Lorsque l’annonce a été faite, qu’un groupe de presse de la place a décroché une interview avec Monsieur Ibrahima clédor Séne, une des fameuses personnes dont le nom est fortement associé à l’assassinat de Me Babacar Seye, nombreux sont ceux qui avaient hâte d’entendre la version des faits de ce personnage « mythique ». Quoi de plus normal d’ailleurs, eu égard aux rôles importants attribués à ce monsieur dans un pan entier de l’histoire politico-judiciaire de notre pays. Mais au-delà ce besoin de vérité pour certains, et de cette boulimie de buzz médiatique pour d’autres, est-il conforme à la loi de disserter sur une affaire couverte par le voile de l’amnistie au nom de la liberté d’expression ?
Il ya 22 ans jour pour jour, Me Babacar Sèye, le vice-président du Conseil constitutionnel tirait sa révérence dans des circonstances aussi affreuses qu’ambigües. L’année 93 restera sans doute gravée, à jamais, dans les anales de l’histoire du Sénégal. Le jugement relatif à cette histoire tragique fût, plus tard, frappé d’une loi d’amnistie communément appelée « Loi Ezzan » du nom de son auteur le député Ibrahima Isidore Ezzan. Ce dernier s’est rendu célèbre par le vote de la loi d’amnistie portant sur les crimes politiques de 1983 à 2004. Cette loi votée le 7 janvier 2005 visait à amnistier les assassins de Me Babacar SEYE. La désapprobation de l’opposition et de l’opinion publique n’y feront rien face à la ténacité de la majorité libérale. Venons-en maintenant aux effets juridiques de l’amnistie.
Du grec amnêstia, l’amnistie signifie « oubli, pardon ». Selon, le dictionnaire Larousse, il s’agit d’un acte du législateur qui efface rétroactivement le caractère punissable des faits auxquels il s’applique. Selon le cas, l’amnistie empêche ou éteint l’action publique, annule la condamnation déjà prononcée ou met un terme à l’exécution de la peine. Les peines amnistiées ne figurent plus au casier judiciaire. L’objectif visé par cette mesure est alors « l’oubli » des faits amnistiés. L’amnistie est une mesure qui relève de la compétence exclusive de la représentation nationale, c’est-à-dire, au Sénégal, de l’Assemblée Nationale. Alors que la grâce est accordée par décret du Chef de l’Etat, l’amnistie ne peut être décidée que par une loi de l’Assemblée Nationale. Son effet juridique est non seulement d’effacer toute peine relative aux faits avérés, mais en même temps elle libère les bénéficiaires de l’amnistie de tout lien avec les faits antérieurs. Leurs rappels, comme dans le cas de la diffusion de l’interview de Monsieur clédor Séne, ne constituent-ils alors pas une violation de la loi ?
En France, c’est l’article 133-11 du code pénal qui interdit à toute personne qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance de condamnations pénales, de sanctions disciplinaires ou professionnelles ou d’interdictions, déchéances et incapacités effacées par l’amnistie, d’en rappeler l’existence sous quelque forme que ce soit ou d’en laisser subsister la mention dans un document quelconque ». Cette disposition recevra application, dans un arrêt de la cour de cassation qui a fait prévaloir l’interdiction de rappeler des faits frappés d’amnistie sur la liberté d’expression des journalistes.
Au Sénégal, il n’y a pas encore eu, en notre connaissance, une décision de justice qui s’est prononcé sur cette question. On se rappelle tout de même, que lorsque le député Abdou Mbow, lors d’un débat à l’Assemblée Nationale, avait voulu évoquer l’Affaire Maitre SEYE, le Président de l’institution parlementaire s’en était opposé, arguant que les faits en question font l’objet d’une amnistie (Loi Ezzan). Par conséquent, ils ne peuvent être débattus devant l’Assemblée Nationale sous peine de violation de la loi.
La loi Ezzan, quelles que soient les critiques et les imperfections qu’on lui associe, figure dans notre ordonnancement juridique. Ainsi, la dernière sortie de Monsieur Cledor SENE sur fond de déballage devrait être l’occasion, pour le procureur de la République, d’édifier le peuple sur la légalité ou non de cette pratique consistant à parler à longueur de journée de faits amnistiés par voix de presse.
Abdoulaye FALL
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