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La SouverainetÉ Culturelle, Pilier De La SouverainetÉ Nationale

Le nouveau gouvernement, porté par une forte aspiration populaire au changement, vise la souveraineté du Sénégal. Il ne pourra réussir son projet de transformation du pays sans s’appuyer résolument sur la culture. Plus qu’un simple secteur d’activité, la culture doit être envisagée comme le socle sur lequel bâtir la souveraineté et le développement durable d’un Sénégal qui se projette sur la scène mondiale tout en restant fidèle à ses racines.

La souveraineté culturelle se réfère au droit et à la capacité d’une communauté, d’un peuple ou d’une nation à préserver, promouvoir et contrôler ses propres pratiques culturelles, ses valeurs, ses traditions et son patrimoine. Elle vise à garantir que les expressions culturelles d’une communauté soient respectées et protégées face l’homogénéisation imposée par des influences externes, qu’elles soient politiques, économiques ou sociales.

Elle est alors est un pilier essentiel de la souveraineté nationale que le nouveau gouvernement sénégalais doit impérativement prendre en compte dans sa quête de souveraineté économique.

L’histoire de notre continent a été largement racontée par l’Occident, souvent déformée pour véhiculer des stéréotypes et servir des objectifs de domination économique. Les africains se sont longtemps eux-mêmes perçus et positionnés en fonction de cette ce narratif externe. En 2024, ces stéréotypes persistent même s’ils sont contestés.

Il existe une seule manière de déconstruire cette fausse perception de l’Afrique : construire nos propres récits et les diffuser à travers la multiplicité des arts et de la culture. Des récits décomplexés qui reflètent nos spécificités culturelles et notre vision du monde.

Dans une interview récente au quotidien Le Soleil, Ibrahima Thioub dit très justement « A nous Africains de nous positionner par rapport à nous-mêmes en élaborant en toute souveraineté nos politiques mémorielles et patrimoniales qui ne doivent rien attendre de qui que ce soit ».

La souveraineté est un processus pensé et des dispositions mentales

Aujourd’hui, le Sénégal a élu un nouveau pouvoir dont le Projet vise la souveraineté du pays. Mais qu’est-ce que la souveraineté ? Et surtout que signifie la souveraineté pour une Nation africaine face aux défis contemporains (mondialisation, développement des multinationales, nouvelles technologies, etc.), ?

La souveraineté est globalement le droit à l’autodétermination et la capacité à prendre des décisions autonomes sur les plans politique, économique et social. Pour une nation africaine, la souveraineté revêt des dimensions particulières, influencées par son histoire coloniale principalement, et ses contextes politiques et sociaux spécifiques. Rechercher la souveraineté signifie donc qu’il y a une part de notre destinée qui ne nous appartiendrait pas et dont il faudrait reprendre le contrôle. Demande de se recentrer sur les intérêts nationaux et dans le même temps, puisque nous sommes au 21ème siècle, de s’ouvrir au monde.

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La souveraineté donc est un processus pensé, déployé et décliné avec des fondements solides notamment la perception qu’ont les peuples d’eux-mêmes.  Un peuple mentalement fort, sera en mesure de sortir de la dépendance, d’avoir cette ambition collective et d’établir des relations équitables avec le monde dit développé.

Pour moi, le slogan « Jub, Jubal, Jubanti » est une première déclinaison vers cette capacité à être souverain. Il propose une vision de la souveraineté qui ne se limite pas à l’indépendance formelle, mais qui englobe une gouvernance transparente, juste et orientée vers le développement national. Il suggère que la véritable souveraineté découle d’un État fort, responsable devant son peuple et capable de défendre les intérêts nationaux. Ce slogan en langue wolof puise ses racines dans la culture et les valeurs sénégalaises. Ses signifiants découleraient alors de référents culturels communément admis par l’ensemble des Sénégalais.

Dans ce contexte, quelle place accorder à la culture ? Quel est son apport réel dans les dispositions mentales qui permettront d’atteindre la souveraineté ?

La souveraineté culturelle est un pilier de la souveraineté nationale

Le nouveau gouvernement a présenté le référentiel Sénégal 2050 dont l’ambition est de faire du pays « une Nation souveraine, juste, prospère et ancrée dans des valeurs fortes ». La souveraineté culturelle devient alors un élément central à considérer dans sa stratégie de souveraineté économique, car elle constitue un fondement essentiel de l’identité, des valeurs, et de l’indépendance nationales.

Souvent minimisée dans les politiques de gouvernements, je pense que la culture, (équilibrée avec d’autres éléments tels que la citoyenneté, les droits politiques et les valeurs communes), est le fondement d’une Nation. Et que serait une souveraineté sans fondements ? Je ne fais bien entendu pas référence à une vision culturaliste caricaturale de repli sur soi et de rejet de l’autre, mais à la culture sous tous ses aspects (identité collective, histoire, patrimoine, manière de vivre, pratiques culturelles, design, artisanat, gastronomie, éducation, etc.). Je pense à la culture de nos terroirs. Par exemple : le ndeup, le kankourang, le nduut, l’ékonkong, que les communautés organisent sur toute l’étendue du territoire, ou encore le fonio qui nous vient des hauteurs de Kédougou. Et je m’interroge : ne méritent-ils pas d’être expliqués, transmis aux jeunes générations et valorisés comme partie intégrante de ce qu’est être sénégalais ? Quelle place donner aux expressions culturelles contemporaines qui traduisent aussi l’identité du Sénégal ?

Je pense ici à la « senegalese touch », celle qui rend le Sénégal singulier. 

Il s’agit de concevoir la culture comme un ancrage solide, une source de références, qui redonne fierté, rend notre jeunesse moins poreuse à toutes sortes d’influences, qui aiguise l’esprit critique sur le monde et qui permet par la même occasion de gagner sa vie. Un fondement qui rend plus assuré, mieux assis, qui rend souverain.

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La souveraineté d’une nation ne se limite donc pas à sa capacité de se gouverner sans ingérence étrangère. Elle inclut aussi la capacité à s’affirmer. C’est pourquoi la souveraineté tout court est indissociable de la souveraineté culturelle.

Les vrais récits pour reconstruire la cohésion sociale

Cette souveraineté culturelle ne signifie pas un repli sur soi, mais plutôt la capacité du Sénégal à maîtriser son propre récit, à valoriser ses traditions et ses expressions artistiques contemporaines, tout en restant ouvert aux échanges culturels mondiaux. Senghor avait dit « enracinement et ouverture ». Était-ce visionnaire ? Car la vérité est que ceux qui savent d’où ils viennent tracent leur chemin sûrement et fermement.

Le Sénégal, riche de sa diversité culturelle, doit valoriser et promouvoir ses expressions artistiques et créatives. Celles-ci sont porteuses des vrais récits africains, qui remettent en question les stéréotypes et offrent une vision renouvelée de notre continent. Elles renforcent fierté et sentiment d’appartenance à une identité plurielle et dynamique.

Trop longtemps, l’histoire de notre continent a été déformée par des grilles de lecture inadaptées et des stéréotypes tenaces. Il est temps de déconstruire ces fausses perceptions à travers les arts et la culture.

Les États africains doivent investir dans la culture

La notion de « nouveaux récits » est aujourd’hui de plus en plus revendiquée par les Africains, mais elle est aussi présente dans tous les projets et orientations de la coopération internationale sous l’appellation de nouveaux récits communs. Cette construction se met en œuvre grâce au financement. À ce stade, on pourrait se poser la question suivante : pourquoi mettre autant d’efforts à financer la culture en Afrique s’il n’y avait pas un gain spécial ? Si nos gouvernements se penchaient réellement sur ces questions, ils accorderaient assurément une place stratégique à la culture.

Pourtant, le Sénégal a été précurseur en la matière avec un soft power culturel puissant. C’est d’ailleurs l’une des forces du pays sur laquelle nous surfons depuis lors. Aujourd’hui, le soft power culturel sénégalais a vécu, et je pense qu’on en subit les conséquences au quotidien. Il faudrait alors tirer des leçons du passé, regarder le monde et observer l’évolution des forces. Tirer des leçons de la position du Maroc ou bien observer la force de la K-Wave, cette fameuse vague culturelle qui nous vient de la Corée du Sud, ou bien encore se demander comment la fulgurante renaissance culturelle du Nigéria a-t-elle donné lieu à cette explosion internationale puissante de l’industrie culturelle nigériane. Et prendre le temps d’analyser : quels ont été les impacts concrets dans ces pays ? Pourquoi persistent-ils à investir dans la culture ?  

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La souveraineté culturelle est un investissement stratégique

Investir dans la souveraineté culturelle du Sénégal ne devrait pas être perçu comme un investissement à perte. Au contraire, c’est essentiel pour garantir que nos expressions culturelles soient respectées, protégées et promues. C’est un moyen efficace de résister à l’homogénéisation culturelle mondiale tout en positionnant le Sénégal comme un acteur culturel influent sur la scène africaine et internationale.

La culture est le socle indispensable de la souveraineté. Il est temps de reconnaître cette réalité et de la placer au cœur des politiques publiques.

Elle contribue au développement économique du Sénégal à travers plusieurs canaux, notamment le tourisme qui attire des visiteurs intéressés par notre patrimoine culturel riche et nos traditions. De plus, les industries créatives telles que la musique, le cinéma, la mode et l’artisanat génèrent des emplois et stimulent la croissance économique locale. Le pétrole et le gaz ne sont pas la panacée. Le Sénégal peut diversifier son économie et renforcer son attractivité sur la scène mondiale si elle intègre la culture au cœur de ses stratégies de développement.

SEM Samir Addahre, Ambassadeur du Maroc auprès de l’Unesco, déclarait récemment lors de la XIVe Conférence des Ambassadeurs Africains de Paris : « La culture s’impose aujourd’hui comme un levier fondamental de la diplomatie ».

Cela nécessite toutefois une volonté politique forte et un engagement à long terme : une politique culturelle ambitieuse, un soutien aux acteurs culturels locaux, la protection notre patrimoine ou encore la promotion de nos traditions. Le gouvernement doit également encourager la création artistique, investir dans les infrastructures culturelles et renforcer les capacités des industries créatives.

 

La culture n’est pas un simple ornement, elle est le fondement sur lequel nous devons bâtir notre avenir.

 

En résumé, la culture est notre richesse la plus précieuse. Elle nous donne les outils pour comprendre notre passé, affronter notre présent et construire notre futur. Investir dans la culture, c’est investir dans notre identité, notre souveraineté et notre avenir.

Placer la souveraineté culturelle au cœur de notre projet de développement, c’est construire un Sénégal plus fort, plus uni et plus prospère.

Le moment est venu de reconnaître la valeur de la culture et de lui donner la place qu’elle mérite dans notre société.

Fatou Kassé-Sarr est Directrice Générale Labell’Com, organisatrice du Carnaval de Dakar.







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