Certes Déesse Major n’est pas la meilleure référence pour la jeunesse que nous voulons respectueuse des règles de bienséance. Pour autant, le décalage entre son étrange garde à vue et le caractère presque banalisé des actes qui lui sont reprochés laisse perplexe plus d’un. En portant l’affaire devant les tribunaux, le Comité pour la défense des valeurs morales au Sénégal donne un aspect politique à une responsabilité individuelle jusque-là. S’il est en droit d’ester en justice, ce comité ne traduit pas, comme il le prétend, un élan significatif et populaire. Ce que diffusent les médias de cocasse et d’érotique pour rejoindre l’intérêt du public suffit comme preuve.
Sans l’adhésion du public au nom de qui tout est pourtant légitimé, une révolution silencieuse s’opère tranquillement au Sénégal. Il s’agit d’une sournoise tendance à « salafiser » la société qui procède davantage par écoulements successifs que par renversement brusque. En vérité, cette radicalisation idéologique s’impose à nous, de plus en plus, à travers des revendications et commandements que les autoproclamés gardiens de la morale font passer pour des valeurs tantôt traditionnelles, tantôt confessionnelles.
La judiciarisation dans l’affaire Déesse Major et les appels à la censure lancés à chaque fois que l’intelligence des croyants est sollicitée finiront par écraser les responsabilités individuelles, effets naturelles des libertés fondamentales. Comme dans le cas de la rappeuse, les questions sur les modes et mœurs sont sciemment étendues jusqu’à la sphère publique puis politisées. Pourtant, nos ascendants, dont les qualités sont sans cesse magnifiées sont paradoxalement beaucoup plus tolérants que nous, malgré toutes les libertés reconnues, promues et expérimentées à présent.
Une bonne partie de la population, prise de court et ne se retrouvant pas dans le discours d’intolérance et de repli, s’en prend directement à l’État ou témoigne de leur dégoût pour la société sénégalaise. Les ensorceleurs, en manœuvre, ont réussi leur pari préalable en nous braquant les uns contre les autres, mais surtout en exacerbant nos contradictions individuelles. Voilà une technique de fragilisation qui ne prévient pas de sa finalité qui consiste à porter la religion au cœur du fonctionnement de l’État. Ce glissement feutré vers l’extrémisme religieux ne nous prévient pas des réactions de servilité et de rivalités ravageuses de notre cohésion sociale qu’il déclenche.
Traumatisés et agités comme tout, on s’accuse d’hypocrites, on se traite de mécréants, sans jamais pointer du doigt la principale source des conflits et des heurts : la montée fulgurante de l’intolérance religieuse qui contraste avec l’expression vive et fréquente des libertés individuelles. Tout un lobby prosélyte tente de faire croire que c’est le Sénégal, profondément musulman, qui se veut pieux, et que la défense des valeurs est une urgence signalée. Par ailleurs, des citoyens plus enclins aux droits et aux libertés individuels se rebiffent et tentent laborieusement de parer à la violence méthodique qui s’exerce sur eux.
Birame Waltako Ndiaye
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