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Prisons : La Patrie Compatissante

Prisons : La Patrie Compatissante

Nous ne pensions jamais écrire un jour sur l’état de nos prisons, même si nombre d’écrivains, de poètes, d’intellectuels en Afrique, vivent dans cet enfermement que l’on nomme: solitude et isolement. Un prolétariat intellectuel serait-il ainsi né par son refus de dissoudre son âme dans une recherche moins noble de gains et de prébendes, en lieu et place d’une quête apaisée de connaissances ? Mais c’est là, un autre triste débat.

Jamais la prison n’aura un visage aussi cruel, au regard de ce que nous savons de la prison de Rebeuss, au regard des récits qui nous parviennent. Disons le tout de suite: ceux qui ont en charge, de par leur formation et leur fonction, à administrer les prisons au quotidien, ne sont point coupables. Leur ministre non plus, sauf qu’il devrait demander sans tarder que les détenus qui arrivent en prison ne soient désormais plus mis à nu, fouillé jusque dans leur plus secrète intimité charnelle, pour s’en arrêter là dans la pudeur. Cette dégradation extrême de l’être humain doit être évitée, quelles que soient les mesures sécuritaires. Les versions sont pathétiques et troublent nos croyances.

Nous avons été profondément touchés d’apprendre de la bouche d’anciens détenus, les conditions scélérates dans lesquelles des hommes survivent. Des bêtes sont mieux traitées. Quant on imagine des cellules exigües où s’entassent près de deux cent personnes. Quand on imagine la promiscuité, la chaleur, les odeurs, la faim, la maladie, deux ventilateurs plafonnier ne brassant que poussière et humidité. Ne point pouvoir dormir, ne point pouvoir respirer, ne point pouvoir se nourrir comme il convient, ne point boire comme il convient, ne point se laver comme il se doit, ne point prendre le temps nécessaire de se « soulager », car la queue est longue devant les toilettes et qu’il faille se hâter faute d’y être extirpé, vouloir aller uriner et résister, car partir serait perdre son mince carré et se retrouver encore plus dans un insoutenable inconfort. Vrai ou faux, nous avons appris tout cela. Nous avons entendu tout cela. Nous avons des témoignages poignants de tout cela. Un seul jour dans une telle cellule, de telles postures, est une épouvante. Que penser alors des mois, des années et des années pour ceux qui, broyés par le destin et les impasses administratives, croupissent dans cette insoutenable crasse, cet enfer sans nom.

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La prison de Rebeuss, raconte t-on, vrai ou faux, constituait les écuries où les Blancs colonisateurs, en son temps, logeaient leurs chevaux. Chaque cellule constituait une sorte de « box ». Si cela était exact et qu’importe d’ailleurs, les bêtes y vivaient mieux que les hommes.

A écouter les anciens détenus vous raconter leurs calvaires, nous revoyons les cales des bateaux négriers en partance pour l’Amérique et comment les esclaves y étaient entassés et rangés comme des boites de sardinelles. L’image est la même et sans doute pire, car ce sont nous-mêmes face à nous–mêmes, nègre contre nègre, qui organisons le crime. Au nom des droits humains, nous ne nous trompons pas dans la comparaison. Le traitement de ceux qui croupissent dans les prisons, dont le plus grand nombre n’est pas jugé, certains depuis Jésus, prouve le désastre. Ils ne sont pas, par ailleurs, sûrs de survivre à leur détention dans les conditions monstrueuses et glaciales de leur « captivité ».

Nous savons, bien sûr, que tous ces prisonniers, jeunes ou vieux, ont commis des actes répréhensibles, à tort ou à raison, pour se retrouver là. Nous sommes en société avec ses règles, ses normes du vivre ensemble. Une société a besoin d’être protégée, gouvernée, éduquée. Une société a besoin de justice. Cette justice doit être invincible. Une société sans justice dépérit. La mort, dit-on, est ce qu’il y a de plus démocratique au monde, car elle abolit les fonctions, supprime les différences morales et sociales. Telle doit se révéler la justice, c’est à dire également démocratique, protégeant les plus faibles, les plus démunis, les plus exposés, dans leur droit, jusque dans leur privation de liberté. C’est cela aussi une société juste, humaine, progressiste.

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Face aux drames carcéraux sans nom, comment une justice, dans une consciente et très longue interruption de son processus de jugement final, peut-elle provisoirement priver si longuement et si durablement de liberté des citoyens, conduisant ainsi des hommes coupables ou non coupables, à attendre dans un enfer, le dernier verdict? Attendre près de cinq ans à dix ans dans une cellule avant d’être enfin jugé, condamné ou rendu à la liberté, n’est-ce-pas là le confort d’une justice handicapante, coupable et qui, en retour, n’est punie de rien ? A qui finalement la faute ? A ceux qui sont mandatés pour juger ou à ceux qui doivent leur donner tous les moyens de juger ? Et si nous commencions par demander à ceux qui rendent la justice, prenant conscience des handicaps insoutenables qui freinent leur métier, de libérer ceux qui en leur âme et conscience ils peuvent libérer, au lieu d’engorger Rebeuss et nos prisons de « voleurs de rats » ? Nul n’ignore les conditions dans les prisons d’autres zones géographiques du monde. Ce n’est nulle part le paradis. Mais la question n’est pas de comparer un enfer à un autre enfer. Nul n’ignore les conditions héroïques dans lesquelles officient nos juges. Qu’ils soient à leur tour héroïques en trouvant les meilleurs processus pour soulager autant que possible nos prisons.

Quant à l’État, c’est à dire la puissance publique, « wiri-wiri » il est incontournable et reste le principal interlocuteur. Il est temps qu’il construise des prisons plus humaines, répondant aux normes des droits de l’homme. Qu’il réfléchisse bien vite et mette en place, dans un premier temps, un système apte à utiliser nos détenus à participer à l’émergence, en allant cultiver des hectares de terre au service de l’agriculture, du maraîchage, ou en servant de main d’œuvre dans nos grands chantiers routiers et nos pistes rurales. Mieux vaut les faire travailler -et certains travaillent et gagnent même un peu d’argent- qu’à les laisser dans des fours toute l’année où ils perdent toute dignité humaine. Un pays comme la Chine, appliquerait, dit-on, ce système pour désengorger ses prisons et donner une formation à ses détenus.

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Il est difficile d’être muet devant les drames de nos prisons. L’actualité nous a plongés dans des situations tristes avec les mutineries des derniers jours. Les médias, la société civile, et même l’État assumant ses responsabilités, s’en sont faits tous l’écho. Oui, « Le droit c’est l’inviolabilité de la vie humaine, de la liberté. ». La loi ne doit pas être l’ennemi du progrès et de la justice. Ceux qui doivent être jugés doivent être jugés dans le temps de la loi et non dans le temps des hommes. Ceux qui sont privés de liberté ont sans doute plus besoin du droit que les autres.

On ne bâtira pas une démocratie respectable en ignorant notre système carcéral. Le débat démocratique n’est pas qu’exclusivement politique. La politique est d’ailleurs trop sérieuse pour ressembler à ce que notre espace public nous en donne tous les jours. Le débat démocratique relève également et fondamentalement de la liberté, des droits de l’homme et du droit au développement, du social, de l’économie, du culturel.

Nous aurions beaucoup à gagner et à progresser si nous quittions pour un temps les champs de mines et de batailles limités et limitant entre l’opposition et le pouvoir, ainsi que leurs lots épuisants et stériles de quêtes et conquêtes interminables du pouvoir et rien que du pouvoir. Il existe quelque chose de plus déterminant, de plus important, de plus urgent et de plus précieux pour asseoir une société sénégalaise plus prospère, plus responsable, plus digne de considération et de respect.

 

Amadou Lamine Sall

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