour la citoyenneté ne fait que commencer dans ce pays!