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Les Fonds Politiques Au Sénégal : Source De Controverses Et D’enrichissements Illicites

Les Fonds Politiques Au Sénégal : Source De Controverses Et D’enrichissements Illicites

De Léopold Sédar Senghor à Macky Sall, les présidents sénégalais ont disposé de dotations annuelles, dans le cadre de ce qu’on appelle communément les fonds politiques, gérés de façon discrétionnaire. « Ce sont ses fonds politiques, il en fait ce qu’il veut », a-t-on coutume de dire au Sénégal. Au fil des années, leur montant et leur mode de gestion ont notablement évolué.

Jusqu’au départ du président Abdou Diouf du pouvoir, ils oscillaient entre 640 et 650 millions de francs, atteignant très rarement un milliard. Le président Diouf et son prédécesseur les ont certainement gérés de façon discrétionnaire, mais aussi avec beaucoup de retenue, de modération. Ils ne les ont jamais gérés directement d’ailleurs, préférant les confier à de proches collaborateurs. Leur montant a rapidement évolué pour atteindre officiellement 8 à 10 milliards de dotations annuelles avec le président Abdoulaye Wade. En réalité, on ne saura peut-être jamais combien de milliards ce dernier a dépensés pendant son long et tumultueux magistère.

Le quotidien L’Observateur du 4 décembre 2014 révèle qu’ « une mission de vérification menée par les corps de contrôle de l’Etat au Trésor a permis de découvrir dans les documents comptables qu’entre 2008 et 2012, Abdoulaye Wade a fait décaisser, à titre de fonds politiques, 108 milliards de francs. » Le quotidien précise que « ces décaissements ont été faits en violation des règles de gestion ». En effet, « seuls 60 milliards ont fait l’objet de régularisation sur la base de crédits budgétaires votés par le Parlement, les 48 autres milliards (ayant) été pompés directement au Trésor sans aucun ordonnancement et aucune procédure enclenchée par la suite pour la régularisation de ces ponctions financières ».

Ces révélations n’ont apparemment pas indigné beaucoup de monde, si on en juge par la timidité des quelques réactions enregistrées. Il est vrai qu’il n’y avait rien de vraiment nouveau sous le soleil du régime libéral. Nous savions, depuis le procès des fameux « Chantiers de Thiès », que le président Wade alimentait, à sa convenance, les différents comptes des fonds politiques (CBAO, SGBS, autres comptes en France) avec des dizaines, voire des centaines de milliards qui n’avaient rien à voir avec les dotations annuelles régulières. Donc, des milliards carrément détournés qui expliquaient sa « générosité » légendaire. Oui, l’homme était « généreux » et distribuait à tout va de l’argent, en grande quantité. Il disait lui-même qu’il fabriquait des milliardaires et il en a effectivement fabriqués. De nombreux compatriotes, y compris son fils et au moins trois de ses anciens premiers ministres justifient facilement leur fortune par ses « généreux dons ». Dans ce lot, on trouve l’ancien Ministre de l’Economie et des Finances, Monsieur Abdoulaye Diop, que l’on présente comme particulièrement riche, riche à milliards.

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Le quotidien Libération du 1er mars 2013 nous fait cette révélation renversante : « Lors de son audition à la Section de Recherches de la Gendarmerie de Colobane, (M. Diop) était venu avec une pile de dossiers pour justifier l’origine licite de ses biens. Mais, il ne s’en est pas arrêté là ! Il a, en effet, envoyé un cahier portant décharges du colonel Cissokho, l’aide de camp de l’ancien président de la République, sur tous les dons que Wade lui aurait faits (…) »

C’est donc un secret de polichinelle : le vieux président a enrichi des centaines de Sénégalais et plus précisément des hommes et des femmes politiques de son camp, des chefs religieux ou dits religieux, de hauts magistrats, de grands notables, des officiers supérieurs et généraux des forces de sécurité, etc. En d’autres termes, des compatriotes qui n’étaient déjà pas mal lotis, les pauvres n’ayant pas accès à lui et, surtout, ne pouvant rien lui apporter en retour.

L’actuel Président de la République nous promettait la vertu et la transparence dans la gestion des affaires publiques. N’est-il pas temps, vraiment temps, de nous arrêter un peu et de nous poser certaines questions ? Combien de centaines, voire de milliers de milliards de francs Cfa notre vieux président a-t-il pompés au Trésor public et directement des nombreux comptes bancaires qui logeaient les fonds politiques ? D’où venaient tous ces milliards ? Quel en était exactement le montant cumulé ? Combien relevaient-ils de dotations régulières et combien d’autres, de fonds diplomatiques et d’aides budgétaires qu’il ramenait de ses nombreux voyages ? Nos organes de contrôle pourraient bien avoir des réponses à toutes ces questions en fouillant dans les différents comptes où étaient logés les fonds politiques. Il est vrai que c’est illusoire de penser que c’est seulement envisageable, si on considère que les milliards du vieux prédateur ont mouillé des hommes et des femmes encore aux affaires, au niveau le plus élevé.

Ce n’est certainement pas au Sénégal seulement que les fonds politiques sont une tradition. Ils existent dans nombre d’autres pays. Il n’est donc pas question d’envisager seulement leur suppression. Cependant, la triste expérience que nous avons vécue avec la longue gouvernance des Wade devrait nous inciter à réfléchir, à nous livrer à une véritable introspection qui dépasse même le cadre des fonds politiques. Nous sommes un pays pauvre très endetté, en proie à des urgences qui n’attendent pas. Dans ce contexte, nos maigres ressources devraient être consacrées, pour l’essentiel, au développement économique, social et culturel de notre pays. Nous devrions surtout reconsidérer à sa juste valeur le milliard que le président Wade et son clan ont banalisé. Un milliard, c’est quand même mille millions. Il convient de le rappeler constamment. Les 108 milliards que le vieux président a dilapidés en quatre ans seulement (2008-2012), c’est 108000 millions de francs Cfa. Combien en a-t-il dilapidés entre 2000 et 2008 ? Deux cents (300) ? Peut-être trois cents (500) ? Qui sait ?

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Tous ces milliards pompés pour l’essentiel en toute illégalité du Trésor public l’ont été, de toute évidence, avec la complicité active des Ministres de l’Economie et des Finances, ainsi que de leurs services. Il est vrai qu’ils étaient eux aussi largement servis. En tous les cas, ces montants faramineux dont on nous parle depuis 14 ans donnent le tournis, en particulier dans un pays où tout est à faire, où tout est à construire, et sans tarder. Combien de routes, de ponts, de forages, d’écoles, de postes de santé, de brigades de gendarmerie, de commissariats de police, de casernes de sapeurs pompiers, de logements aurions-nous pu construire avec tous ces milliards ? Combien de matériels agricoles, de tonnes d’engrais et d’autres intrants aurions-nous pu injecter dans l’agriculture ? Combien d’inséminations artificielles aurions-nous pu réaliser ? Combien de laboratoires et de bibliothèques aurions-nous pu équiper ? Nous aurions même pu réhabiliter le chemin de fer Dakar-Saint-Louis et Dakar-Kaolack et, pourquoi pas, désenclaver notablement la Casamance en construisant la route qui contourne Kaffrine.

Il est donc temps, vraiment temps, de poser sur la table publique cette question lancinante des fonds politiques, sources de toutes les controverses et de tous les enrichissements illicites. Nous devrions en repenser l’esprit et la philosophie, et discuter sérieusement de leurs montants comme de la manière dont ils sont gérés. Nous espérions qu’ils baisseraient sensiblement après le 25 mars 2012. Il n’en est malheureusement rien. Leurs montants sont restés les mêmes que du temps des Wade : ils oscilleraient entre 8 et 10 milliards par an. Dix milliards, c’est quand même 10000 millions de francs Cfa laissés à la seule discrétion du Président de la République en douze mois ! Le cumul des fonds politiques du président Sall ne serait donc déjà pas loin de 30 milliards, soit 30000 millions de francs. A ce rythme, il pourrait dépenser 50 milliards à la fin de son mandat, soit 50000 millions de francs Cfa.

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Un pays pauvre et endetté comme le nôtre ne devrait pas se permettre ce luxe, cette tradition qui n’a rien à voir avec la sobriété qu’on nous a promise. Elle est à mille lieues de la rupture que certains d’entre nous attendaient de nos nouveaux gouvernants. Il est vraiment temps que, plus généralement, nous grandissions, que notre pays se comporte comme les grands pays démocratiques. Il est temps que notre pays se débarrasse de cette mentalité de sous-développement que nous traînons comme un boulet depuis notre indépendance. Il est temps que nous rompions avec la politique politicienne et folklorique, avec les longs discours au quotidien. Il est temps que nos médias d’Etat jouent leur rôle des médias de service public, de développement, et cessent d’être les seules caisses de résonnance, les vuvuzela du Président de la République et de sa coalition ! En particulier, la détestable transhumance devrait être éradiquée de nos mœurs politiques, plutôt que d’être entretenue au niveau le plus élevé de l’Etat, comme c’est effectivement le cas aujourd’hui. Un demi-siècle d’indépendance, ce n’est pas rien. En 2014, nous devrions être au même niveau de développement que certains pays émergents qui ne sont pas mieux dotés que nous par la nature. Notre seule différence – et elle est de taille –, c’est qu’ils travaillent plus et mieux que nous, derrière des dirigeants qui sont de véritables leaders, donnant l’exemple de l’enthousiasme au travail, de la droiture, du respect des biens publics et des règles de l’Etat républicain en général.

Dakar, le 20 décembre 2014

 

Mody Niang

modyniang@arc.sn

Mody NIANG

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