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Gestion Du Franc Cfa Et Adoption De L’eco : Arrêter De Se Défausser Sur La France

Depuis plusieurs années, une controverse autour du franc Cfa et son impact sur les économies des pays qui ont cette monnaie en commun est agitée. Ainsi, sur le lien entre les réserves de change et le financement des importations, le rôle prêté à la France dans la politique monétaire, le niveau des taux d’intérêt, la gestion du compte d’exploitation, l’importance de la convertibilité, etc., un intense débat est mené. Ce débat ne saurait être simplifié. En expliquer la complexité aux populations africaines concernées qui, le plus souvent, n’en maîtrisent pas les subtilités est l’attitude la plus responsable.

D’aucuns parmi les spécialistes les plus sérieux de la question pensent que l’enjeu est plus politique qu’économique. En effet, la parité fixe du franc Cfa, son arrimage à l’euro, facilitent les importations à des coûts favorables. Seulement, les économies africaines de­vraient mettre en place des stratégies permettant de transformer leurs matières premières sur place avant d’exporter le produit industriel. A ce moment, une monnaie flexible avec une parité flottante arrimée à un panier de devises permettrait d’être plus compétitif sur le marché mondial des exportations.

Cependant, le préalable con­sis­tant à avoir un tissu industriel rendant possible la transformation de nos matières premières en produits d’exportation -préalable qui ne se fera que par une volonté politique de nos gouvernants et qui n’est donc pas du ressort de la Bceao ou de la Beac- n’est pas encore effectif.

Il est donc temps de «politiser» un peu plus la ques­tion dans le sens de pousser la classe politique et les membres de la Société civile dans les pays concernés à lutter contre le caractère extraverti de nos économies dominées par les importations et à arrêter de se défausser sur la France. Une fois ce chantier achevé, la monnaie pourra être pleinement utilisée comme outil de performance économique rendant compétitifs nos produits d’exportation. On en revient au basique mais incontournable : «Produire ce que nous consommons et imposer nos produits sur le marché mondial.»

Quelques avantages du francs Cfa

Une monnaie stable : le franc Cfa a fortement évolué depuis sa création en 1945, initialement la monnaie prévoyait de restaurer un moyen de paiement et de stockage de valeur sûr dans les territoires qui ont été isolés de la Métropole durant la Seconde Guerre mondiale. Depuis l’ancrage à l’euro en 1999, le franc Cfa offre un cadre économique stable pour la conduite des politiques économiques des trois zones.

L’ancrage à l’euro a plusieurs avantages : il offre aux économies une meilleure résistance aux chocs macroéconomiques et permet de maîtriser l’inflation en assurant la stabilité de la devise, ce qui est favorable aux échanges et investissements. De plus, le franc Cfa, par sa stabilité, malgré les révolutions politiques, rassure les investisseurs qui sont moins exposés aux dévaluations à répétition.

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Une monnaie résiliente qui permet d’assurer une croissance élevée de la zone Cfa : en termes de compétitivité économique, le franc Cfa permet de favoriser les échanges commerciaux au sein de la zone franc, et d’avoir un meilleur équilibre de taux de change dans le contexte de la mondialisation. En effet, l’ancrage à l’euro n’est pas problématique pour les exportations de la zone, en particulier pour les économies exportatrices de matières premières dont les cours sont fixés sur les marchés internationaux. Du fait de la force du franc Cfa, les importations sont moins onéreuses pour les classes moyennes urbaines de plus en plus nombreuses. De ce fait, les pays de la zone Cfa bénéficient de taux de croissance élevés, résultat de leur intégration dans la mondialisation.

Tiémoko Meyliet Koné, ancien gouverneur de la Bceao et actuel vice-président de la Côte d’Ivoire, a constaté «que des évolutions importantes sont survenues dans chacun des pays membres de la Bceao, qui ont tous renoué avec la croissance après des efforts importants pour assainir leur cadre macroéconomique. Son taux de croissance est actuellement le plus fort en Afrique. Le franc Cfa, qu’elle utilise, reste une monnaie stable et prisée dans la sous-région, et emporte l’adhésion des populations et des opérateurs économiques».

Par exemple, selon les observateurs économiques, le franc Cfa a été l’un des facteurs favorisant la sortie de crise ivoirienne selon une étude sur la zone franc, publiée le 10 octobre 2016, par la banque américaine Citigroup, qui a conclu que malgré le fait que «le dispositif actuel du franc Cfa n’est probablement pas une solution optimale», «la stabilité qu’il (le franc Cfa) apporte a permis au pays de limiter la détérioration de sa situation économique et de se relancer de plus belle». De même, la relative résilience des pays de la zone franc face à la crise sanitaire en 2020 par rapport au reste de l’Afrique subsaharienne en témoigne : +0,3% de croissance en 2020 contre -1,7% de récession en Afrique subsaharienne (Fmi, octobre 2021).

Une monnaie forte qui permet de concurrencer les monnaies voisines : de plus, la poursuite de la monnaie commune permet aux pays membres d’éviter d’être dominés monétairement et économiquement par le Nigeria, grand exportateur de pétrole. Le taux d’inflation du F Cfa est maîtrisé, contrairement à ses voisins comme le Liberia, le Nigeria et le Ghana en proie à de très fortes inflations : 23%, 10% et 22,8%. L’usage du franc Cfa permet aussi de limiter la dette publique des Etats. Concernant la compétition entre la zone franc et les pays subsahariens, Paul Derreumaux, économiste et ancien président d’honneur du groupe Bank of Africa, affirmait en 2016 que «sur le long terme, aucun pays subsaharien n’a suivi une trajectoire de croissance montrant que son système monétaire est sans conteste meilleur que tous les autres. L’Union monétaire ouest-africaine (Uemoa) connaît depuis trois ans une progression du Pib supérieure à celle de la plupart des autres régions d’Afrique subsaharienne, particulièrement en 2016 et grâce à la Côte d’Ivoire.» De plus, il ajoute que «la politique de réduction à tout va des barrières douanières imposées par la Banque mondiale et les inerties des dirigeants ont sans doute davantage que le franc Cfa détruit les industries naissantes d’Afrique francophone».

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Vers l’adoption de l’Eco

Suite à des critiques de plus en plus fortes au sein des opinions publiques de la zone Uemoa, un projet de loi approuvant un accord de coopération monétaire a été adopté par le Parlement français. L’adoption par le Sénat français du projet de loi d’approbation de l’accord de coopération monétaire entre la France et l’Uemoa, le jeudi 28 janvier 2021, entérine le vote de l’Assemblée nationale du 10 novembre 2020 en faveur du texte. Le Parlement français a approuvé ainsi une réforme, initiée par la signature de l’accord de coopération monétaire en décembre 2019 à Abidjan.

Cette réforme comporte trois grandes évolutions. D’abord le changement de la devise et le passage à l’Eco. Ensuite la suppression de l’obligation de centralisation des réserves de change de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest sur le compte d’opérations du Trésor français. Cette mesure de la réforme est déjà effective. En effet jusqu’en 2019, les pays de la zone franc devaient obligatoirement placer 50% de leurs réserves de change auprès du Trésor public français afin de garantir leur liquidité. Ces réserves de change étaient déposées sur un compte rémunéré dont les intérêts obligataires étaient reversés tous les ans aux pays africains. Désormais, la Bceao n’est plus tenue de déposer 50% de ses réserves de change auprès du Trésor français et ne dispose plus de compte d’opérations auprès du Trésor français depuis janvier 2020.

Enfin le départ des représentants français des instances de la Bceao, notamment le Conseil d’administration et le Comité de politique monétaire. Cette mesure est également déjà mise en œuvre par anticipation.

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Dès lors, le rôle de la France en zone Uemoa se limite désormais à celui de strict garant financier. Le régime de change reste toutefois inchangé, avec le maintien de la parité fixe entre l’euro et la devise de l’Union, ainsi que le maintien de la garantie de convertibilité assurée par la France. Ces paramètres sont essentiels à la stabilité macroéconomique de l’Uemoa.

Face à l’émergence du projet Eco, la Banque de France prévoyait d’assurer la parité entre l’Eco et l’Euro. Cette évolution avait été soulignée par la Directrice générale du Fmi, Kristalina Georgieva. La crise du Covid-19 ainsi que les évolutions des régimes politiques au sein des pays membres ont repoussé l’entrée en vigueur du projet de l’Eco à 2027.

Une intégration plus forte au sein de la Cedeao pour   faire face à un avenir

sans Cfa

Malgré de nombreuses critiques à l’égard du franc Cfa et du soi-disant néocolonialisme français en Afrique, un avenir sans franc Cfa paraît à ce jour très complexe. L’économiste Christian de Boissieu affirmait en janvier 2020, à la suite des annonces du projet Eco, qu’il «faudra pour les quinze pays de la Cedeao mettre en commun beaucoup plus que la monnaie. L’Afrique de l’Ouest devra centraliser des ressources au niveau de la Cedeao et se donner les moyens politiques de ses ambitions économiques et monétaires». Pour conclure, le vice-président du Cercle des économistes rappelle toutefois que concernant l’intégration commerciale intra-africaine dans la zone franc -l’un des objectifs de la monnaie commune- «n’a guère progressé malgré l’homogénéité et la stabilité créées par le franc Cfa. Les raisons de cette faible intégration sont nombreuses ; elles tiennent en particulier à la spécialisation des pays membres, polarisée autour de la production et de l’exportation de matières premières».

Pour finir, on peut dire que le débat sur des options économiques dans la zone Uemoa ne doit pas être occulté par la question monétaire qui n’en est qu’une partie. Et cette partie monétaire ne saurait être laissée à des «sauveurs de l’Afrique» -ils se présentent ainsi-. En vrai, ce sont des identitaires, xénophobes et autres racistes qui instrumentalisent la jeunesse africaine.

Babacar MBAYE

Expert en politique publique

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