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Momar-coumba Diop, Le Missionnaire LaÏc

« Vivant, je veux bien être modeste, mais mort, il me paraît naturel qu’on reconnaisse mon génie… » – Michel Audiard

Quarante jours déjà que Momar-Coumba Diop a été mis en terre. Sa disparition a été un choc brutal pour sa famille biologique et sa « famille très étendue », selon les termes de son ami Jean Copans dans la préface de l’ouvrage Sénégal 2000-2012. Les institutions et politiques publiques à l’épreuve d’une gouvernance libérale (Karthala, 2013, 836 p.). Le vendredi 19 avril dernier, comme à son habitude, Momar nous envoya une photo prise par son ami Charles Becker, à l’issue d’un déjeuner dans un restaurant parisien, vers Port Royal-Bertholet, et sur laquelle il était en compagnie de Robert Ageneau, le fondateur des éditions Karthala, devenu son ami depuis leur première rencontre en 1989. Sur l’image, Momar nous semblait en pleine forme. Et nous étions loin d’imaginer que l’irréparable allait se produire quelques semaines plus tard. Lorsqu’à partir du 28 mai dernier nous n’avions plus de ses nouvelles, nous avions pensé qu’il lui était arrivé quelque chose car Momar ne restait pas une journée sans faire signe.

Nous discutions quotidiennement avec lui de la situation politique nationale, surtout avec la crise qui a opposé depuis mars 2021 le pouvoir central et l’opposition dite « radicale ». L’avenir du Sénégal le préoccupait au plus haut point. La décision du président Macky Sall de reporter la présidentielle de février-mars 2024, à la veille de l’ouverture de la campagne électorale, menaçait sérieusement la stabilité du pays. Dans ce contexte préélectoral, le pays est resté debout à l’issue de cette rude épreuve, surtout grâce au Sénégal laïc et citoyen célébré par Pathé Diagne dans Le Sénégal sous Abdoulaye Wade. Le sopi à l’épreuve du pouvoir (Paris, Karthala, 2013, 840 p.), ouvrage publié sous la direction de Momar. Ce Sénégal laïc et citoyen, qui avait fait échec à la tentative du président Wade d’exercer un troisième mandat, a cette fois-ci fait face à la pression de grande envergure exercée par le président Macky Sall. L’alternance du 24 mars 2024 traduisait un rejet de ce dernier et de ses hommes, mais aussi de l’opposition classique. Elle marquait également ce que Pathé Diagne a appelé « la fin du cycle senghorien ». Cette alternance enthousiasma Momar. C’est parce qu’il souhaitait surtout une transformation qualitative des conditions de vie des Sénégalais. Et le rêve lui semblait permis.

Nous avons connu Momar à la fin de nos études doctorales grâce à notre ami, l’archéologue Ibrahima Thiaw de l’IFAN. Nous connaissions bien les travaux de Momar. Notre ami Thiaw estimait qu’il nous fallait collaborer avec Momar et bénéficier de ses conseils avisés. Ce que ce dernier accepta de bon cœur. Ainsi, nous avons vécu avec Momar près d’une vingtaine d’années de compagnonnage. Nos relations avaient fini par déborder le cadre de la recherche pour devenir amicales voire fraternelles.

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Nous appartenons aux sciences de l’information et de la communication considérées comme une « inter-discipline » car situées au carrefour des sciences humaines et sociales auxquelles elles empruntent leurs concepts et leurs méthodes. Nos objets sont ceux des médias et de la culture. Nous privilégions une démarche pluridisciplinaire pour les analyser. L’interrogation d’une part de leurs conditions de production et d’émergence, et d’autre part des conditions de leur réception nous autorise à faire appel à la sociologie, à l’histoire, au droit, à la sémiotique, et à l’anthropologie, notamment celle des mondes contemporains chère à Marc Augé. Nous procédons donc à une traversée des disciplines que nous retrouvons non seulement dans les travaux de Momar, mais aussi dans les ouvrages collectifs qu’il a dirigés.

Le début d’une aventure

Après son recrutement à l’Université de Dakar, en 1981, Momar porta sur les fonts baptismaux un groupe de recherches, avec ses amis de la Faculté des Lettres et Sciences humaines comme les historiens Mohamed Mbodj, Mamadou Diouf et Babacar Diop dit « Buuba », les philosophes Souleymane Bachir Diagne et Aminata Diaw, les géographes Latsoucabé Mbow et Paul Ndiaye, le juriste Tafsir Malick Ndiaye et l’économiste François Boye. Leur aspiration, comme Momar l’a rappelé souvent dans ses écrits, était de forger une autonomie intellectuelle, d’être à même d’influencer les orientations, l’écriture et le déroulement des travaux menés sur le Sénégal. Ils avaient surtout bénéficié de l’appui de leurs aînés Boubacar Barry et Abdoulaye Bathily du Département d’Histoire. Leur rencontre avec (le défunt) Thandika Mkandawire, à l’époque directeur exécutif du Codesria, a été une étape importante dans le cheminement intellectuel et professionnel de Momar et de ses amis. En leur ouvrant les portes de son institution, Thandika Mkandawire leur a permis d’accéder à des travaux novateurs, de découvrir d’autres traditions de recherches et d’engager des confrontations scientifiques avec des chercheurs de l’Afrique francophone et de l’Afrique anglophone. Momar a toujours insisté sur le fait que si certains membres de ce groupe n’avaient pu terminer leurs thèses d’État ou avaient renoncé à les rédiger – une étape pourtant importante pour gravir de nouveaux échelons dans la hiérarchie universitaire – c’est parce qu’ils étaient engagés corps et âme dans leur agenda de recherches.

Ce groupe a publié en 1992, sous la direction de Momar, Sénégal. Trajectoires d’un État (Dakar, Codesria, 501 p.), un ouvrage axé sur une histoire économique et sociale du Sénégal, traduit en anglais sous le titre Senegal. Essays in statecraft (Dakar, Codesria, 1993, 491 p.). Mais Momar s’était déjà révélé en 1990 à travers la publication, avec son ami Mamadou Diouf, de Le Sénégal sous Abdou Diouf (Paris, Karthala, 1990, 439 p.) consacré au Sénégal post-senghorien. Momar remit ça en 1994 avec deux ouvrages collectifs : Le Sénégal et ses voisins (Dakar, Sociétés-Espaces-Temps, 326 p.) et La crise de l’agriculture africaine (Dakar, Sociétés-Espaces-Temps, 149 p.). Suit en 1999 Les figures du politique en Afrique. Des pouvoirs hérités aux pouvoirs élus ((Paris-Dakar, Codesria/Karthala, 444 p), co-édité avec Mamadou Diouf, et qui constitue une somme de travaux sur les systèmes de transfert du pouvoir en Afrique.

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Après l’exil aux États-Unis d’Amérique de ses amis Mohamed Mbodj, François Boye, Mamadou Diouf et Souleymane Bachir Diagne, Momar sentit la nécessité de renouveler son groupe de recherches en faisant appel à de jeunes chercheurs. Au début des années 2000, il élabora un projet intitulé « Sénégal 2000 » dont l’objectif était de montrer, à partir de divers territoires de recherche, les changements et ruptures que le Sénégal a connus aux plans politique, socio-culturel et économique entre 1960 et 2000.

Momar se distingua par ce que Jean Copans a qualifié d’« activisme éditorial ». Nous ne pouvons énumérer ici la longue liste d’ouvrages collectifs publiés sous sa direction. Nous pouvons néanmoins en citer quelques-uns. En 2002, Momar a co-édité La construction de l’État au Sénégal (Paris, Karthala, 2002, 231 p.) avec Donal Cruise O’Brien et Mamadou Diouf. En outre, les résultats du projet de recherche « Sénégal 2000 » sont publiés en trois volumes par les éditions Karthala : Le Sénégal contemporain (Paris, 2002, 656 p.), La société sénégalaise entre le local et le global (Paris, 2002, 723 p.) et Gouverner le Sénégal (Paris, 2004, 301 p.).

Un passeur de connaissances exceptionnel

En 2004, Momar fonda avec un groupe d’amis – constitué entre autres de Charles Becker, Ousseynou Faye, Ibrahima Thioub, Ibou Diallo, Alfred Inis Ndiaye et Ndiouga Adrien Benga – le Centre de recherche sur les politiques sociales (Crepos). Un centre qu’il dirigea de manière bénévole jusqu’en 2009. Le Crepos lui a rendu hommage à travers l’ouvrage Comprendre le Sénégal et l’Afrique d’aujourd’hui. Mélanges offerts à Momar-Coumba Diop (I. Thioub et al., Paris, Karthala, 2023, 720 p.).

Les relations de Momar avec ses jeunes collègues et amis étaient surtout empreintes de respect et d’estime. Il jouissait d’une forte personnalité et faisait montre d’une grande intransigeance sur les questions d’éthique ou de morale. Il tenait aussi à sa liberté comme à la prunelle de ses yeux. Son agenda de recherches n’était pas inspiré ou dicté par une institution publique ou privée sénégalaise ou par une fondation étrangère. En outre, comment parler de Momar sans évoquer sa pudeur, sa discrétion légendaire, et sa grande modestie. Lorsque nous le félicitâmes, après la parution des « Mélanges », il nous remercia pour nos contributions respectives, en ajoutant : « J’essaie tout simplement de rester fidèle à ma fonction de missionnaire laïc ». Tel était Momar, loin du culte du moi, préférant les arias légers aux symphonies bruyantes, et toujours au service des autres.

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Momar était un passeur de connaissances exceptionnel. Il tenait absolument à assurer la relève et consolider l’héritage scientifique africain et sénégalais. Il savait créer les contacts avec les grands éditeurs pour le compte des plus jeunes chercheurs et assurait personnellement le suivi éditorial. Sa rigueur scientifique était telle qu’aucun détail de forme ou de fond n’échappait à sa vigilance. Cette générosité intellectuelle spontanée, vraie, sincère est une source d’inspiration, mieux, une école de vie pour nous, ses jeunes frères. Nous ne pourrons rien faire sur ce plan qui pourrait égaler son investissement, son engagement, mais nous avons le devoir moral d’essayer de suivre son exemple pour honorer sa mémoire.

Comme le souligne avec raison notre collègue Abdourahmane Seck, dans un témoignage intitulé « Une lettre à ma nièce… », publié dans les « Mélanges » offerts à Momar, nous devons à ce dernier « une dette impossible à rembourser ». Momar nous a fait l’honneur de nous intégrer dans sa « famille très étendue ». Il nous coopta également dans l’équipe devant participer à la réédition de l’ouvrage Le Sénégal et ses voisins, projet qu’il n’a pu hélas boucler.

Cet intellectuel magnifique était notre ami. Nous tenons à lui rendre un hommage mérité. Ne soutenait-il pas, avec Mamadou Diouf, à travers une contribution intitulée « Amady-Aly Dieng. La trajectoire d’un dissident africain » [publiée en avril 2007 dans la presse quotidienne dakaroise, pour exalter le « Doyen », après que ce dernier a offert sa bibliothèque à l’Université Cheikh Anta Diop] que « la communauté universitaire doit honorer ses membres les plus éminents car l’hommage aux créateurs est une manière de constituer une communauté solide de chercheurs ». Dieu fasse que Momar puisse continuer à nous inspirer. Notre souhait ardent, à travers ce témoignage, est que l’État lui rende un hommage officiel posthume pour offrir son exemple à la jeunesse qui mérite de connaitre l’ampleur et la qualité de la contribution scientifique de ce chercheur hors-pair qui a su faire briller l’UCAD, l’IFAN et donc le Sénégal, partout où la science sans frontière a pu se rendre.

Ndiaga Loum, UQO (Canada)

Ibrahima Sarr, CESTI-UCAD (Sénégal)







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