La subtilité du mensonge gouvernemental sur la question de la dette et du déficit se trouve dans la période visée et la déclaration de conformité de la Cour des comptes concernant la gestion de 2022.
Le ministre de l’Économie a évoqué une moyenne de 10,4 % de déficit public et 76,3 % de dette pour la période 2019 à 2023. Toutefois, il n’a pas fourni de chiffres corrigés pour les années 2019, 2020, 2021 et 2022, se contentant de ceux de 2023, qui s’élèvent à 83,7 % pour la dette (au lieu de 73,6 %) et à 10 % pour le déficit (au lieu de 4,9 %).
En ce qui concerne l’année 2023, les chiffres n’ont pas encore été certifiés par la Cour des comptes, contrairement aux années précédentes. Le ministre s’appuie sur le rapport sur la situation des finances publiques, qui a été transmis à la Cour des comptes pour une publication après ses propres réconciliations.
En résumé, il faut comprendre que les chiffres de 2023 peuvent, et seront probablement, remis en cause par la Cour des comptes, mais ceux des autres années sont déjà certifiés. La Cour adresse habituellement des demandes de corrections et/ou de données complémentaires pour l’année n-1 au ministère des Finances et du Budget, qui peut soit les accepter, soit les contester. Pour appuyer ses déclarations, le gouvernement s’appuie sur les alertes de la Cour des comptes, qui concernent principalement les dysfonctionnements du système d’information ASTER, la non-concordance des chiffres entre la DODP et la DDP, et surtout l’augmentation inquiétante du déficit public au cours des dernières années. Les deux premiers points n’ont cependant pas empêché la certification des comptes de 2022, car la Cour des comptes sait retrouver l’information correcte.
Pour les années 2019, 2020, 2021 et 2022, le gouvernement ne pourra pas fournir la preuve d’une quelconque falsification des comptes, ceux-ci ayant été certifiés. Je vous invite à lire l’excellent article de l’économiste Prof. Amath Ndiaye (cf. ci-dessous), qui démontre les incohérences d’une telle hypothèse. Si les comptes avaient été falsifiés durant la période en question, l’encours de la dette actuelle serait bien plus élevé que celui annoncé par Ousmane Sonko. De plus, le service de la dette aurait considérablement augmenté (car même pour une dette secrète, il faut payer des intérêts), et les partenaires internationaux l’auraient remarqué, puisque les tirages sur ressources se font avec leur accord.
Les accords de facilité de crédit ont été approuvés par le FMI au nom de l’État du Sénégal le 26 juin 2023 (second semestre 2023), et sont donc probablement basés sur les chiffres des années précédentes, et non sur ceux de 2023, que le ministre de l’Économie a mis en avant.
Contrairement à ce que véhiculent les manipulateurs, les institutions internationales disposent de mécanismes très efficaces pour détecter les mensonges potentiels des États contractants. Parmi ces mécanismes figurent les audits externes obligatoires, des critères de tirage rigoureux conditionnés par la réalisation des travaux et l’obtention du visa juridique de la Cour suprême, la collaboration avec les banques centrales, le travail acharné des meilleurs financiers et économistes mondiaux (dont beaucoup sont basés au Sénégal même) et, enfin, la surveillance étroite des marchés, qui réagissent avec agilité aux fluctuations économiques.
On pourrait continuer à démontrer les incohérences des déclarations du gouvernement, mais cela ne servirait à rien, car les conséquences sont déjà devant nous. Il suffit de lire les interventions des acteurs externes pour comprendre que notre propre gouvernement est en train de se saborder. On observe déjà les effets de cette culture de victimisation et de mensonge exacerbée :
– Le Sénégal s’est endetté de plus de 800 milliards supplémentaires depuis l’arrivée du nouveau régime. Une dette contractée dans des conditions désastreuses, souvent pour financer une autre dette ;
– Le pays aura de plus en plus de mal à emprunter, avec des taux d’intérêt en hausse en raison de la dégradation des notes causée par les déclarations du gouvernement ;
– Pire encore, le Sénégal n’a plus de marge de manœuvre pour renégocier avec le FMI et remettre en question la suppression des subventions énergétiques signée par Macky Sall. Nous faisons face au spectre des ajustements structurels, car le FMI est désormais en position de force pour imposer les accords signés, alors que nous avons des moyens limités pour emprunter ou réduire l’augmentation du déficit ;
– Pour réduire ce déficit, le gouvernement a opté pour une augmentation agressive des recettes fiscales, une stratégie qui paralyse l’économie et fait fuir les investisseurs ;
– Enfin, le Sénégal ne pourra pas introduire de lois de finances pour l’année en cours, ni voter le budget pour l’année prochaine avant au moins décembre (dans le meilleur des cas), en raison de la dissolution de l’Assemblée. Les partenaires internes et externes sont dans l’incertitude totale.
Voilà les maux dont souffre le Sénégal actuel. 2025 sera certainement une année difficile.
Quelques liens:
Cheikh Cissé est ingénieur en informatique, expert en intelligence économique et management stratégique